C’est la journée mondiale de l’Océan ! Comme tous les ans, le 8 juin, le monde célèbre le grand bleu. A journée exceptionnelle, femme exceptionnelle : qui de mieux placée pour parler de l’océan et de sa préservation que la Présidente de la Fondation de la Mer, Sabine Roux de Bézieux ?

Lors de son passage en Nouvelle-Calédonie, elle nous a accordé le plaisir d’un temps d’échanges autour de nos sujets favoris. Femme engagée et inspirante, Sabine œuvre au quotidien en faveur d’un tsunami de prise de conscience. Âmes bleues, cette interview est “fête” pour vous !

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Bonjour Sabine et bienvenue sur NeOcean ! Alors, tu es en tournée du Pacifique avec la Fondation de la Mer ?

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© Sabine Roux de Bézieux

Bonjour NeOcean, merci pour cette rencontre. Je suis, en effet, en « tournée » du Pacifique et plus particulièrement des territoires français qui le composent ! Je viens de passer une semaine en Nouvelle-Calédonie après avoir passé du temps en Polynésie française.

Dans le cadre de la Fondation de la Mer, j’ai déjà pris le temps de visiter la Réunion et Mayotte dans l’Océan Indien, mais aussi la Guyane en Atlantique et les Antilles dans la mer des Caraïbes. La boucle est – presque – bouclée ! Chacun de mes déplacements m’a permis de me rendre compte de la spécificité des territoires, de leur beauté, de leur biodiversité et des enjeux spécifiques auxquels ils doivent faire face.

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Tu es donc la Présidente de la Fondation de la Mer. Peux-tu expliquer à nos lecteurs l’histoire de cette Fondation et sa raison d’être ?

La Fondation de la Mer est une fondation qui a été créée à l’issue du Grenelle de la Mer en 2009. Porté par Jean-Louis Borloo, ce Grenelle avait rassemblé tous les acteurs de l’Océan, que ce soient les institutions publiques, les associations et les entreprises ou encore les scientifiques et navigateurs. L’idée était de partager ses préoccupations, ses envies, ses rêves et définir, tous ensemble, une nouvelle politique maritime pour la France.

Parmi les préconisations qui avaient été formulées, se trouvait déjà l’idée de créer une Fondation de la Mer. C’est officiellement en juin 2015 qu’elle a commencé son activité. Elle est au service de l’étude et de la protection des océans. La Fondation porte une vision française de la mer, dans toutes ses dimensions et aux quatre coins de la planète, puisque la France est le seul pays au monde sur lequel le soleil ne se couche jamais !

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Les territoires ultramarins français : un rayonnement à travers tous les océans © ISEMAR

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Quel est ton rôle au sein de la Fondation ? Comment es-tu arrivée à cette fonction et à cet engagement ?

Je suis Présidente de la Fondation ce qui signifie que mon engagement n’est pas rémunéré. Par passion et conviction, j’y consacre les trois-quarts de mon temps. L’équipe est composée d’un délégué général et une douzaine de personnes qui gèrent les projets opérationnels. Et ils sont nombreux.

Notre mission est d’aider tous ceux et celles qui agissent pour mieux connaître et protéger l’océan. Cela peut prendre des formats très variés : des bourses de recherche à des doctorants, des études scientifiques, du plaidoyer auprès du Gouvernement, du soutien pour des projets autour de la protection des océans, de la lutte contre les pollutions plastiques, des partenariats avec l’Éducation nationale pour sensibiliser les plus jeunes… Sans oublier aussi le soutien aux entreprises qui sont porteuses, elles aussi, de solutions en faveur de l’océan. Nous voulons développer nos actions ici, en Calédonie.

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Sabine à l’OEIL de Nouvelle-Calédonie ! © Sabine Roux de Bézieux

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Dans le cadre de ton mandat au CESE (Conseil économique, social et environnemental), tu viens de travailler sur un Avis sur le Traité de l’ONU contre la pollution plastique. Est-ce le thème qui te tient le plus à cœur ?

C’est un sujet qui me tient à cœur car j’ai grandi avec la mer ; je suis originaire du Pouliguen, sur la côte atlantique en métropole. Quand j’étais petite, il y avait des galettes de mazout sur les plages. Aujourd’hui il y a du plastique partout !

La pollution plastique est devenu central dans l’esprit de tout le monde. Nous avons tous ces images de tortues dans un filet de pêche, ou celle de l’hippocampe s’enroulant autour d’un coton-tige. Le plastique est devenu la représentation de la pollution en mer. C’est par cette image que le combat est arrivé sur le devant de la scène.

