C’est avec beaucoup d’impatience que la rédac’ souhaitait rencontrer le Président de la Chambre d’Agriculture et de la Pêche. En effet, nouvellement élu, Jean-Christophe Niautou était sur tous les fronts ces dernières semaines. Jonglant entre son métier de maraîcher à la Foa et ses nouvelles responsabilités au sein de la chambre consulaire, Jean-Christophe nous a accueillis au siège de la CAP-NC, lors d’un de ses passages à Nouméa.  

Malgré un emploi du temps très rythmé – pour ne pas dire carrément plein -, il nous a reçus dans une ambiance très conviviale et chaleureuse. Ainsi, nous avons pu discuter de nombreux sujets, à commencer par les objectifs de son mandat et de l’intégration des pêcheurs à la Chambre. Bien que cette situation soit nouvelle, beaucoup d’entrain se dégageait de son discours vis-à-vis des pêcheurs. C’est tous ensemble que l’avenir alimentaire des Calédoniens se joue et comme il dit « On est CAP ! ».

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© CAP-NC

Bonjour Jean-Christophe et bienvenu sur NeOcean ! Alors, CAP ou pas CAP de faire une interview avec nous ?

Salut NeOcean ! 100% CAP évidemment !  

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Blague à part, peux-tu te présenter à nos lecteurs et expliquer ton rôle au sein de la Chambre d’Agriculture et de la Pêche (CAP-NC) ?

Je m’appelle Jean-Christophe Niautou, je suis maraîcher et éleveur dans la région de La Foa, Focola et Farino. Marié, père de trois enfants, je suis agriculteur depuis 2010, sur une propriété qui appartient à ma famille depuis plusieurs générations. Je me suis reconverti dans cette activité après un début de carrière dans l’univers de la banque. J’avais à cœur que l’exploitation familiale et sa tradition perdurent.

Je me suis engagé assez tôt dans des organisations professionnelles agricoles avant de devenir élu de la Chambre d’Agriculture et de la Pêche (CAP) de Nouvelle-Calédonie fin 2017. Je préside désormais l’Assemblée Générale depuis le début de l’année 2023, faisant suite à Gérard Pasco. La CAP est l’une des institutions les plus vieilles du territoire. C’est un établissement public qui aujourd’hui compte soixante-dix salariés. Elle a une forte dimension territoriale puisqu’elle est présente sur l’ensemble du territoire, avec un siège qui se trouve à Nouméa et des antennes en Brousse et aux Îles.

Concrètement, la Chambre est un établissement public administratif au service du monde agricole et de la pêche. Structurée autour de six pôles, elle accompagne toutes les filières de l’agriculture et de la pêche et propose à ses ressortissants de nombreux service techniques, économiques et administratifs, mais proposons aussi des formations, des conseils, de la gestion d’aides…

L’Observatoire des Pêches Côtières n’est jamais bien loin… © CAP-NC – L. IOPUE

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Vous avez opéré il y a deux ans une intégration de la pêche dans la Chambre d’Agriculture. Quelles volontés derrière ce changement ? Qu’est-ce que cela a changé pour nos pêcheurs ?

En effet, le secteur de la pêche a intégré officiellement la Chambre à la fin de l’année 2021. Les pêcheurs sont officiellement représentés puisqu’aux dernières élections consulaires, quatre élus de l’Assemblée sont pêcheurs . Avant cela, ils n’étaient rattachés à aucune chambre. Ce qui était prévu à la base, c’était la création d’une Chambre à part, dédiée au monde de la Pêche. Les difficultés budgétaires notamment, n’ont pas permis la réalisation de ce projet.

Rencontre du Président avec le monde des pêcheurs © CAP-NC – L.IOPUE

Il y avait des appréhensions mais tous ensemble, nous avons dépassé nos craintes. Si au départ, beaucoup l’ont ressenti comme un mariage arrangé, nous sommes aujourd’hui tous convaincus de l’intérêt d’être regroupé. Le 4 mai dernier, j’ai passé ma « première matinée officielle » avec les pêcheurs. J’avais vraiment à cœur de faire cette première sortie terrain auprès d’eux pour leur montrer mon engagement. Nous sommes un seul ensemble, il est temps d’agir comme tel !

Cette union fait totalement sens. Dès lors qu’on parle de produits alimentaire à destination des consommateurs, que ce soit du crabe, du poisson, des tomates ou de la viande de bœuf, nous participons tous à nourrir les Calédoniens.

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Tu viens de reprendre la présidence après celle de Gérard Pasco qui a passé seize ans à la tête de l’institution : est-ce que ta vision diffère de la sienne et quels sont tes principaux objectifs et chantiers ?

