Le lagon calédonien recèle de bien des mystères et parmi eux, quelques « fortunes de mer » demeurent non élucidées. Un appel à l’aventure ? Pour Jean-Paul Mugnier, de l’association Fortunes de mer calédoniennes, féru d’histoire maritime et d’aviation, c’est certainement le cas. Lors de notre rencontre, Jean-Paul nous a raconté le récit captivant d’une vie d’exploration, à la recherches des épaves enfouies de Nouvelle-Calédonie. À bord d’un avion ou d’un bateau, il nous embarque dans l’histoire maritime du Caillou dont il reste encore tant à découvrir ! 

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Alors, quelles sont vos richesses favorites chez Fortunes de mer calédoniennes ?

Bonjour NeOcean, bienvenue dans l’antenne du Musée Maritime, qui est aussi notre local de FDMC, que vous connaissez déjà il me semble ! En fait, le terme de « Fortunes de mer » a causé quelques quiproquos parce que les gens ne savent pas ce que ça signifie réellement. On nous demande souvent où sont cachés les Louis d’Or alors qu’en fait, dans le milieu, tout le monde sait que ça signifie simplement un évènement dommageable qui se produit au cours d’une expédition maritime… Un naufrage, par exemple. 

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Et à ce niveau-là, il y en a des chose à dire ! Mais avant ça, peux-tu commencer te présenter à nos lecteurs à travers quelques moments clés de ton parcours ? 

Je m’appelle Jean-Paul Mugnier, je suis vice-président de l’association Fortunes de mer calédoniennes (FDMC) et j’aurai trois quarts de siècle le mois prochain. C’est mieux que de dire que 75 ans, non ? Je suis un passionné de mer et d’aviation et j’ai passé ma vie dans ce milieu. 

J’ai grandi dans une fratrie de six enfants et, petits, nous avons pas mal voyagé sur la côte Atlantique. Cet océan m’a fait aimer la navigation, la pêche et la plongée. J’ai découvert ma première épave à 15 ans, à l’extérieur de l’estuaire de la Gironde, où habitait ma sœur. Ça m’a donné le goût de l’histoire maritime, c’était la première étape de mes futures passions ! Et puis, deuxième hasard de la vie, mon frère ainé est venu s’installer en Nouvelle-Calédonie en 1961. Sa première épouse est décédée et il s’est remarié avec une fille de la famille de Clément Brunelet, entrepreneur, mineur et éleveur renommé. 

Sa famille a facilité l’intégration de mon frère dans la colonie et en retour il a poussé sa famille à s’installer en Nouvelle-Calédonie pour les y travailler et gouter, comme lui, aux charmes et avantages du Caillou. De mon côté, j’étais un féru d’aviation, notamment par mon père, breveté pilote militaire en 1926.

musée maritime
© Fortune de mer

J’avais la chance de suivre des études d’ingénieur et sur les conseils de mon frère, j’ai passé le concours de l’École Nationale d’Aviation Civile, car de tels postes existaient ici et je l’ai réussi. Je suis resté une dizaine d’années à Paris à travailler pour la direction Générale de l’Aviation Civile comme spécialiste en performances avion, un poste passionnant qui m’a permis d’être aussi un pilote accompli. Comme ils savaient que j’avais de la famille en Nouvelle-Calédonie, ma hiérarchie m’envoyait assez souvent en mission dans le Pacifique pour éviter que j’aie un coup de spleen…

Quand sont survenus les évènements politiques au début des années 1980, plus personne ne voulait venir sur ces postes en Nouvelle-Calédonie. Je voulais rejoindre ma famille donc ils m’ont finalement envoyé en 1982 en Nouvelle-Calédonie. Et je ne suis plus parti depuis ! J’ai continué l’aviation ici et j’ai passé, en parallèle, tous mes diplômes de plongée. Le rêve est devenu réalité. Très rapidement, j’ai vu et compris qu’il y avait bon nombre d’épaves dans le lagon et c’est comme ça que j’ai intégré Fortunes de mer en 1994. 

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Parlons de cette association Fortunes de mer justement : quelle est sa raison d’être et comment fonctionnez-vous ? 

