Pour un amoureux de la mer et des sports de glisse, quel meilleur endroit pour une rencontre que face à la mer, à l’extrémité nord de l’Anse Vata ? C’est à cet endroit, considéré comme LE spot d’amateurs de windsurf, wingsurf, wingfoil, SUP ou tout autre sport nautique, que nous avons rencontré Christophe Chevillon, directeur du programme Pew and Bertarelli Ocean Legacy, au soleil couchant.

Directeur de l’antenne de l’ONG PEW, installée sur le Caillou pour s’occuper de la création de larges réserves marines dans la zone maritime calédonienne, vous l’avez surement déjà vu à la Journée Mondiale de l’Océan, animer un Master Océan, lors d’une conférence sur le Parc naturel de la Mer de Corail, au volant de sa Moke jaune ou à Goéland, à bord de son cata qui ne passe pas inaperçu. Aussi pédagogue que passionné, Christophe nous a partagé beaucoup de sa passion scientifique et de son engagement pour protéger les océans.

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Bonjour Christophe et bienvenue sur NeOcean ! Tu les aimes sous quel format les réserves marines de Calédonie ? 

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Salut NeOcean ! Je les aime XXL, bien sûr ! Trêve de plaisanterie, j’aime les réserves marines sous tous les formats. Pour autant, mon travail porte plutôt sur les grandes réserves.

Dans le Parc Naturel de la Mer de Corail (PNMC), il y a aujourd’hui 31 000 kilomètres carrés de zone protégée sur les 1,3 million qu’il représente. Cela ne représente que 2,4% de sa superficie mais c’est déjà plus que l’ensemble du lagon de Nouvelle-Calédonie. Donc quand on parle de réserves XXL, on parle véritablement de très grandes réserves !

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En parlant de réserves marines, est-ce que tu peux expliquer à nos lecteurs ce à quoi elles correspondent exactement ?

Il y a 6 statuts d’Aires Marines protégées (AMP) dans le référentiel de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Le statut est défini en fonction de l’objectif de la réserve et de son niveau de protection. Il y en a six, le plus haut étant la réserve intégrale. Celle-ci signifie que cette zone est un sanctuaire : il ne peut y avoir d’accès, sauf dérogation spéciale (comme la sauvegarde de la vie humaine ou recherche scientifique). Juste en dessus, il y a la réserve naturelle : l’accès est autorisé, de même que certaines activités comme la plongée, l’observation des animaux, recherche. En revanche, les activités extractives, qu’elles soient minérales, végétales ou animales, sont totalement proscrites !  

Les quatre autres statuts sont définis en fonction des activités qui peuvent s’y dérouler. Pour autant, dans chacune de ces zones, l’objectif est de concilier activité économique et objectifs de conservation. C’est le cas des aires de gestion durable des ressources comme l’îlot Canard, Maître ou encore Amédée.

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Il semble parfois un peu complexe de distinguer les différentes zones maritimes de la Nouvelle-Calédonie et les différents protagonistes… Un petit rappel de l’expert pour différencier lagon(s), ZEE, PMNC ?

On va essayer de simplifier les choses et expliquer spécifiquement pour la Nouvelle-Calédonie. On commence à partir du littoral : il y a d’abord une bande de trois cents mètres où les communes exercent leur autorité. Puis, il y a les eaux provinciales qui s’étendent à partir de ces trois cents mètres jusqu’au grand récif et encore douze miles nautiques après. Commencent ensuite la Zone Économique Exclusive et le PNMC qui se confondent et se fusionnent. C’est ce qu’on appelle les eaux territoriales et intérieures .Puis c’est la Haute Mer et donc les eaux internationales qui n’appartiennent à aucun État.

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Pas facile d’y voir clair… Christophe en bon pédagogue nous explique… © Gouvernement de Nouvelle-Calédonie

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Tu es donc Directeur du programme Pew and Bertarelli Ocean Legacy : raconte-nous ton parcours pour arriver à cette fonction.

© Christophe Chevillon

À la base je suis océanographe. J’ai fait dix ans d’étude après le bac et j’ai obtenu un doctorat en océanographie à l’Université d’Aix-Marseille II. Il portait sur le lagon nord de la Nouvelle-Calédonie, plus particulièrement sur la biosédimentologie et la télédétection acoustique. J’ai exercé plusieurs activités professionnelles avant d’entrer comme chercheur à l’IRD en Nouvelle-Calédonie pendant presque vingt ans.