De ce fait, différentes instances se sont emparées de cette question afin de créer des législations favorables à la limitation du plastique. En France bien sûr, mais partout dans le monde ! En mars 2022, le programme des Nations Unies pour l’environnement a voté une résolution pour qu’il y ait un traité international, juridiquement contraignant. C’est formidable, cela signifie que les choses évoluent dans le bon sens au sein des institutions internationales.

Au CESE national, à Paris, dont je fais partie au titre de la Fondation de la Mer, nous avons décidé de nous saisir du sujet et de formuler des propositions au Gouvernement français pour qu’il aille porter un ambition élevée dans cette lutte contre la pollution plastique.

La Fondation de la Mer est engagée depuis longtemps sur ce sujet, notamment à travers des actions concrètes. Par exemple, nous sommes à l’origine de la plateforme collaborative « Un geste pour la Mer », où sont référencées plus de 200 associations de terrain qui organisent des collectes de déchets et de la sensibilisation. Le site internet permet aussi d’organiser soi-même une campagne. J’aimerais beaucoup que les associations calédoniennes se joignent au mouvement. Il suffit qu’elles s’inscrivent sur la plateforme internet. Elles peuvent même demander un financement.

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Comment garantit-on la cohérence de ce type d’actions au niveau international où chaque pays applique des normes différentes sur leur espace maritime ?

Il y a plusieurs leviers. En France, nous avons la chance de faire partie de l’Union européenne et de travailler en étroite collaboration avec les autres États membres. Nous essayons de transposer des mesures nationales au cadre européen. À titre d’exemple, nous pouvons prendre la loi initiée par une ancienne ministre, Brune Poirson, aujourd’hui au conseil d’administration de la Fondation. Elle notamment mis fin aux sacs plastiques  jetables aux caisse. Cette loi a été très critiquée et pourtant elle est devenue aujourd’hui une directive européenne. Ainsi, nous nous apercevons que la France peut être entendue au-delà de ses frontières sur des sujets environnementaux. Mais attention la France n’est pas la bonne élèves de l’Europe sur ces sujets. Il reste beaucoup à faire.

Par ailleurs, à travers la voix des territoires d’outre-mer français, nous pouvons aussi partager de bonnes pratiques. Cela concerne les pollutions plastiques mais aussi bien sûr tous les sujets liés à l’Océan. Je pense en particulier à la recherche scientifique française.  Les meilleurs instituts de recherche se trouvent en Nouvelle-Calédonie : IRD, IFREMER,… Toutes ces personnes travaillent ensemble à travers un réseau océanien dynamique afin de partager les connaissances et les solutions !

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En Nouvelle-Calédonie, nous parlons beaucoup du moratoire sur l’exploration des fonds marins ces dernières semaines. Quel est ton avis sur la question ?

On connait moins bien les fonds marins que la surface de la Lune ! Le principal enjeu pour les fonds marins est d’aller les explorer et les découvrir pour comprendre ce qui les compose. Il y a une vie sous-marine absolument incroyable et en Nouvelle-Calédonie, les chercheurs en découvrent tous les jours. Chaque fois qu’il y a une expédition scientifique au-delà d’une certaine profondeur, il y a de nouvelles espèces qui sont découvertes !

Ce n’est pas étonnant d’ailleurs ! Jusqu’aux années 1970, les chercheurs ne savaient pas qu’il y avait de la vie au-delà de cent mètres de profondeur – noir complet oblige ! Nous avons dû attendre de découvrir la chimiosynthèse avant de comprendre que la vie pouvait exister malgré tout ! C’était il y a cinquante ans : c’est très récent ! Les fonds marins sont avant tout un espace à découvrir. Il faut y mettre de la technologie capable d’explorer ce qui s’y trouve en récoltant des données.

En parallèle,  se pose la question de l’exploitation minière. La Fondation a travaillé le sujet et publié un rapport, début juin 2022. Nous sommes allés le présenter devant les instances gouvernementales françaises et jusqu’à l’Élysée. Cette démarche a porté ses fruits : en juillet le Président de la République a annoncé à Lisbonne, lors de la Conférence de l’Océan des Nations Unies, que la France s’engageait contre l’exploitation minière des fonds marins. La COP 27, en novembre dernier, a été l’occasion de réitérer cette position.

Concernant la Calédonie, vous envisagez un moratoire pour dix ans. C’est une approche très intéressante et pragmatique. C’est affirmer qu’en l’état, vous n’êtes pas à même de prendre une décision concernant l’exploitation des fonds marins car vous ne les connaissez pas assez. 100% des scientifiques s’accordent sur ce point. Vous êtes un pays minier, vous savez les avantages et les blessures que cette industrie peut causer à l’environnement. De ce fait, mettre en place un moratoire afin de laisser les générations futures prendre cette décision est d’une grande sagesse océanienne.

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Quand on s’intéresse un peu à la préservation des mers et des océans, on peut vite devenir alarmiste… Mais doit-on devenir fataliste pour autant ?