Un très joli cadeau pour la rédac’ ! Merci Jean-Paul © NeOcean

Fortunes de mer calédoniennes est une association de loi 1901 créée en 1984 et elle est, avec Salomon, à l’origine de celle du musée de l’Histoire maritime. J’ai participé à l’inauguration de l’exposition du musée en 1999 en tant que président, fonction que j’ai conservée 13 ans.

Les infrastructures du Musée, bâtiment d’exposition, laboratoire et d’administration, et donc celles de FDMC, sont mises à notre disposition par le Port Autonome. La Nouvelle-Calédonie et la province Sud aident le Musée maritime de Nouvelle-Calédonie, sa dénomination actuelle, et pour cette dernière institution également FDMC. Sans oublier l’État français qui a permis la création de ce musée en débloquant les premiers fonds. 

L’association est née de la volonté d’en savoir plus sur l’histoire maritime du Caillou et sur les épaves du lagon calédonien exclusivement et donc de faire connaitre le riche patrimoine maritime en publiant des livres et en étudiant les épaves, en collectant des objets représentatifs en plongée, qui sont remis au Musée pour être restaurés, conservés et exposés. 

Ce que nous faisons est donc très simple : nous traquons les épaves ! Nous utilisons les archives maritimes pour trouver les informations nécessaires à nos recherches. Autrefois, nous allions directement sur les lieux de leur conservation sous forme de documents papier, aux divers services des Affaires Maritimes, de la Défense ou départementales la plupart du temps, pour fouiller dans les registres d’État. Nous épluchions aussi les registres des particuliers. C’était un travail très fastidieux et long ! Aujourd’hui, avec le numérique et Internet, c’est beaucoup plus étendu, simple et prodigieusement efficace ! Enfin… En Nouvelle-Calédonie c’est encore difficile parce que la numérisation n’est pas tout à fait au point… 

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Est-ce que vous connaissez toutes les épaves du lagon ? Quels sont les mystères qui ne sont pas encore résolus et sur lesquels travaillez-vous actuellement ?

Oh non ! Il y en a encore beaucoup à découvrir ! Il y en a une qu’on cherche depuis 1984 pour vous dire… C’est l’épave du Fotini Carras, un cargo grec transportant une cargaison de 6500 tonnes de chrome chargé à Paagoumène à destination de l’Allemagne. Le navire s’est échoué le 7 juin 1939 sur un récif positionné aux lointaines Bellona du Sud, au sud du plateau récifal des Chesterfield. Nous y sommes y allés six ou sept fois ! Mais ces eaux très éloignées, peu fréquentées et pleines de récifs qui n’étaient pas cartographiés, ont vraiment compliqué nos expéditions. La dernière date de 2017 et a permis de combler certaines lacunes, mais il y a de fortes chances que nous repartions dans les mois qui viennent. 

Une épave qui reste à trouver… © Fortunes de mer calédoniennes

Mais il y a d’autres épaves que nous cherchons aussi. La Monique bien entendu… Nous avons investi beaucoup pour la recherche de ce caboteur. Nous étions sûrs à 85% de l’avoir trouvé mais les recherches continuent. Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, comme celle utilisées par l’hydrographe Michael Field, notre allié d’Island Robotics, la recherche est facilitée. Avec ses robots, quand on voit quelque chose sur le fond, on le voit vraiment bien, car de près !  

Quand on vous dit que c’est clair comme de l’eau de roche ! © Island Robotics

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Tu collabores avec les Américains pour retrouver les aéronefs tombés pendant la 2GM. Peux-tu nous en dire plus sur cette partie-là de vos recherches ? Où en sont-elles pour celui de Nakety ?

Nous travaillons avec les Américains au travers d’une association qui s’appelle Recover. Je suis passionné d’épave et aussi d’aviation donc il était évident que je travaille sur les aéronefs de la Seconde guerre mondiale. Nous travaillons sur les épaves de bimoteurs de transport Douglas C-47 d’une capacité de 25 occupants qui se sont écrasées en mer l’un à Nakety et l’autre à Ouvéa avec ce nombre d’occupants. 

