Pour changer, ce n’est pas « IRL » – In Real Life – mais via un lien URL que nous avons assisté à une conférence, jeudi 21 mars dernier, à propos de l’importance du poisson pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans les tropiques. C’est Eva Maire, chercheuse au sein de l’IRD MARBEC – « MARine Biodiversity Exploitation & Conservation » – qui prenait la parole pour présenter le sujet de sa thèse concernant la pêche artisanale et la sécurité alimentaire

Aujourd’hui, 800 millions de personnes dépendent de la pêche comme moyen de subsistance, dont les deux-tiers des poissons consommés sont capturés par des pêcheurs artisanaux selon la FAO – Food and Agriculture Organization. Ainsi, à travers une conférence, Eva a pu mettre en avant la contribution de la pêche artisanale à la santé humaine, tout en expliquant l’impact du changement climatique sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans les régions tropicales. Un petit condensé s’impose… 

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Mieux pêcher pour mieux se nourrir

Tout sujet de recherche naît dans l’interrogation initial du chercheur, souvent centré sur un sujet précis. Celle d’Eva a germé de sa fascination pour les populations qui entretiennent un lien étroit avec la pêche artisanale. À travers ses diverses expériences de terrain, elle a progressivement acquis la conviction que ce mode de pêche peut – et devrait ! – concilier efficacité et durabilité, tout en garantissant un niveau de vie digne pour ceux qui en dépendent.

Cependant, lorsqu’on aborde la pêche dans une perspective nutritionnelle, la situation mondiale semble sombre. En effet, la sécurité alimentaire et la nutrition sont toujours des problèmes d’actualité et l’ONU estime que davantage de personnes souffrent de la faim qu’en 2015, année de cadrage pour les ODD – objectifs de développement durable. Ces formes de malnutrition, diverses et complexes, se manifestent parfois de manière paradoxale, voire simultanée, au sein d’une même population, englobant la sous-alimentation, l’obésité et les carences.

En parallèle, les écosystèmes marins subissent de plein fouet des pressions anthropiques et climatiques, entraînant leur déclin manifeste. Pourtant, ces ressources marines, essentielles au développement du corps humain, sont porteuses de micronutriments tels que le calcium, le zinc ou le fer. Au-delà des enjeux de sous-alimentation ou d’obésité, cette conférence visait à souligner l’impact néfaste du changement climatique sur la composition des récifs coralliens et, par extension, sur la composition nutritionnelle des poissons, ainsi que sur la présence de ces micronutriments. Mieux pêcher pour mieux se nourrir…

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L’homme n’a jamais autant pêché © Eva Maire

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Le lien entre micronutriments et biodiversité

Le constat est sans appel : malgré une augmentation sans précédent de la pêche depuis les années 1950, les chercheurs constatent une diminution des micronutriments dans les prises. L’idée est de comprendre un tel basculement. Et le changement climatique est une piste. Dans le cadre de cette étude, les chercheurs se sont focalisés sur les Seychelles. Après un épisode de blanchissement massif des récifs coralliens en 1998, lié à El Niño, ils ont observé deux trajectoires divergentes dans les années suivantes. D’un côté, certains récifs se sont rétablis, tandis que d’autres ont été envahis par les algues. Si les populations de poissons ont été impactées, c’est surtout leur valeur nutritionnelle qui a été altérée. Dans les récifs recouverts de macro-algues, les poissons présentaient des concentrations plus élevées en fer et en zinc que ceux des récifs en meilleure santé. 

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© Eva Maire

À partir de ce constat, il était nécessaire d’étudier ce phénomène à une échelle plus globale. Le travail de recherche s’est étendu sur près de dix ans, portant sur 32 familles de poissons, présentes sur quelques 1600 récifs, répartis dans 36 pays à travers le monde. Les chercheurs cherchaient à mieux comprendre la corrélation entre la densité de nutriments des poissons et la conservation de la biodiversité. Les résultats obtenus sont surprenants et ont révélé deux archétypes distincts ; d’une part, des sites avec une biodiversité plus importante mais une concentration en micro-nutriments plus faible et, d’autre part, des sites présentant une biodiversité moindre mais des niveaux plus élevés de micro-nutriments. Cette seconde situation semble être la plus favorable, durable et bénéfique, pour garantir la sécurité alimentaire des populations.

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Quantité n’est pas gage de qualité… © Eva Maire

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Questionner la pêche industrielle

Le défi majeur réside dans une compréhension approfondie du lien entre la protection des espaces maritimes, les pêcheries artisanales et la sécurité alimentaire. Ces études visent à examiner attentivement les compromis nécessaires entre la protection des ressources marines d’une part, et la préservation des moyens de subsistance ainsi que la sécurité alimentaire des communautés vulnérables, d’autre part. Vulgairement, cette étude questionne l’intérêt de la pêche industrielle par rapport aux bénéfices nutritionnels qui pourraient être tirés. C’est en tout cas l’une des dernières remarques d’Eva, au bout de trente minutes de questions-réponses. 

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Les ratios nutritionnels sont bien meilleurs quand il s’agit de poisson… © Eva Maire

Pour les habitants de Nouvelle-Calédonie, le récif n’est pas simplement un ensemble de coraux mais un univers vivant où la pêche est une pratique quotidienne et ancestrale. Analyser les espaces maritimes calédoniens – et du Pacifique – avec ces modélisations permettrait de répondre plus efficacement aux problématiques de sécurité alimentaire qui existent aujourd’hui dans les communautés du Pacifique.

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