Ce n’est pas du tout la position de la Fondation – ni la mienne ! Il faut faire rêver les gens vis-à-vis de la mer et surtout, leur dire que ce n’est pas trop tard. Tout le monde peut agir. En Nouvelle-Calédonie, les scientifiques avec qui j’ai pu discuter sont optimistes sur certains points : il y a plus d’herbiers qu’avant, les récifs coraliens sont en bonne santé, et il y a plus de tortues qu’il n’y en avait il y a dix ans.

Certes, il y a des phénomènes de blanchissement que personne ne peut nier à cause du réchauffement climatique. Nous savons aussi que ces effets négatifs risquent de s’accélérer dans les prochaines années. Mais les scientifiques travaillent avec précaution, avec soin et la prise de conscience est collective et grandit. Tant de points pour rester optimiste et non fataliste !

Je pense que les enfants ont un grand rôle à jouer sur le futur de nos océans. Mais attention, il ne faut pas les traumatiser pour autant… Nous avons tous un rôle à jouer pour les sensibiliser aux enjeux de l’océan en les émerveillant grâce à sa beauté. À la manière dont ils prennent soin de leur peluche, ils prendront soin aussi de lui. Ils sont naturellement enclins à développer de l’affection pour ce qui les entoure, que ce soit une aire marine protégée ou les espèces qui s’y trouvent. Nous devons leur rappeler que la vie vient de l’océan, que notre corps est composé en partie de plasma marin. C’est notre passé, notre présent et notre avenir.

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Tu as aussi d’autres activités, à la fois bénévoles et à la fois entrepreneuriales. Peux-tu nous en dire un mot ?

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© Araok

Avec mon mari, nous avons notre propre Fondation. Elle s’appelle Araok, du nom de la maison de famille au Pouliguen. Elle est dédiée à l’égalité des chances et à la lutte contre l’exclusion. Nous nous occupons beaucoup des jeunes et des personnes les plus démunies. Mon engagement à la Fondation de la Mer est un supplément à cet engagement social. Par ailleurs, je suis aussi cheffe d’entreprise.

Avec ces trois engagements, j’ai l’impression d’essayer de combiner tout ce qu’il faut pour être heureux sur cette terre, tout en donnant à chacun les mêmes moyens. Un emploi d’abord, pour subvenir à ses propres besoins et celui de sa famille. Mais aussi de l’éducation et du soutien. Enfin, j’ai à cœur la protection de l’environnement.

C’est notamment pour ces trois engagements que je suis une représentante au CESE. J’ai eu l’honneur de rencontrer le Président du CESE Nouvelle-Calédonie, Jean-Louis d’Anglebermes, mais aussi beaucoup d’entreprises et de membres d’associations environnementales. Je suis très impressionnée par la qualité des personnes rencontrées et leur sens de l’innovation, de l’entrepreneuriat, dans des conditions parfois difficiles. Continuons à nous engager et à partager nos savoir-faire !

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Non loin de sa terre natale, au Croisic… © Sabine Roux de Bézieux

Peux-tu nous expliquer d’où te vient ce lien à l’océan et cette conscience de le préserver ?

J’ai grandi dans une maison qui donnait sur la plage. Je voyais quotidiennement les marées, le rythme des saisons sur l’eau. J’ai appris la navigation sur des optimists et je passais le plus clair de mon temps dans l’eau ou sous l’eau. Bref, je suis une enfant de la mer qui a développé une fascination pour elle. En grandissant, j’ai pris conscience des pollutions plus nombreuses et mon envie de m’engager n’a cessé de croître. Je me suis enrôlée dans la Réserve citoyenne de la Marine et c’est par ce biais que j’ai pu entrer dans le projet de la Fondation de la Mer.

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Une dernière actualité ou un dernier mot à partager avec nos lecteurs ?   

En juin 2025, se tiendra à Nice, la prochaine Conférence de l’Océan des Nations Unies – UNOC 2025. Le Président de la République s’est battu pour que cette conférence internationale se tienne en France. C’est une grande chance que nous puissions accueillir cet événement pour défendre notre vision de la mer. Vous pouvez compter sur la Fondation pour mettre en avant ces formidables territoires ultramarins français et maintenant que je les connais mieux, j’aurais énormément d’histoires à raconter !

Nous avons aussi un très beau programme en faveur des récifs coraliens : SOS Corail. C’est une plateforme de crowdfunding avec plusieurs projets en Nouvelle-Calédonie. Notre rôle est d’aider à lever des fonds en métropole mais nous avons besoin de tout le soutien possible localement. Alors n’hésitez pas à aller jeter un coup d’œil, et pourquoi pas, participez au financement d’un projet !

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© SOS Corail

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