Pour celle de Nakety, il y avait un témoin visuel, décédé aujourd’hui mais que nous avions pu interroger à ce propos. Mais c’est un peu compliqué d’avoir une zone précise de recherche. Nous sommes sur la bonne voie, il ne faut pas désespérer. Les Américains sont à la recherche de ces épaves pour en retrouver les restes humains et les rendre à leur famille. Leur devoir de mémoire est très différent du nôtre, beaucoup plus profond comme j’ai pu le constater en expédition avec eux en 1994 et en 2016. 

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À la recherche du C-47 de Nakety © FDMC

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Est-ce que tu plonges lors des expéditions ? As-tu un souvenir qui t’a particulièrement marqué lors d’une mission ? Une épave/histoire/objet préféré(e) ?

Je plonge toujours et jusqu’en 2012 je faisais aussi du survol de sites potentiels ! Aujourd’hui je ne vole plus mais je prends toujours autant de plaisir à monter et participer aux expéditions. Il y en a une qui m’a particulièrement marquée, en 1994, alors que nous participions au tournage d’un documentaire pédagogique. Nous étions près du récif de Tetembia au large de Uitoé et la mission visait à désensabler une épave d’un avion de la Seconde guerre mondiale.

Pendant la campagne de plongée, nous avons dégagé l’avion du sable, un chasseur Bell P-39 Airacobra, à la conception originale et au début quasiment invisible. Nous avons découvert de très nombreux ossements dans l’avion. Le pilote était encore dans le cockpit. En remontant, nous avons contacter directement l’Ambassade des États-Unis aux Fidji qui a autorité pour les affaires américaines en Nouvelle-Calédonie. Deux mois plus tard, les enquêteurs américains ont débarqué d’Hawaii. Ils ont alors lancé une opération de récupération des restes du pilote, opération nommée Airacobra

Il y a eu une cérémonie à la Tontouta en juillet 1994 et ils ont lancé les analyses pour identifier le pilote. Le mois suivant, il l’était : Howard W. Hulbert. Il a eu des funérailles nationales à Arlington, avec passage de chasseurs, tirs de canon et tous les honneurs dus à un héros ! C’est un souvenir qui m’a vraiment marqué. 

L’autre expédition qui m’a marqué, c’est celle dont je parlais tout à l’heure, la recherche du Fotini Carras, en 2017. Nous devions partir à deux bateaux et puis il y a eu une grosse avarie sur un des bateaux : la perte d’un safran. Nous étions presque à la moitié du trajet vers les Bellona, mais on a décidé de rebrousser chemin jusqu’à Nouméa. Cela ne nous a pas empêché de poursuivre la mission puisque nous sommes repartis dès le lendemain à un seul bateau. 

Nous avons vécu quinze jours de recherches sur les atolls Olry et Desmazures, sans pour autant trouver l’épave. À défaut de la trouver, cette expédition nous auras permis d’acquérir des connaissances très précises de ces deux atolls, chose qui manquait jusqu’à maintenant. 

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Des prochaines expéditions ou missions pour Fortunes de mer calédoniennes ? 

Oui, nous sommes toujours à la recherche des deux C-47 et de bien d’autres avions ou bateaux. Dans tous les cas, nos missions sont aussi de transmettre notre passion aux jeunes et de continuer à faire vivre notre belle association tout en alimentant l’intérêt des Calédoniens pour notre patrimoine maritime.

Notre dernière AG a vu l’inscription de cinq nouveaux membres, des jeunes en très grande partie ! Ça montre que nous sommes encore dynamiques et que l’association fascine encore depuis quarante ans d’existence. Nous avons même des gens qui nous contactent pour faire des films, des documentaires ! Je trouve ça fou mais je suis très heureux que la transmission se fasse, c’est un point qui me tient à cœur. 

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Est-ce que tu as un dernier message à faire passer justement ? 

Avant tout, je veux dire que je me vois comme l’un des hommes les plus heureux du monde puisque j’ai vécu mes rêves ! Et pour les jeunes, j’aimerais dire que c’est un objectif de vie à atteindre. Mon dernier message est pour eux : travaillez bien à l’école, obtenez des diplômes pour vous permettre un bon départ dans la vie. Vous perdrez, pendant quelques années, un peu de votre jeunesse et de votre fougue mais vous gagnerez de vivre plus facilement vos espérances.

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