À cette époque, le Directeur du campus m’a confié la tâche d’être le coordinateur scientifique et technique du dossier concernant l’inscription du lagon au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Je devais collecter la donnée de mes collègues chercheurs et produire des dossiers concernant ces rapports scientifiques. C’est de cette manière que je me suis fait connaître à l’extérieur de l’IRD puisque j’ai sillonné toute la Calédonie. Quand le dossier a été validé et que les eaux calédoniennes ont été inscrites au patrimoine mondial, je suis devenu chef du Service de la mer et de la protection du lagon de la Direction de l’environnement de la Province Sud. Puis j’ai refait un bref passage à l’IRD où j’étais chargé de mission géostratégie et partenariats pour le Pacifique auprès du représentant de l’IRD. Ce n’était pas ma tasse de thé…

Puis, sont arrivé les « PEW ». Pew Charitable Trust est une ONG multidisciplinaire américaine. Le volet « mer » portait sur un programme nommé Global Ocean Legacy – Héritage Mondial des Océans – dans le but de travailler sur la protection des espaces océaniques sauvages. Ils cherchaient à créer de grands parcs marins. La Nouvelle-Calédonie remplissait les critères : un site très étendu, sans conflit d’usage et sans difficulté d’accès.

Les ayant déjà rencontrés à travers mes précédentes missions professionnelles, ils m’ont contacté afin que je postule pour la direction du bureau qu’ils ouvraient à Nouméa. Il y a eu une sacrée phase de sélection et de nombreux entretiens à Washington. J’ai été sélectionné et c’est ainsi que j’ai été nommé représentant du PEW en Nouvelle-Calédonie.

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Tons sur tons pour Christophe et le programme Ocean Legacy © NeOcean

Ces programmes sont financés par tranche de cinq ans. La première tranche était soutenue par six ou sept partenaires internationaux mais lors du renouvellement du programme pour la deuxième tranche, Dona Bertarelli s’est imposée comme seule partenaire sur le programme au travers de sa fondation. Ils ont mis en place un partenariat 50/50 entre the PEW et Fondation Bertarelli. Enfin, le programme a été renouvelé en 2021 pour une nouvelle tranche de cinq ans ; cette fois c’est Dona Bertarelli en personne, philanthropique, qui co-porte et co-finance le programme.

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Deux nom, un même projet : protéger l’océan ! © Pew and Bertarelli Ocean Legacy

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Quels sont les objectifs du programme PBOL / Héritage des Océans ? Sur quels dossiers travailles-tu quotidiennement ?

On a trois axes de travail. D’abord, nous créons des campagnes de sensibilisation du public dans lesquelles nous communiquons des informations sur le Parc, sur l’océan, sur le patrimoine marin de Nouvelle-Calédonie. Pour ce faire, nous avons différents outils : des stands d’informations ; des expositions ; des projets artistiques et culturels ; du partenariat comme sur le festival d’images sous-marines ; des campagnes de communication très grand public comme #jesuistamer qui a connu un grand succès avec plus de 5800 photographies ; les masters océans ; la journée mondiale de l’océan ; des films…

Le deuxième axe de travail porte sur le PNMC. Nous sommes membres du comité de gestion. Il est constitué de quatre collèges : les institutions, les aires coutumières, les socioprofessionnels et enfin, la société civile avec les associations locales de protection de l’environnement ainsi que les trois ONG (WWF, CIE et PBOL). Il est co-présidé par le représentant de l’État , le Haut-commissaire Louis Le Franc ou son représentant, et par le membre du gouvernement en charge de la gestion du PNMC, Jérémie Katidjo Monnier. Au sein du comité de gestion, il y a pas mal de groupes de travail pour élaborer, par exemple, le plan de gestion du Parc.

Le dernier axe concerne les réunions avec les personnes qui exercent une certaine influence, afin de les convaincre à participer à cet objectif. C’est une sorte de « lobbying » mais pas au sens américain du terme, c’est plus de la relation d’influence.

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Vers un moratoire pour les fonds marins ! © NeOcean

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Les fonds marins sont à l’honneur en ce moment avec le moratoire et le PECC. Quel est ton avis sur la question ?

