Crédit photo © Niko Vincent
Quand votre chien s’appelle Reef, c’est que vous êtes définitivement accroc à la mer et aux coraux ! C’est le cas de Sandrine Job, biologiste marin spécialisé(e) dans l’étude des récifs coralliens depuis plus de dix ans. Cette ingénieure est surtout à l’origine de la création de l’association « Pala Dalik, l’écho du récif« .
Alors que son activité professionnelle et son engagement associatif l’amènent à se déplacer tout autour de la Grande Terre et des Îles Loyauté, nous l’avons rencontrée dans ses bureaux, en compagnie de son « corail à quatre pattes ». Elle nous a raconté l’histoire de l’association et son lien privilégié à la mer. Plongées, surveillance des coraux, suivis scientifiques, sensibilisation auprès des plus jeunes… Rencontre avec une femme à cent à l’heure, aussi engagée qu’inspirante.
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Bonjour Sandrine et bienvenue sur NeOcean ! Toujours en mouvement autour de la Grande Terre avec Pala Dalik ?
Bonjour NeOcean, je suis Sandrine Job, fondatrice de « Pala Dalik, l’écho du récif« . C’est une association environnementale et club de plongée sous-marine que j’ai créée en 2011 afin de faire entrer la société civile dans la surveillance des récifs. En effet, à ce titre, nous bougeons un peu partout sur la Grande Terre et les îles Loyauté.
Assez rapidement, nous avons commencé à faire de l’éducation environnementale. L’idée est d’aller voir les récifs de Nouvelle-Calédonie et de restituer ces informations aux Calédoniens, tout en portant un message de préservation. Nous ne nous concentrons sur aucune zone en particulier ; nous sommes partout où il y a des récifs et un besoin d’éducation.
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Qu’est-ce qui t’a poussé à créer cette structure ? Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez avec l’association ?
Cette association a un fond scientifique et, de fait, elle est très liée à mes compétences de biologiste marin. En 2009, j’ai hérité du projet du « Réseau d’Observation des Récifs Coralliens (RORC) » de Nouvelle-Calédonie et dès la première année, je me suis rendue compte que les techniques que nous utilisions étaient largement déployables et réalisables par tout le monde, sous réserve d’une formation bien sûr.
C’est pourquoi j’ai créé Pala Dalik sous forme d’un club de plongée affilié à la FFESSM, la Fédération Française des Études et Sports Sous-Marins, afin de faire participer les plongeurs aux suivis des récifs dans un cadre sécuritaire et réglementaire. Ainsi, avec l’association, nous assurons les suivis du RORC depuis treize ans. Les plongeurs bénévoles inventorient la santé des récifs au travers de certaines espèces facilement identifiables et porteuses d’un message écologique. Au démarrage de l’association, nous n’avions que ce volet d’observation en plongée.
Puis en 2014, nous sommes intervenus par hasard dans le cadre de la Fête de la Science de Lifou pour parler des récifs coralliens. Ce volet de sensibilisation nous a beaucoup plu et c’est ainsi que nous avons développé une première animation, puis une deuxième, puis une troisième, notamment pour les plus jeunes. Une quatrième animation est en cours de création et utilisera des casques en réalité virtuelle pour immerger les enfants au cœur des récifs depuis leur chaise d’école !
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Quels sont vos partenaires privilégiés dans la conduite de ces actions ? Lesquels cherchez-vous à toucher ?
Nos partenaires sont toutes les personnes ou structures qui nous aident à mener à bien nos actions. Pour la partie plongée, je pense notamment à « Babou Côté Océan » à Hienghène, à Aqualagoon à Poindimié, à Odyssey sur Nouméa ou à la SNSM de Koumac. Pour le déploiement de notre exposition itinérante, nous nous greffons parfois au châpito. L’association Symbiose et Animasciences nous ont beaucoup aidé sur le volet éducation. Nous recevons des soutiens financiers de la part des trois Provinces et nous avons aussi des mécènes qui aident grandement à assurer notre fonctionnement, comme la BNC, PG Consult ou GP2M. Nous pouvons aussi compter sur l’État, via l’IFRECOR, qui nous vient en aide quand on est à court de financements. Enfin, l’Agence néo-calédonienne de biodiversité participe à la coordination du RORC.
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Tu nous as parlé du RORC : peux-tu nous en dire plus sur cet outil ?
Le Réseau d’Observation des Récifs Coraliens de Nouvelle-Calédonie, alias le RORC, est un réseau qui existe depuis 1997. Historiquement, il n’y avait que 6 stations de suivi, dans la zone de Nouméa. C’était plutôt un projet pilote les premières années. À partir de 2003, le RORC s’est étendu au trois Provinces. À l’heure actuelle, le réseau comprend 96 stations de suivi dont 48 sont suivies par Pala Dalik.