J’ai le plus grand respect pour les mandatures de Gérard Pasco et le travail qu’il a réalisé avec ses élus durant ses nombreuses années. Avec cette nouvelle mandature, nous espérons écrire un nouveau chapitre mais il s’agit bien du même livre ! Le projet de notre mandature est fortement tourné vers le consommateur. Nous souhaitons augmenter de 25% la part des produits locaux dans l’alimentation des Calédoniens. Nous avons conscience que c’est un objectif ambitieux mais il est porté par une équipe dynamique, soudée, désireuse de porter ce projet.

CAP-NC
Toujours sur le « quai »-vive ! © CAP-NC – L.IOPUE

Un territoire insulaire comme la Nouvelle-Calédonie est très dépendant des importations. Et pourtant, la crise COVID a montré à quel point l’alimentation locale consommée était importante. Actuellement, notre taux de couverture alimentaire, toutes alimentations confondues, est de 17 %. Ce n’est pas supportable. Nous voudrions atteindre au moins 22%. Certains diront que c’est utopique ; je préfère dire que c’est ambitieux et vital.

Pour cela, il faut commencer par parler de professionnels à professionnels : ceux en amont, et ceux en aval. C’est nécessaire d’avoir un discours cohérent au niveau de la chaîne de production, que ce soit l’agriculteur qui cultive ses carottes ou l’entreprise capable de surgeler et stocker les produits. Nous devons aller vers une certaine cohésion économique et créer des projets avec de la valeur. Il ne suffit plus de considérer que seule la matière première créée de la valeur.

Nous sommes un territoire qui pouvons produire beaucoup de fruits et légumes mais sur une période donnée. D’août à décembre, nous sommes régulièrement en situation de surproduction. Certains producteurs de végétaux réduisent alors leur surface de production en se disant qu’ils ne trouveront pas de débouchés. Pour autant, le reste de l’année, l’accès à ces mêmes fruits et légumes est plus compliqué. C’est aberrant mais c’est un constat. Nous devons intervenir sur cette chaîne et trouver des solutions pour stocker, surgeler pour distribuer ultérieurement. Quel gâchis d’importer des légumes que nos agriculteurs peuvent récolter en quantité suffisante ! 

© CAP-NC – L.IOPUE

Nous ne sommes donc pas dans une situation où il suffirait de réclamer plus d’aider pour produire plus mais bien dans une démarche de réflexion pour trouver des débouchés afin de produire mieux ! L’objectif est toujours le même : mieux nourrir les Calédoniens, en commençant par nos enfants à l’école ! Nous travaillons en étroite collaboration avec les écoles, les mairies, les provinces, le gouvernement pour valoriser les repas de la cantine, y mettre plus de produits locaux. La réalité c’est qu’aujourd’hui la couverture alimentaire tourne autour de 10% maximum ! Nous parlons de 60 000 repas par jour, cinq jours par semaine, trente-quatre semaines par an ! Ça en fait du repas à améliorer…

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Tu t’es fortement engagé contre la réforme du RUAMM. Peux-tu nous expliquer ta position vis-à-vis de cette loi ?

J’ai ici une double casquette : celle de Président de la CAP mais aussi celle de membre fondateur et actif du groupe « Agissons solidaire ». Ce groupe réunit les trois Chambres Consulaires et les Fédérations Patronales. Nous, représentants des travailleurs indépendants, nous ne sommes pas contre une réforme du RUAMM mais ce projet dans sa forme actuelle. Cela pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, cette réforme, qui était à deux doigts de passer en force, aurait été brutale. De plus, nous la trouvons injuste. La réforme fait porter une grosse partie des nouvelles ressources sur ceux qui consomment le moins et qui sont les moins dépensiers en termes de prestations et donc de déficit structurel !

En revanche, nous sommes pour un système basé sur la solidarité et sommes donc conscients qu’il va falloir trouver des ressources supplémentaires. Mais pas à n’importe quel prix. Surtout, il convient d’examiner en parallèle, le versant « dépenses ». Ce n’est qu’en conjuguant les deux que nous pourrons disposer de solutions pérennes et soutenables.

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Et à côté de cette activité, tu es également maraîcher ? Parle-nous un peu de ce métier passionnant en Nouvelle-Calédonie…

Ma spécialité, en saison fraîche, est la fraise de Farino. Cependant, je cultive tout au long de l’année de la salade, de la tomate, des bananes… Je suis assez diversifié.

