Les catamarans en Nouvelle-Calédonie sont monnaie courante. À voiles, à moteur, petits, grands, il en existe de toutes les sortes et de toutes les tailles. Mais ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que certains d’entre eux sont « made in Caledonia » et sortent tout droit du chantier naval de José-Pierre Laborde, le créateur de Catamarine.
Nous sommes allés le rencontrer dans son antre. S’il est aujourd’hui davantage derrière son bureau, dans la conception 3D que sur les chantiers à la construction, José est avant tout un passionné de glisse. Depuis petit, il construit des embarcations ou des moyens de naviguer. Du radeau en bambou de la côte Est, aux planches de kitesurf, pour terminer sur la construction de catamarans moteurs, José cherche toujours à innover pour proposer des bateaux low-tech et répondre aux demandes de ses clients. Rencontrez ce personnage aux multiples casquettes !
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Bonjour José et bienvenue sur NeOcean ! Alors, c’est le dauphin ton animal préféré ?
Bonjour NeOcean ! C’est sympathique comme première question. Oui, le dauphin fait partie d’un de mes animaux préférés. Il est sur le logo d’Imagine Yacht Charter et de Catamarine.
Je l’ai choisi car dans l’imaginaire collectif, le dauphin est un peu l’animal qui représente le mieux l’océan. J’avais envisagé un autre nom, en mixant nautile avec le mot eau. Mais le dauphin l’a emporté !
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Peux-tu te présenter en quelques mots et raconter ton histoire ?
Je suis un enfant de la mer, j’ai grandi sur la côte Est en contact direct avec la mer et déjà gamin, je faisais des radeaux en bambou ou des petites pirogues. Dès mon plus jeune âge, je réfléchissais déjà à des problèmes de structures et de résistances ! En grandissant, j’ai fait de la planche à voile et de la navigation à la voile. J’ai d’ailleurs enseigné la voile pendant cinq ans aux Glénans, en métropole. J’ai beaucoup appris et ma passion pour le bateau n’a fait que se renforcer.
Quand je suis revenu en Nouvelle-Calédonie, je me suis rapproché de Jean-Louis Colmas avec qui nous faisions des planches ou encore des kayaks à fond de verre. À l’époque, nous parlions déjà de foil et d’hydrofoil à ajouter sur les planches. Nous n’avions pas les compétences il y a trente ans mais ça a toujours été dans un coin de notre tête. Puis, nous avons appris à faire de la fibre. Je me suis mis à confectionner des planches, puis des petits bateaux et d’autres de plus en plus gros.
À l’époque, nous avions conceptualisé et créé un kitesurf à Manolo Barlet, en nid d’abeille et en plaquage bois avec de la fibre. Ce composite était particulièrement résistant et nous voulions vraiment tester sa solidité. Nous avions donc mis une planche de ce type sur la plage de Magenta, où il était encore possible de naviguer, en disant : « si quelqu’un casse la planche, on offre la bouteille de champagne ». Nous n’avons jamais payé de bouteille de champagne !
Je m’étais dit qu’un jour je ferais des bateaux avec ce matériau. Ça m’a pris vingt-cinq ans ! Il y a eu beaucoup de péripéties entre temps ; de fil en aiguille, l’idée m’est restée et je suis en train de finaliser ce projet. Les usines peinent à me suivre sur ce qui se trouve précisément dans ma tête mais je sais ce que je veux et c’est très prometteur.
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Catamarine est donc un chantier naval. Peux-tu expliquer à nos lecteurs comment on construit un bateau ? Tu ne construis que des catamarans ? Pourquoi ce choix ?
En effet, nous ne construisons ici que des catamarans. Par le passé, j’ai fait quelques bateaux moteurs mais ça me semblait moins intéressant. De plus, il y a déjà beaucoup de constructeurs de monocoques dans le monde, notamment les Chinois. C’est difficile de concurrencer ce marché. Sur un catamaran, il y a plus de place ; c’est plus stable, plus confortable. J’ai amélioré la navigation avec des hydrofoils pour que la consommation d’énergie soit moindre et que le confort soit augmenté. Le tout, en étant plus léger et plus résistant. C’est quelque chose qu’on ne peut pas faire en série. Je peux donc proposer des bateaux à l’unité et sur mesure aux clients.
Je conçois le bateau. J’ai des dessins de carène, que je n’ai pas forcément inventés mais que je sais bons, avec un bon équilibre. J’ai adapté ces dessins avec l’adaptabilité maximum pour l’habitat. Avant je passais par des architectes navals pour conceptualiser mes bateaux. Aujourd’hui, j’ai appris à dessiner sur Rhinoceros 3D et donc je dessine mes propres bateaux. Nous allons encore agrandir la société puisqu’un nouvel ingénieur va bientôt nous rejoindre.
Une fois le bateau conceptualisé, nous réalisons un marbre pour commencer le bateau. C’est une sorte de chemin de fer qui va déterminer la forme du navire. Là-dessus, on ajouter des gabarits qui vont venir donner la forme, une sorte de squelette. C’est sur ça que nous allons ajouter nos plaques de composites que nous fixons entre elles. Puis, nous fibrons le tout, nous retournons le squelette et nous construisons le reste.
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Combien de personnes travaillent avec toi sur le chantier ? Quels sont les différents métiers ?
Nous sommes cinq pour le moment. J’ai Thomas Seivert, qui est né ici, qui est passionné de planche à voile. C’est un marin, qui est fan de voile, de pêche et qui est tout le temps sur l’eau. On a commencé par faire un prototype pour lui. Thomas était ingénieur son et lumière à la base. Je l’ai fait un peu dévier de son métier de base. C’est lui qui fait toute l’électricité sur les bateaux. C’est très complémentaire pour moi et je lui ai proposé d’être mon associé.