Les autres stations sont suivies par différents acteurs : il y a les gens des Îles, l’Aquarium des lagons de Nouvelle-Calédonie ou encore des associations comme Hô-üt à Touho. Le RORC est le seul réseaux de suivi pérenne ethomogène à l’échelle du territoire : la multiplicité des récifs visités permet de sortir des grandes tendances sur la santé de nos récifs et leur évolution au cours du temps. Plus on a de données et plus notre interprétation est juste.
L’association participe à la communication des résultats au grand public, via notre Facebook, des articles de presse, des interventions radio ou télévisées, et également par la mise en ligne des résultats sur le portail cartographique du gouvernement Georep.nc. La communication vers les gestionnaires de l’environnement, les Provinces, est réalisée par ma société, CORTEX, qui réalise aussi les analyses, interprétations et rapports scientifiques inhérents à ce suivi.
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Quarante-huit stations d’observation pour Pala Dalik, ce n’est pas rien ! Où trouvez-vous autant de bénévoles pour assurer ce suivi ?
Nous sommes toujours à la recherche de bénévoles plongeurs ! Heureusement, nous avons pas mal de gens qui nous contactent pour rentrer dans l’association. Nous faisons beaucoup de communication sur les réseaux sociaux, ce qui semble porter ses fruits. Il existe un fichier d’inscription en ligne sur notre page Facebook.
Pour participer en bouteille, il faut avoir minimum le niveau 2 de plongée en bouteille puisqu’il faut être capable de plonger en autonomie. Pour participer en apnée, il faut être résident des îles Loyauté et à l’aise en apnée. Le RORC aura toujours besoin d’observateurs : avec une centaine de bénévoles chaque année on s’en sort bien pour réaliser le travail de suivi. Rejoignez nous !
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Le volet sensibilisation est une part importante de votre activité associative : quels sont les leviers que vous utilisez pour intéresser les plus jeunes à la santé des récifs ?
Nous avons plusieurs outils pour sensibiliser les plus jeunes. Pour commencer, il y a l’exposition PROXI-RÉCIFS, que nous avons créé pour célébrer les dix ans d’existence de l’association. Nous avons souhaité valoriser les outils pédagogiques, films, jeux, panneaux d’information, que nous avons mis en place au cours des différentes animations scolaires, stands lors d’événements, auxquels nous avons ajouté de nouveaux outils comme les casques en réalité virtuelle.
Dans cette exposition de trente mètres carrés, nous avons mis en place tout un parcours autour de la connaissance des récifs. L’exposition est composée de six espaces évolutifs. On commence par « c’est quoi un corail ? » et on finit par « comment je peux m’engager, à mon échelle, pour la préservation des récifs ? ». Nous l’avons pensé comme un déroulé logique : au travers de l’acquisition de connaissances, nous souhaitons que nos visiteurs prennent conscience de leur impact pour pouvoir agir autrement.
Pour créer cette prise de conscience, nous faisons appel à tous les sens : le toucher avec des jeux, la vue avec des casques de réalité virtuelle, l’auditif avec des vidéos et des discussions… Les visiteurs apprennent en pratiquant et en se posant des questions. C’est la base de la science ! C’est aussi une co-construction du savoir avec beaucoup d’interactions pour que les connaissances restent.
Enfin, il y a aussi des interventions en milieu scolaire. Nous en avons développé trois, sur les récifs coralliens et leur inscription au patrimoine mondial, depuis le cycle 3 jusqu’au lycée. Généralement, ce sont nos membres biologistes marins que nous mettons à contribution sur ces interventions.
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Quel bilan ferais-tu de ces années d’existence de l’association et des actions menées jusqu’à présent ?
C’est un bilan plutôt positif ! L’association a treize ans, ce qui prouve sa stabilité. Nous avons réussi à suivre le rythme des observations annuelles malgré des moments financiers difficiles, des météos compliquées et la crise Covid… Grâce à toute cette belle énergie bénévole, nous n’avons jamais failli à notre mission de suivi : la régularité dans la science est primordiale.
Honnêtement, ce réseau de suivi est exceptionnel, au niveau local comme mondial. Tout comme le sont nos récifs ! Dans le cadre de mon activité professionnelle, je fais face à beaucoup de cas dans le monde entier : le suivi que nous avons ici, en Nouvelle-Calédonie, comprend un grand nombre de points d’observation et il est très robuste au niveau scientifique. C’est important puisque nos données circulent dans le monde entier. Elles doivent être fiables. Des instances internationales les utilisent ; c’est une belle reconnaissance du travail que nous réalisons et une crédibilité supplémentaire de sa qualité. C’est un gage de réussite !