On attend la saison fraîche pour déguster ces fraises ! © Jean-Christophe Niautou

Le maraîchage est un métier qui est passionnant mais aussi très prenant. J’ai un collègue que je cite toujours qui résume bien le métier : « un maraîcher est toujours en retard ». Sur les semis, sur les plantations, sur les récoltes… C’est un métier intense dans lequel le temps n’est pas votre allié. Le système de production est permanent et quotidien ; le maraîcher est toujours sur le qui-vive ! Cela nécessite beaucoup d’abnégation.

Pour autant, c’est un métier nécessaire pour nourrir notre population et qui, en plus, crée de la valeur économique et maintient l’emploi dans des zones où il n’y en a pas. Particulièrement en ce moment, pendant la saison fraîche, avec le travail des saisonniers.

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Il existe ici deux principaux types de pêches, hauturière et côtière : peux-tu définir rapidement ces deux termes et dresser un bilan de chaque pratique pour l’année 2022 ?

© Jean-Christophe Niautou

La pêche côtière est la pêche de lagon, qui va jusqu’à environ 12 milles marins. Cela représente environ vingt-deux kilomètres – soit la distance entre Nouméa et le Phare Amédée. La pêche hauturière est la pêche qui va au-delà. Il y a une professionnalisation en cours mais les règles sont encore très différentes selon les Provinces. Pour être honnête, ce sont des problématiques pour lesquelles j’ai besoin de consolider mes connaissances en m’appuyant sur l’expérience de nos élus issus de cette filière.

Concernant le bilan de l’année 2022, je peux vous fournir quelques chiffres officiels. Déjà, c’est le deuxième secteur exportateur de Nouvelle-Calédonie. Le secteur de la pêche hauturière représente à peu près deux cent cinquante emplois directs, 2500 tonnes de production annuelle pour un chiffre d’affaires annuel de 2,5 milliards de francs. Au niveau de la pêche côtière, nous décomptons environs cinq cent cinquante pêcheurs, 1000 tonnes de production annuelle pour un chiffre d’affaires annuel de 0,6 milliards de francs.

Globalement, la pêche est un atout économique certes, mais elle joue aussi un rôle social prépondérant pour le territoire. En effet, elle agit comme un ascenseur social pour les jeunes, elle permet d’accroître l’autonomie alimentaire, elle valorise les ressources naturelles et participe à l’aménagement du territoire.

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Face au changement climatique, on parle de plus en plus d’écologie : en quoi la pêche est-il un secteur concerné par cette problématique de protection et quel est ton avis sur les mesures qui ont été prises et/ou qui devraient l’être ?

En devenant Président de la CAP-NC et en partant à la découverte du monde de la pêche, j’en apprends énormément. J’ai appris qu’il y a des espèces de poisson qui migrent, des espèces présentent depuis peu dans nos eaux qu’on ne connaissait pas encore, des espèces qu’on ne voit plus… J’ai aussi appris que les pêcheurs à la palangre font aussi des rencontres avec des orques qui mangent leur filet ! Quelquefois, ils rencontrent aussi des globicéphales. C’est fou ! Et ils nous assurent qu’il y a dix ans de ça, ça n’arrivait pas… Le changement climatique y joue pour beaucoup. C’est évident qu’il y a un impact important sur le secteur de la pêche. Il faut soit aller plus loin, soit modifier les périodes de pêche…  

Les pêcheurs côtiers nous disent également constater une hausse des populations de requins dans le lagon. Les conséquences sont réelles pour cette forme de pêche. De là à savoir quelles mesures mettre en œuvre à cet égard, je laisse cela à des personnes qualifiées.

Le plus grand enjeu aujourd’hui c’est aussi par rapport aux 50 000 tonnes de poissons prélevés dans les eaux vanuataises par les armements chinois. Cette pêche dans des zones « voisines » de notre ZEE a des conséquences. Il existe désormais de vastes espaces où nos pêcheurs ne vont plus tant les fonds ont été raclés, notamment à l’est des îles Loyauté. C’est un problème géopolitique de grande échelle mais qui nous impacte localement.

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L’enjeu des ZEE © Pew and Bertarelli Ocean Legacy

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Un dernier mot ou une dernière actualité pour nos lecteurs ?

Je l’ai déjà dit mais je le répète : je suis ravi de l’intégration des pêcheurs au niveau de la Chambre ! Unis, nous sommes plus forts et nous avons plus de poids. De plus, dans le cadre du projet de cette mandature – augmenter la part des produits locaux de 25% -, ils ont aussi une part à jouer ! Tous nos produits doivent être valorisés. Ensemble nous y arriverons, pêcheur, éleveurs, agriculteurs ! On est CAP !  

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