Ce n’est pas un sujet dont j’ai la charge au sein de PEW. Pourtant, j’ai mon avis d’océanographe : qui dit moratoire, dit protection. En Nouvelle-Calédonie nous n’avons aucune certitude de l’existence de ressources minières ou gazières. Il y a des présomptions, des hypothèses mais rien de sûr. Selon moi, installer des plateformes pour aller pomper à plusieurs milliers de mètres dans la Mer de Corail ne me semble pas, technologiquement parlant, faisable et rentable. Sur les ressources minérales, c’est pareil. On a bien trouvé quelques nodules mais pas assez pour se dire qu’ils sont en quantité exploitable.

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Une conférence internationale sur les fonds marins © NeOcean

Les moyens qui sont mis en place pour aller sur Vénus ou sur Mars sont autrement plus conséquents et avancés. L’Humanité à plus à perdre d’aller exploiter les fonds marins ! En plus, les difficultés sont autrement plus grandes. L’exemple malheureux du sous-marin qui voulait s’approcher du Titanic en est la preuve. Aller dans les abysses est technologiquement plus difficile à faire que d’aller dans l’espace ! La pression et le noir complet sont deux paramètres extrêmement violents pour l’homme.

À ce jour, plus de personnes sont allées sur la Lune qu’au fond de la fosse des Mariannes… Ça met bien en balance les choses. Mon espoir c’est qu’on aille chercher les ressources minérales dans l’espace. En commençant peut-être par la Lune où il n’y a ni océan ni atmosphère donc moins de risques de pollution ! À mon avis, ce sera plus facile d’aller là-haut que dans l’océan.

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Comment en es-tu arrivé à vouloir protéger les océans ? Et à titre personnel quel est ton rapport au Grand Bleu ?

Je vis au bord de l’océan depuis tout petit bien qu’originaire de la Normandie profonde. Cependant, à mes trois ans, ma famille a déménagé à Madagascar. Jusqu’à mes quinze ans, mes parents avaient une propriété sur le bord du lagon, à Foulpointe, tout prêt de Toamasina. Les week-ends, de l’aube à la tombée de la nuit, j’étais dans l’eau, sous l’eau, autour du récif… J’ai vécu ensuite en Argentine, encore au bord de la mer. J’ai fait mes études à Marseille et puis je suis arrivé en Nouvelle-Calédonie. Je me vois comme un enfant de l’océan, il est part de mon quotidien. Mes loisirs, ma vie personnelle ET professionnelle sont tournés vers l’océan !

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On nous souffle dans l’oreillette que tu as un bateau « remarquable » et que tu pratiques tout un tas de sports nautiques ! Raconte-nous tes loisirs…

Je fais aussi de la navigation de plaisance. J’ai imaginé, conçu et construit ici un bateau avec l’aide d’un architecte naval. C’est un catamaran moteur qui sort – un peu – de l’ordinaire ! À la fois par son look, mais aussi par ses qualités de navigation et d’habitation à bord. Il est très agréable à vivre ! Je suis très fier qu’il ait été construit en Calédonie alors que tout le monde m’en dissuadait ! C’est un bateau familial pour la navigation de plaisance.  

Outre le bateau, je suis de tous les sports de glisse. J’ai tout testé : je suis surfeur, windsurfeur, wingfoileur… Aujourd’hui je fais moins de surf et plus de stand up paddle, y compris dans les vagues. J’adore Goéland, l’eau y est super claire et, d’une certaine manière, on s’y sent plus en sécurité avec la crise requin. Je ne me lasse pas de la Nouvelle-Calédonie… Pour faire du wingfoil, je dirais que mon endroit préféré c’est le grand récif !

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Une dernière actu à partager avec nos lecteurs ?

Le moratoire qui a été voté par le Gouvernement suit son cours et j’en suis très content. Jérémie Katidjo Monnier a annoncé en plus sa volonté de protéger plus de 20% du PNMC, ce qui n’est pas très loin des 30% porté à l’international. C’est super d’avoir un engagement et un axe aussi fort. L’année prochaine il y a l’anniversaire du Parc, donc on a hâte de souffler les bougies !

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Et pour redécouvrir son Ô Micreau