Magalie et Cyril naviguent ensemble depuis plus de vingt ans, et ils viennent tout juste de poser à nouveau pied à terre en Nouvelle-Calédonie, après un deuxième tour du monde à bord de leur catamaran, le « Black Lion ». À leur actif, des milliers de milles, des galères, des merveilles, des vidéos qui font rêver et surtout une passion intacte pour la mer, et pour leur vie hors des sentiers battus. La rédac’ est allée à leur rencontre et ils reviennent sur ce grand voyage, les changements qu’ils ont constatés autour du globe, et la façon dont on tient la barre à deux, envers et contre tout.

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Bonjour Magalie et Cyril, bienvenue sur NeOcean ! Alors, poser pied à terre après un deuxième tour du monde, ça fait quoi de retrouver Nouméa ?

Magalie : C’est un vrai plaisir. On est un peu sur un petit nuage en ce moment, parce qu’on retrouve des amis de vingt ans, des souvenirs, ça fait tout drôle. On était déjà partis une première fois entre 2010 et 2016, puis on est revenus deux ans ici, avant de repartir pour sept années. Et là, c’était la première fois depuis tout ce temps qu’on revenait.

Cyril : Oui, il y a eu beaucoup de changements sur les marinas depuis notre départ. Avant, tout était complet à Port du Sud et Port Plaisance, mais là, on remarque qu’il y a un peu plus de place. Et surtout, on a été très bien accueillis. On est vraiment contents de retrouver le lagon calédonien, aussi propre qu’on l’a laissé il y a sept ans. C’est loin d’être le cas ailleurs dans le monde.

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Ce n’est quand même pas tout le monde qui boucle deux fois la planète. Vous vous souvenez du moment où vous vous êtes dit « Allez, on repart » ?

Cyril : Oh oui, très bien. En fait, ça a été presque immédiat. C’est comme une drogue. On a tout fait pour pouvoir repartir, entre YouTube, les livres que Magalie écrit, etc. On s’organise pour financer nos voyages. On a du mal à s’imaginer à terre. On a cette chance d’être passionnés tous les deux, en couple. Et notre fils aussi, avec qui on avait fait le premier voyage, partage cette passion. D’ailleurs, on est arrivés il y a à peine quinze jours, et on sait déjà qu’on ne va pas rester trop longtemps. On a de nouveaux projets en tête. Pas un autre tour du monde, mais des voyages différents.

Magalie : Oui, le prochain objectif, c’est d’aller rejoindre notre fils en Afrique du Sud, où il est en train de construire son propre catamaran. Et à partir de là, on aimerait faire des navigations différentes, vivre d’autres expériences que celles des deux premiers tours.

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En vingt ans de navigation, vous avez dû voir la planète changer ; qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?

Cyril : Le changement climatique, sans hésiter. En mer, c’est très concret. On subit des coups de vent beaucoup plus violents et surtout beaucoup plus imprévisibles. Ça fait 17 ans qu’on navigue autour du monde, et la météo est devenue bien plus difficile à anticiper. Avant, on suivait simplement les bulletins météo. Maintenant, on observe le ciel, on se méfie, on se protège au maximum. On a compris qu’il y avait de nouveaux phénomènes à prendre en compte.

Magalie : Et puis il y a la faune qui change. Il y a beaucoup moins de poissons. Ici et en Polynésie, on est relativement protégés. Mais ailleurs, c’est souvent catastrophique. Il y a des déchets partout. On a même vu des dauphins avec des ulcères sur la peau, c’est choquant. À chaque fois qu’on met une caméra sous l’eau, on le constate. C’est de plus en plus fréquent. Les poissons sont aussi malades. Avant, on pêchait du mahi-mahi pendant les traversées, sans souci. Ces dernières années, on a été malades plusieurs fois après avoir mangé nos prises. Et les coraux, en Polynésie, il y a vingt ans, c’était fleuri d’anémones. Là, en repassant, on a eu un choc. C’est triste, et ça fait peur. L’impact du tourisme de masse aussi se voit clairement. La Calédonie est encore préservée, et il faut absolument que ça continue. Mais dès qu’on monte vers l’Indonésie, la Malaisie ou la Thaïlande, c’est une catastrophe. Même s’ils font des efforts, le mal est déjà là. Et maintenant, ce sont les microplastiques. On a toujours peur de percuter un filet ou une bouée. C’est déjà arrivé plusieurs fois, on ne comprend pas ce qu’ils font là.

