La Nouvelle-Calédonie accueille un invité de marque et il nous fait l’honneur de répondre à notre interview cette semaine : Francis Vallat, Monsieur « Cluster Maritime français » et vous allez le voir, bien plus encore. Les premières Assises de l’économie maritime de l’Indopacifique ont commencé ce 25 octobre, à Nouméa ; l’occasion de réunir du beau monde dans le milieu et donc, Francis Vallat.

La rédaction a rencontré ce passionné de mer et d’aventures. Inquiet pour la préservation de notre océan et de ce que l’on va laisser aux générations futures, il s’est toujours battu pour ses convictions – sans oublier qu’il a participé à la création de notre cluster à nous. Nous lui avons donc tendu notre micro le temps d’une rencontre fort sympathique.

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Bonjour Francis Vallat ! Bienvenue en Calédonie et sur NeOcean. Vous avez plusieurs casquettes et notamment celle de Président d’honneur fondateur du Cluster Maritime Français. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ? Quel est votre parcours ?

Je viens en effet en tant que président du Cluster Maritime Français mais aussi, en ayant participé à la création de cinq clusters maritimes outre-mer ; celui de la Nouvelle-Calédonie mais aussi celui de La Réunion, la Martinique, la Guadeloupe et de la Guyane. Quand j’ai quitté la présidence, il y a eu la création de celui de Saint-Pierre et Miquelon puis Mayotte

J’ai toujours été un homme de mer, j’ai toujours navigué, je continue de naviguer et j’adore la mer. C’est une anomalie parce que je suis Limousin – au milieu du pays, loin de toutes les mers – mais j’ai toujours été fasciné par la mer. J’ai surtout été armateur pendant trente ans, j’ai présidé l’institut français de la mer pendant une dizaine d’années, j’ai été président et vice-président de l’agence de sécurité maritime – c’est comme ça que j’ai créé les clusters. Mon grand âge aujourd’hui fait que je suis aussi membre de l’académie de marine.

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Quelle relation avez-vous avec la mer, et quelle importance a-t-elle pour vous ? Avez-vous une anecdote qui vous a marqué ? 

La mer je ne sais pas d’où ça vient, mais je l’ai dans les veines. Je l’aime sous toutes ses formes, j’aime la regarder, que ce soit son état calme ou en tempête. J’aime naviguer, parfois dans des conditions difficiles. Un jour, j’ai eu la découverte de ce que l’on appelle les valeurs de la mer. J’ai eu l’honneur et le bonheur de préfacer un livre du même nom. Ce sont : l’opiniâtreté, le sérieux, l’honnêteté – car on ne triche pas avec la mer – et l’humilité.

Pour moi la mer, c’est la puissance, c’est la vie. Je me souviens qu’un jour, à bord d’un dériveur, j’ai eu un changement de temps brutal. Je suis passé d’une période très calme à une période extrême, où la mer est devenue noire et menaçante. Ça m’a laissé un grand souvenir… car je crois que c’est ce jour-là que j’ai appris qu’aimer la mer ça ne suffisait pas, il fallait aussi la craindre mais surtout la respecter et la connaître. Il ne faut jamais relâcher sa vigilance. 

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Aujourd’hui, on parle du maritime dans beaucoup de domaines : environnement, préservation de la biodiversité ou encore influence géostratégique. Vous avez déclaré dans une précédente interview que c’est une « puissance d’avenir. » Où se situe la Nouvelle-Calédonie dans cette zone stratégique qu’est l’Indopacifique ?

Quand je parle de puissance maritime, on est dans un aspect qui est à la fois stratégique et économique. Rien que dans un pays comme la France – qui n’est pas le plus grand pays du monde – c’est aujourd’hui un chiffre d’affaires de 100 milliards d’euros, et 350 000 emplois directs. Sur le plan stratégique, il y a les questions de souveraineté, qu’on associe par le civil, il faut avoir une flotte et un pavillon pour assurer pendant des périodes de crise. Aujourd’hui, pour protéger son pays, ça ne se passe plus sur le territoire mais ça se passe à des milliers de kilomètres en mer, où naissent des conflits. 

Et puis il y a cette zone, qui devient de plus en plus centrale, qui est l’Indopacifique. Il est donc évident que le Caillou, là où il est placé, avec sa ZEE, avec la possibilité de points d’appuis est un élément important dans le jeu géopolitique. D’ailleurs, on voit bien aujourd’hui qu’il faut des puissances intermédiaires pour réguler le jeu. On ne peut pas laisser des zones comme celle-là sous tension. Je suis absolument convaincu que si on arrive à trouver les bonnes voies du dialogue, ça n’a pas non plus d’intérêt pour la Nouvelle-Calédonie. On est dans un monde tellement interconnecté qu’il faut toujours se poser la question : comment est-ce que je peux trouver le meilleur équilibre pour mes intérêts ? Je pense que pour la Nouvelle-Calédonie, c’est une chose importante de faire partie de ce rôle d’équilibre qu’elle peut jouer avec la France. 