Il y a aussi deux menuisiers-ébénistes. J’ai un guerrier kanak aussi, qui sait TOUT faire. Il aime les gros travaux sur lesquels il peut bosser toute la journée. Ma fille Aïna gère la compagnie Imagine Yacht Charter et la communication.
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En combien de temps construisez-vous un navire ? Y a-t-il des étapes qui prennent plus de temps que d’autres ? Quelle est celle sur laquelle tu prends le plus de plaisir ?
Actuellement nous travaillons majoritairement sur des bateaux de 7,5 mètres ou de 8,5 mètres. Ce sont les plus petits bateaux de la gamme mais nous pouvons aller jusqu’à 18 mètres. Il faut environ dix mois pour faire un bateau complet. Au départ, j’étais très manuel, je construisais des structures. J’aimais faire les bateaux mais je ne peux pas tout faire ! Je suis passé sur la conception aujourd’hui. L’âge aidant, je suis plutôt au bureau, à donner les directives, et mon associé est chef de chantier.
Pour le moment, nous sommes deux fois moins chers qu’un catamaran d’Australie. Pour que cela puisse être possible, j’ai simplifié les formes au maximum. Tout est assez angulaire dans les finitions du bateau. Ce n’est pas forcément du goût de tout le monde ou d’apparence très moderne… Pourtant, c’est de cette manière que nous avons réussi à simplifier la fabrication, que nous avons a réussi à gagner du temps et donc à faire baisser les coûts.
Pour le moment nous ne pouvons pas uniquement faire de la construction de catamaran. Nous prenons pas mal de travaux ou des réparations sur d’autres bateaux. Par exemple, nous avons en ce moment un gros chantier sur un catamaran pour le faire passer de onze à treize mètres. D’où l’intérêt de l’arrivée de Thomas Samiec, l’architecte naval et ingénieur structure. De plus, les Affaires maritimes demandent depuis peu des calculs de structure et de stabilité. Nous sommes les seuls à faire ça sur le territoire.
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Sur le site on peut lire « low-tech » : peux-tu expliquer à nos lecteurs ce que cela signifie ?
Ils le sont pour plusieurs raisons. D’abord, le matériau composite est constitué de bambou. C’est une plante extraordinaire, mésestimée dans le monde. À poids égal, c’est plus solide que l’acier ! C’est le bois le plus souple qui existe. De plus, le bambou pousse en quatre ans, demande peu d’eau contrairement aux idées reçues et fait vivre beaucoup de pays en Asie. Il y a des milliers d’espèces de bambous mais c’est un matériau vraiment fantastique. Il résiste au séisme, au cyclone. Et ça consomme trois à quatre fois plus de carbone que d’autres plantes en raison de sa pousse rapide.
Il y a des petits soucis tout de même. Certaines espèces de bambous ont des cellules un peu grandes qui peuvent prendre l’eau. Il faut faire un traitement particulier. Nous avons aujourd’hui l’expérience pour le faire et une fois fait, ça ne bouge plus du tout. Le fait d’utiliser le bambou avec du nid d’abeille acte d’un matériau très solide et très léger. Par rapport à l’America’s Cup, nous sommes quand même plus lourds mais plus solides et avec un coût divisé par mille !
Nous faisons donc du low-tech high-tech à ce niveau-là. Un bateau de quatorze mètres fait seize à dix-huit tonnes. Imagine Yacht Charter, qui a été construit il y a vingt ans, ne pèse que sept tonnes et demie ! Les bateaux que je construis ici sont encore plus légers. Un bateau de 7,5 mètres, tout équipé, fait 1,6 tonne ! Ce n’est rien du tout.
De ce fait, ça ne consomme presque rien. En moyenne, quel que soit le bateau, on est à peu près à vingt-trois litres par heures, à une vitesse de seize nœuds. Une autre constante, c’est le tirant d’eau : nous avons toujours quarante centimètres de tirants d’eau pour pouvoir passer partout. Les foils aident à soulager le bateau. Ils compensent le poids qu’on met à bord.
La dernière raison concerne nos procédés de fabrication : low-tech signifie le moins d’impact possible. Aujourd’hui nous pouvons fabriquer partout avec très peu de moyens et peu d’outils. Nous avons des outils de garage, des choses assez basiques.
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Est-ce important pour toi d’utiliser des matériaux plus respectueux de l’environnement ? Quel est ton rapport à la nature et à la mer ?
Ce n’est pas forcément mon but premier mais en réalité c’est ce qui se passe et j’en suis bien content. C’est de la logique. Notre plus gros problème aujourd’hui est l’énergie : nous savons qu’elle est limitée, notamment pour les énergies fossiles. Nous arrivons vers une fin de sa disponibilité, donc nous devrions réduire notre dépendance. Avec mes bateaux, c’est un peu plus le cas. Nous consommons assez peu d’énergie à tous les niveaux finalement.
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On a vu passer des posts de sport de glisse passer sur Facebook : amoureux de la glisse ailleurs qu’avec un bateau ? Parle-nous de tes loisirs…
Thomas et moi sommes des marins ! Avec Jean-Louis Colmas, nous sommes fans de planche à voile, nous pensions déjà au foil il y a plus de vingt ans avant que tout le monde ne le pratique. On adore les sports nautiques. Le bateau tel qu’il est conçu est une continuité évidente de ces passions, un bon équilibre entre passion et performance.
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Un dernier mot ou une dernière news ?
Pas forcément ! Seulement dire qu’on essaie toujours d’innover et de faire plaisir aux clients. On a quelques reproches sur le look des bateaux mais c’est toujours un compromis entre un bateau confortable et cher. On essaie de maintenir un équilibre entre prix et exigence de chacun.
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