Cyril : Il y a vingt ans, on voyait quelques bouteilles en plastique et on disait « c’est pollué ». Aujourd’hui, il y a des microplastiques partout, jusque sur les plages. Tout ça, c’est en seulement vingt ans. On l’a vu évoluer à travers deux tours du monde. On a croisé un cachalot malade près des Tonga, à la surface, on ne sait pas ce qu’il avait, mais il n’allait pas bien. C’est un ensemble de choses : moins de coraux, moins de poissons, moins de dauphins. Et tout ça en deux décennies. C’est effrayant.

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La mer, on le sait, ça peut secouer les cœurs autant que les coques. C’est quoi votre recette à bord pour garder le cap à deux, année après année ?

Magalie : C’est l’amour, vraiment. On a un rêve commun, on a appris ensemble, avancé ensemble, et surtout, on garde le même cap. On se complète sur le bateau, on est en harmonie. Lui, c’est le capitaine ; moi, je suis la cuisinière. Et chacun soutient l’autre quand il y a un coup dur. Il faut vraiment s’aimer profondément, parce qu’on est ensemble 24h sur 24. On a traversé des tempêtes, comme tous les couples, mais finalement la mer renforce. Elle révèle aussi. Beaucoup de couples se séparent à cause du bateau. Parce que souvent, c’est le rêve du mari. Et si la femme n’aime pas ça, elle le subit. Et la mer, si tu l’aimes pas, tu ne tiens pas. C’est une vie compliquée. Beaucoup de gens nous disent qu’on a de la chance, mais ce n’est pas de la chance, c’est une volonté. Ce n’est pas toujours un rêve. Parfois, on se demande ce qu’on fait là. Mais ça passe vite, parce qu’on aime vraiment ça.

Cyril : C’est vrai. On a eu de la chance avec notre fils aussi. Il a tout de suite accroché. Ce n’est pas toujours le cas, beaucoup d’enfants veulent retrouver leurs copains, leur vie. Lui, il a été piqué comme nous. Et ces derniers mois, ça a été particulièrement dur. Après sept ans en mer, on se fait percuter par un bateau aux Tonga, qui nous a abîmé le mât. Le moteur nous a lâché à trente milles de la passe de la Havana… Là, on a besoin de souffler un peu.

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Vous partagez tout ça sur votre chaîne Youtube, et vos vidéos font rêver des milliers de personnes ! Vous vous attendiez à un tel engouement ?

Magalie : Ah pas du tout ! C’est vraiment arrivé par hasard. À la base, la chaîne Youtube n’était même pas prévue. On avait réalisé une vidéo de 2h30, dédiée à notre fils, et c’est avec ça que tout a commencé. Quand on l’a postée, on était au Sri Lanka. Puis le premier confinement est tombé, on a été éjectés du pays, et on a erré 26 jours dans l’océan Indien à chercher un endroit où aller. Finalement, c’est Mayotte qui nous a accueillis. Et là, on a découvert que notre vidéo avait des milliers de vues ! Au départ, notre chaîne comptait dix abonnés, c’était la famille, les amis, notre fils. C’est parti de là, et on a continué.

Cyril : Et aujourd’hui, on réalise à quel point on influence les gens. Quand on croise ceux qui nous suivent, ils nous disent que c’est grâce à nous qu’ils ont acheté un bateau. Il y en a même qui ont tout quitté pour prendre la mer ! Certains sont allés jusqu’à se séparer de leur conjoint qui ne voulait pas partir… On se sent parfois un peu responsables. Ce sont des histoires drôles à raconter, mais pas toujours faciles.

Magalie : On est restés nous-mêmes depuis le début. Quand on a commencé les vidéos, c’était pour notre fils. Il nous connaît, donc on ne joue pas un rôle. Il n’y a pas de scénarios, pas de mise en scène. C’est nous, tout simplement.