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Le moratoire signé en juin interdit pendant une période de dix ans, l’exploration, l’exploitation ou la prospection des ressources minérales au sein de l’espace maritime de la Nouvelle-Calédonie. Objectif : préserver l’écosystème marin en écartant toute pression nouvelle liée à l’exploitation minière, pétrolière ou gazière des fonds. Qu’en pensez-vous ? 

Je n’ai rien contre. Il y a effectivement des sites pour lesquels ce moratoire est justifié pour quinze ou vingt ans. Il ne faut pas toucher à l’océan tant qu’on n’est pas sûr qu’on n’abîme pas le milieu, qui est très fragile. Et s’il y a le moindre risque, il ne faut pas y toucher. En revanche, à un moment ou à un autre, si la connaissance donne les moyens de pouvoir le faire sans y toucher, alors là il faudra se poser la question. C’est aussi simple que ça.

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Le Pacifique semble avoir beaucoup de potentiels économiques. Quels sont ceux que vous avez pu identifier pour la Nouvelle-Calédonie ? et plus globalement pour le Pacifique ?

Il y a les richesses traditionnelles – halieutiques -, la richesse commerciale, le fait d’avoir un port… il peut y avoir le tourisme, bien que je sois réservé. Il y a toujours deux aspects : l’économie et le fait de ne pas perdre son identité au nom du tourisme. Après, il y a aussi les richesses non-traditionnelles, dont certaines sont exploitées ou commencent à l’être… je pense notamment à l’aspect biologique, à toutes les molécules pour les médicaments, la cosmétique etc. 

Il y a aussi le problème de la connaissance de l’océan pour mieux le protéger parce qu’il est essentiel pour l’avenir de l’humanité. C’est 60% de la machinerie climatique de la planète donc si l’océan meurt, nous mourrons tous. Il faut donc connaître l’océan dans sa globalité et dans toute cette zone autour de la Nouvelle-Calédonie. Il faut une meilleure connaissance de l’exploration marine, aussi bien de la colonne d’eau que des fonds.  

La Nouvelle-Calédonie a des atouts, notamment avec la mer de Corail et puis il y a ce sujet qui fait polémique : celui des richesses minérales. Pour cela, je pense qu’il n’y a qu’une solution possible, qui est celle du bon sens, qui est en train de se dégager au niveau international : le développement durable. On en a tous besoin, il faut faire face aux besoins des générations présentes et veiller à l’avenir des générations futures. Dans ce cadre-là, les richesses minérales, il ne faut pas y toucher, tant que la connaissance ne nous donne pas de garanties qu’on n’abîmera pas le milieu. Cependant, il faut les regarder, ça fait partie de l’exploration de la connaissance de façon à savoir si un jour on pourra y toucher sans abîmer l’océan. 

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Quelles sont les activités en lien avec l’océan que vous pratiquez ou que vous affectionnez ? 

J’ai créé une organisation qui s’appelle « Septième continent » et qui s’occupe des plastiques en mer, un véritable fléau qui empoisonne l’océan – et ça me prend pas mal de temps. Je suis toujours très actif au Cluster Maritime français et au Cluster Maritime européen. 

Je suis un grand nageur et je suis un nageur en mer ! Je déteste les piscines. Je suis aussi un voileux, c’est-à-dire que je fais encore un peu de croisière comme équipier sur des bateaux qui ne sont pas les miens. A mon âge – ce qui peut paraître ridicule, mais pas pour moi- je reste un fanatique de dériveur. Je suis Parisien aujourd’hui mais quand je suis dans ma Bretagne, où j’habite sur une île, je sors mon dériveur tous les jours.

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Un dernier message à adresser à nos lecteurs  ? 

L’océan c’est notre vie. L’Homme est issu de la mer et la mer est l’avenir de l’Homme. Ce n’est pas simplement un joli slogan. C’est une évidence. On appelle la planète, la planète bleue, parce que 71% de la surface de la Terre est couverte par les océans. On a eu longtemps l’impression que cette masse énorme était complètement infinie, tellement grande que l’on pouvait faire n’importe quoi – y compris la traiter comme une poubelle. C’est un monde fragile et en même temps suffisamment puissant pour nous donner toutes les possibilités possibles pour l’avenir. 

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