Il était une fois la vie… 

C’est ici que tout commence. Avant d’arriver dans nos assiettes, la crevette bleue de Nouvelle-Calédonie voit le jour dans un lieu bien particulier, l’écloserie. À première vue, rien de très spectaculaire ; des bassins, des tuyaux, de l’eau de mer qui circule. Et pourtant, c’est là, dans ces “maternités aquatiques”, que se joue l’avenir d’une filière tout entière.

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Parents mode d’emploi

Avant toute naissance, il faut des parents (big brain). Dans le monde des crevettes, on les appelle les géniteurs. Ces crevettes adultes, soigneusement sélectionnées, sont les stars du premier acte. Pas question de laisser le hasard faire les choses, seuls les individus les plus costauds, en bonne santé et issus de lignées surveillées, participent à la reproduction. À la clé, l’objectif est clair, garantir des post-larves de qualité et préserver la santé génétique du cheptel calédonien. 

Les équipes des écloseries travaillent main dans la main avec les chercheurs de l’Ifremer, de l’IRD et de la Communauté du Pacifique (CPS), qui les accompagnent depuis les débuts la filière dans la sélection des meilleures souches. Une approche scientifique qui permet d’obtenir une crevette bleue à la fois résistante, savoureuse et adaptée aux conditions locales. Avant chaque reproduction, chaque géniteur passe une série de contrôles sanitaires minutieux, entre détection de pathologies, observation de la qualité des œufs et suivi de la fertilité. Une checklist impérative pour éviter toute propagation de maladie dans les bassins, et produire des larves saines. C’est un peu le rendez-vous au centre de dépistage des crevettes finalement.

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La garderie © Y. Harache

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Baby shrimp to doo to doo

Une fois les œufs pondus, la magie opère. Les œufs éclosent en quelques heures et donnent naissance à de minuscules larves, invisibles à l’œil nu. Ces dernières traversent plusieurs stades : naupliuszoémysis, puis enfin post-larves. Pendant une vingtaine de jours, les techniciens des écloseries orchestrent un véritable ballet. Chaque jour, ils surveillent la qualité de l’eau, la température, l’oxygène et la densité de phytoplancton. Ces paramètres doivent rester stables pour éviter tout stress aux larves. Car oui, une crevette, même minuscule, est sensible au moindre déséquilibre. Pour remplacer les antibiotiques, interdits depuis longtemps, les écloseries calédoniennes misent sur des probiotiques et sur la maîtrise biologique du milieu. Ou comment maintenir un environnement sain, naturellement.

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Tuto : comment née la crevette bleue ? © Direction des ressources marines

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Doucement, mais sûrement

Produire des millions de post-larves chaque année, c’est tout sauf une routine. L’élevage des crevettes est une affaire de timing, de rigueur et d’intuition. Les écloseries doivent caler leur production sur la demande des fermes aquacoles, en fonction de la saisonnalité et des aléas climatiques. Trop tôt, les bassins d’élevage ne sont pas prêts ; trop tard, la saison est déjà trop chaude pour garantir de bonnes survies.

Les équipes doivent aussi composer avec des infrastructures parfois isolées et énergivores. Certaines écloseries, encore alimentées par groupe électrogène, expérimentent aujourd’hui des systèmes hybrides avec énergie solaire. Cette approche durable s’inscrit dans la logique de la certification ASC (Aquaculture Stewardship Council), un label international garantissant des pratiques respectueuses de l’environnement, du bien-être animal et des salariés. Chaque crevette bleue qui pointe le bout de ses antennes est le fruit d’un savoir-faire méticuleux, transmis depuis plus de quarante ans et constamment affiné par la recherche.

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Vers les fermes et au-delà

C’est l’heure du grand voyage, les jeunes crevettes longues de quelques millimètres à peine quittent le nid. Après près d’un mois choyées dans les bassins de l’écloserie, les post-larves s’apprêtent à rejoindre les dix-huit fermes réparties sur le territoire. Cette étape, appelée « ensemencement », marque la transition entre la vie en nurserie et la vie en bassin. Les équipes savent qu’elles manipulent du vivant fragile, chaque larve compte, et le moindre stress peut être fatal. Matériel propre, eau bien oxygénée, température stable, animaux en forme, rien n’est laissé au hasard. Une fois pêchées, les larves sont comptées avec précision avant le transfert dans les cuves de transport, où tout est (encore) calibré au millimètre près. Pendant le trajet, chaque demi-heure, un arrêt s’impose durant lequel les techniciens vérifient les niveaux d’oxygène, la pression, le fonctionnement du détendeur. 

À l’arrivée en ferme, nouveau contrôle qualité, et si tout va bien, les post-larves sont alors acclimatées progressivement à l’eau du bassin. Puis vient le grand plongeon, l’ensemencement, dans une zone calme et abritée pour éviter que les vagues ne repoussent les larves vers la digue. Chaque lot de post-larves est le fruit d’un mois de soin et d’expertise, et leur arrivée dans les bassins marque l’espoir d’une nouvelle saison réussie. Une promesse de crevettes bleues saines et savoureuses, prêtes à faire la fierté du caillou, ici ou au-delà…

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La ferme où leur vie continuera… © Aigue Marine

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C’est l’histoire de la vie !

C’est la fin du chapitre “naissance”, mais le début d’un nouveau, celui de l’élevage en bassins, en espérant éviter la crise d’ado… Si les écloseries restent souvent dans l’ombre, elles sont pourtant la colonne vertébrale de la filière crevetticole calédonienne. C’est là, dans le silence des bassins et la lumière tamisée des laboratoires, que se joue l’avenir de notre trésor, à la fois économique et culturel.

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