Cyril : Quand c’est bien, on le dit. Quand ça va mal, on le dit aussi. On ne cache rien. Je pense que c’est ce qui plaît dans nos vidéos, notre sincérité. Ce qui est plus dur à gérer, en revanche, ce sont les haters. Parce que nous, on veut juste apporter du bonheur. Alors se faire démonter gratuitement par des gens qui ne nous connaissent même pas, ce n’est pas évident à encaisser.

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Est-ce que vous sentez que vos images peuvent aussi sensibiliser ?

Cyril : On essaie, oui. On parle souvent d’écologie dans nos vidéos. Par exemple, pendant le Clean Up Day, en septembre, on a accueilli douze personnes à bord, et on est allés nettoyer une plage en Malaisie.

Magalie : Ce sont de petites actions, à notre échelle, mais on y tient. On montre qu’on pêche moins qu’avant, on filme les coraux quand ils sont morts. À chaque escale, on raconte ce qu’on voit, ce qu’on ressent. En Polynésie, on a constaté qu’il y avait beaucoup moins d’oiseaux, et on en a parlé. Il y a aussi l’impact d’El Niño, la verdure qui pousse sur la coque en à peine 24 heures. Ça, on n’avait jamais vu en 17 ans. Ou encore certains bateaux qui rejettent des déchets toxiques dans des zones protégées. Quand on est témoins de ce genre de choses, on en parle dans les vidéos. Ensuite, chacun se fait son opinion.

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Vous voilà de retour à Nouméa, mais pour combien de temps cette fois ? Un prochain départ en tête ou plutôt envie de jeter l’ancre pour de bon ?

Cyril : Avec nous, c’est vraiment au jour le jour. Là, on change les moteurs, parce qu’ils ont 17 ans. On répare aussi les dégâts de notre accident. Mais notre objectif, c’est d’être en Afrique du Sud pour la sortie du bateau de notre fils, en septembre ou octobre 2026. Il nous faut un peu de sous pour repartir, donc on va devoir travailler entre-temps. On a essayé de vivre de Youtube, mais c’était trop compliqué.

Magalie : Heureusement, on forme une bonne équipe, que ce soit sur le bateau ou au boulot. C’est notre force.

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Et enfin, pour celles et ceux qui rêvent de tout plaquer pour prendre le large, quel message vous auriez envie de leur transmettre ?

Cyril : De partir le plus tôt possible. Ne pas attendre. Ça fait vingt ans qu’on le dit et en vingt ans, on a pris vingt ans de plus. Ce n’est plus pareil. Je me rends compte que j’ai moins de réflexes sur le bateau. J’ai 51 ans, ce n’est pas vieux, mais je sens la différence. Avant, j’encaissais plus facilement les moments difficiles. Aujourd’hui, je fatigue plus vite. C’est une vie physique. Plus on vieillit, moins on a de réflexes. Donc si on peut partir tôt, il faut le faire. J’ai un mauvais exemple à donner : on a un ami qui s’était enfin décidé à partir. Son bateau était prêt. Il avait pris sa retraite à 54 ans pour vivre son rêve. Il est mort d’un arrêt cardiaque deux jours avant de partir. C’est un exemple marquant, tout peut arriver à tout moment. Alors si c’est possible, autant partir dès que c’est possible et travailler après.

Magalie : Et puis chacun a ses propres rêves. Il n’y a pas que le tour du monde ! Rien qu’ici, dans le Pacifique, il y a des choses magnifiques à vivre. Il faut y aller. Et dans le monde du bateau, tout change très vite. Il y a de plus en plus de restrictions. Ils essaient d’appliquer aux bateaux les mêmes règles qu’aux camping-cars, mais ça ne marche pas. Sur terre, tu dois bouger toutes les 24 ou 48h. En mer, tu dépends de la météo, de ton ancrage, de ta sécurité. C’est incomparable.

La Calédonie reste un modèle pour nous. Le lagon est protégé, il y a des bouées gratuites, c’est exceptionnel. Ailleurs, souvent tout est payant. On nous dit que c’est pour protéger l’environnement, mais dans les faits, c’est surtout financier. Beaucoup mettent l’écologie en avant, mais ne font rien de concret. Il n’y a pas tant d’endroits dans le monde où l’écologie est une vraie priorité, et pas juste une façade économique.

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