Au niveau scolaire, nous avons de nombreuses sollicitations. Cela nous conforte dans le fait que nous sommes utiles et nécessaires. Et en même temps, cela nous inquiète puisque, d’une certaine manière, cela signifie aussi que sans nous, il y aurait un manque… Nous restons une petite association, nous n’avons pas de salarié, pas de locaux, peu de moyens…
Tout le travail effectué est sur la base du bénévolat. C’est beaucoup d’énergie et d’investissement qui repose sur une poignée de femmes et d’hommes. Si nous voulons pérenniser le RORC sur le long terme, la création d’un poste salarié pour coordonner le réseau pourrait être envisagée.
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Tu sembles avoir un emploi du temps très chargé avec toutes tes activités et déplacements : c’est quoi une journée type de Sandrine ?
Je n’ai pas de journée type ! Mes semaines ne se ressemblent pas et c’est d’ailleurs pour ça que j’aime ma vie et mon métier. J’ai construit mon activité autour du fait que la routine n’est pas mon fort ; j’aime le changement et l’adaptation.
Pala Dalik a été créée à un moment où je trouvais moins de sens à mon activité professionnelle : je fais de l’expertise-conseil en milieu récifal. A cette époque je traitais beaucoup de dossiers réglementaires. L’association m’a donné un second souffle car elle a fait entrer l’Homme dans l’équation de la conservation de la nature. Que nous soyons avec les enfants à l’école, sur un stand, sous l’eau ou à former des bénévoles, c’est cette partie qui me fait vibrer. On ne peut pas préserver l’environnement sur le long terme si on ne replace pas l’Homme, destructeur ou protecteur, au sein de la nature.
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En dehors de la plongée, as-tu d’autres loisirs nautiques ? D’où te vient ton lien à l’océan ?
Déjà, je suis Marseillaise ! À la base ce n’est pas l’océan, mais la mer, la « Belle Bleue » comme on l’appelle. J’ai commencé la plongée assez jeune, puis je suis partie faire mon monitorat aux Antilles, où j’y ai découvert les récifs coralliens. J’ai fini mes études par un master d’écologie tropicale en Australie. Une fois ces diplômes en poche, j’ai tout de suite trouvé du travail et c’est comme ça que j’en suis venue à m’installer en Nouvelle-Calédonie.
J’habite sur un bateau depuis 2017, mon conjoint est marin, mes enfants sont comme des poissons dans l’eau, et j’ai même un chien marin… tout tourne autour de l’eau chez moi ! Ça a toujours été comme ça et ça le restera. Mes perspectives sont d’ailleurs de totalement lâcher la terre pour n’être qu’en mer.
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Quelle est la chose la plus marquante que tu as vécu lors d’une plongée ?
En termes de fait marquant, c’est le côté exceptionnel des récifs calédoniens dans leur globalité qui me vient à l’esprit. Où qu’on aille dans le lagon, ils sont remarquables.
Sur les îles Loyauté, je suis impressionnée par la rapidité de régénération des récifs après impact, par exemple suite aux cyclones de 2021. Sur la côte Est, malgré des apports de terre chroniques sur les littoraux, à Thio ou à Poindimié par exemple, les coraux continuent de pousser et de se régénérer. C’est exceptionnel et cela va à l’encontre des connaissances décrites dans les publications scientifiques. Comme quoi, nos récifs sont encore forts et arrivent à s’adapter. Mais « jusqu’à quand ? » : c’est la grande question à laquelle on ne peut pas répondre…
Malgré et peut être même à cause de cette formidable capacité d’adaptation, il faut prendre soin de nos récifs et tout faire pour ne pas les perturber. On sait que le réchauffement climatique va s’aggraver et menace sérieusement les écosystèmes marins, c’est aujourd’hui qu’il faut faire les efforts pour préserver la richesse et la beauté de nos récifs. Chaque geste compte.
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Une dernière actu ou un dernier mot pour nos lecteurs ?
Nous revenons de Ouégoa où nous avons fait notre suivi annuel. En 2016, ces récifs avaient subi un blanchissement corallien et ils sont aujourd’hui nettement en meilleure santé. Encore une bonne nouvelle pour nos récifs ! Espérons que cela dure et que les générations futures aient la chance de voir les mêmes choses que nous. Cela ne dépend que de nous !
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