Si vous avez bien suivi nos aventures marines, on vous parlait il y a peu du retour de mission de l’ANTEA à Lifou, une expédition scientifique qui explore l’impact des canicules marines sur nos récifs calédoniens. Et derrière cette mission à mille mains, il y a un homme qui plonge, observe, analyse et surtout, agit, Grégory Lasne. Biologiste marin passionné, fondateur de Biocénose Marine et acteur du projet de la ferme corallienne pédagogique de Lifou, Grégory est venu en discuter avec la rédac’.
Et il y a urgence à en parler, car à l’horizon 2050, 70 à 90 % des récifs pourraient avoir disparu si le réchauffement climatique continue sur sa lancée. Déjà, près de la moitié des coraux vivants ont disparu au cours des 150 dernières années, victimes des événements climatiques extrêmes. Et la Nouvelle-Calédonie n’y échappe pas… Alors on lui a posé toutes nos questions, entre passion, science et action concrète.
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Bonjour Grégory, bienvenue sur NeOcean ! Pour commencer, peux-tu nous raconter un peu ton parcours et ce qui t’a mené vers la biologie marine ?
Bonjour NeOcean ! Avant tout, il faut savoir que j’ai toujours voulu travailler pour la nature, par passion. Je pense d’ailleurs que pour aller au boulot tous les jours, il nous faut un leitmotiv. J’ai commencé mes études par un DEUG en sciences de la Terre et de l’univers, mais je me suis vite tourné vers l’océanographie et l’environnement marin, avec une licence puis un Master 2 Recherche. J’ai fait mon stage de M2 au sein de l’unité de recherche Paléotropique de l’IRD à Paris.
Ensuite, cette même unité m’a accueilli à Nouméa en tant que VCAT pour travailler à nouveau sur la sclérochronologie, et mener des expériences sur les coraux et les bénitiers. Mon responsable de l’époque m’a donné l’opportunité de bosser sur une collection d’échantillons de coraux très fournie, qu’on a continué à enrichir avec l’équipe IRD, au fil des missions CoralCal autour de la Nouvelle-Calédonie et sur les récifs éloignés. Des spécialistes de renom en taxonomie des coraux ont rejoint l’équipe, et j’ai passé beaucoup de temps sous l’eau et au labo à leurs côtés. C’est comme ça que je me suis formé à la taxonomie, aux maladies et à l’état de santé des coraux et des récifs coralliens en général. Mon parcours a vraiment été rythmé par les études, la passion et de très belles rencontres !
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Ajourd’hui tu es à la tête de Biocénose Marine. C’est quoi exactement cette structure ? Vous faites quoi, pour qui, et comment ?

Biocénose Marine, c’est une SARL spécialisée dans l’expertise scientifique et technique en milieu marin. On travaille à la fois sur des programmes de recherche et pour des missions dans le privé. En gros, on suit les variations naturelles et/ou humaines de l’environnement, et on évalue les impacts potentiels sur les communautés biologiques. On utilise des indicateurs spécialisés pour identifier les pressions et perturbations, et derrière, on réalise nos expertises environnementales.
Notre quotidien est rythmé entre études marines, suivis biologiques et conseils en conservation environnementale. J’ai également coordonné la mise à jour du guide 2022 du suivi de la qualité du milieu marin en Nouvelle-Calédonie, un ouvrage rédigé avec 45 chercheurs. Je suis aussi embarqué sur des missions océanographiques, ce qui me permet de continuer à affiner mes connaissances sur l’état de santé des récifs. Et depuis quelques années, on agit aussi concrètement sur le terrain avec des actions de restauration des récifs coralliens. Comprendre comment fonctionnent ces écosystèmes, c’est indispensable, mais il faut maintenant agir, et vite !
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Parlons du projet à Lifou ! D’où est venue l’idée d’une ferme corallienne pédagogique ?
Les écosystèmes coralliens des îles Loyauté subissent de fortes pressions. Il y a le changement climatique bien sûr, mais aussi certaines activités comme le tourisme de croisière. En 2019, la Province des Îles Loyauté m’a demandé de cartographier les fonds marins et leur sensibilité autour des zones très fréquentées par les croisiéristes à Lifou. On a constaté plus de 57 habitats différents, avec des espèces rares et des formations récifales très vulnérables. Et dans les zones les plus fréquentées, on a vu de vraies perturbations dues au piétinement, sans parler des dégâts causés par le réchauffement climatique.
Alors dans un premier temps, on a déplacé la fréquentation touristique vers des zones moins sensibles, pour protéger les habitats à forte valeur patrimoniale. Et puis, l’idée de la ferme corallienne pédagogique est venue assez naturellement, comme une réponse innovante. Il fallait absolument protéger les récifs tout en maintenant une activité économique pour la population locale.

En 2020 les étoiles se sont alignés. Le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a déposé un dossier dans le cadre du programme Territoires d’Innovation, et la Province des Îles a embarqué dans l’aventure en tant que porteur d’action. On a été lauréats et ça a été un vrai tremplin pour le financement du projet.
Concrètement, cette ferme corallienne vise à concilier restauration, sensibilisation et tourisme responsable. On veut produire des colonies de coraux pour restaurer les zones dégradées, tout en offrant aux visiteurs une expérience immersive et éducative autour de la protection des récifs. C’est une nouvelle façon d’envisager le développement économique, fondée sur la valorisation du patrimoine naturel et culturel, qui crée de l’emploi local et implique les habitants et les scolaires dans la culture des coraux. Pour 2025-2026, ça se concrétise car on passe à la phase de construction des infrastructures marines.
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Quel est le lien entre la mission de l’Antea, les projets MaHeWa et Boost, et cette fameuse ferme corallienne ?
La ferme corallienne de Lifou s’engage pleinement dans la recherche scientifique pour optimiser les actions de restauration et mieux comprendre la complexité des récifs coralliens. Et elle fait d’ailleurs partie du Projet Prioritaire de Recherche MaHeWa sur la période 2024-2028, soutenu par l’ANR dans le cadre de France 2030. Ce projet vise à étudier les effets des canicules marines sur les écosystèmes coralliens du Pacifique sud.
Le projet BOOST (anr), se concentre lui sur la nutrition des coraux comme atout face aux vagues de chaleur marine. Car ces vagues provoquent un blanchissement massif des coraux, avec des conséquences dramatiques. Il se focalise également sur l’expérimentation au stress thermique des coraux contrôlé en laboratoire.
C’est dans ce cadre que la première mission s’est déroulée à bord de l’ANTEA du 20 au 29 mars 2025. On a prélevé des échantillons de coraux et de plancton sur plusieurs sites de Lifou (la baie du Santal, le cap Aimé Martine et la baie de Chateaubriand) avec l’objectif de développer des outils concrets pour améliorer les techniques de restauration et renforcer la résilience des récifs face au changement climatique. Cela se concrétisera par le ciblage et l’élevage des coraux thermorésistants dans la ferme, en les nourrissant avec du plancton spécifique qui pourrait améliorer leur résistance aux stress thermiques.


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La ferme ne sera pas qu’un labo à ciel ouvert, il y a aussi toute une dimension pédagogique, collaborative et locale. Qu’est-ce que vous imaginez pour le grand public ?
Exactement ! La sensibilisation du grand public et des scolaires, et le développement d’un tourisme responsable, font également partie de l’ADN du projet. On veut proposer des visites guidées des infrastructures sous-marines et des récifs, des ateliers de découverte de l’environnement et de la culture mélanésienne, et même des démonstrations de bouturage de coraux ! Tous les résultats scientifiques seront d’ailleurs vulgarisés et exposés dans un faré, pour que chacun puisse comprendre les enjeux.
L’idée, c’est de construire un modèle économique durable, basé sur la valorisation du patrimoine naturel et culturel, tout en générant des revenus pour les populations locales. Il y aura des formations, et les infrastructures sous-marines seront aussi mises à disposition dans différentes tribus pour que tout le monde puisse s’impliquer.

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Dernière question, si tu devais faire passer un message au grand public sur l’état des récifs et ce qu’on peut faire pour les aider, ce serait quoi ?
C’est une grande question ! Si ce n’était pas encore clair, les récifs coralliens sont en sursis, et il faut agir vite, avec des mesures ciblées et efficaces. Ça passe par la réduction des pollutions, la protection des zones d’intérêt patrimonial, ou encore la restauration des récifs dégradés. Alors oui, on ne pourra pas restaurer tous les récifs dégradés de la planète, mais on peut commencer par les zones stratégiques, qui ont une forte connectivité avec d’autres récifs. Et surtout, sensibiliser, car comme on dit, une personne avertie en vaut deux.
Je finirais par dire que les petits gestes du quotidien sont toujours bons à prendre. Alors si je peux donner quelques trucs et astuces pour votre prochaine sortie en mer : on évite de piétiner et de palmer sur les coraux, on ancre son bateau dans le sable, par sur les récifs, on utilise des crèmes solaire à faible impact et on ramasse ses déchets !
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