Au début des années 80, personne ne croyait aux crevettes. Sauf eux. Difficile à imaginer aujourd’hui, alors que nos jolies crevettes bleues trônent fièrement sur les étals du marché de Nouméa, que tout a commencé par des doutes. C’est au tout début de cette décennie, que quelques visionnaires (ou doux rêveurs) ont parié sur un crustacé pour diversifier l’économie calédonienne. Dans leurs yeux, la promesse d’une filière d’avenir. Sous leurs Redback, des terrains à aménager. Et dans leurs glacières, des spécimens ramenés des tropiques voisins. 

À cette époque, ni écloserie, ni SOPAC, ni crevette “origine Nouvelle-Calédonie”. Juste une intuition partagée entre scientifiques, politiques et quelques entrepreneurs un peu fous, celle que le lagon pouvait nourrir plus que des poissons. Et que dans ses eaux chaudes se jouait peut-être une petite révolution économique… 

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Ils ont misé sur la bonne crevette 

Il était une fois, dans un labo… pas dans un lagon. Dans les années 70, l’Ifremer (plus exactement son ancêtre, le CNEXO) s’intéresse de près à l’aquaculture tropicale. Parmi les candidats à l’élevage, la crevette. Forte demande à l’export, forte valeur ajoutée, et une filière encore timide dans le Pacifique. Et devinez qui coche toutes les cases ? Notre caillou ! Eaux tièdes, faible densité humaine, lagon XXL ; le parfait terrain de jeu.  

C’est dans ce contexte que la Nouvelle-Calédonie entre en scène. D’autant qu’en parallèle, la France cherche à investir dans ses territoires ultramarins avec de beaux projets, ce qui va donner naissance à un laboratoire à ciel ouvert.  

Sur le terrain, les premiers tests ont des airs de startup avant l’heure ! Bassins expérimentaux à Saint-Vincent, reproduction en captivité, tests d’alimentation, et grand dilemme du choix d’espèce. C’est finalement Litopenaeus Stylirostris (de son autre nom Penaeus stylirostris), originaire d’Amérique centrale, qui tire son épingle du jeu. Elle est solide, rapide à grandir, et adaptée au climat de chez nous. La future star est trouvée. Reste à construire sa scène. 

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Merci Philippe 

Si l’Ifremer a posé les bases scientifiques, ce sont des entrepreneurs locaux qui ont véritablement fait éclore la filière. Parmi eux, un nom ressort, Philippe Pentecost. Visionnaire discret mais déterminé, il est l’un des premiers à croire à l’élevage de crevettes en Calédonie. Dans les années 80, il construit, teste, ajuste, persévère. Il n’est pas tout seul, et autour de lui, quelques autres aventuriers retroussent leurs manches et sont déterminés. Ils inventent des systèmes d’alimentation, aménagent des terrains, bricolent du matériel. On est loin du modèle industriel. Ici, on apprend en marchant (dans la vase), et souvent à ses dépens. 

Les défis sont nombreux. Reproduction, maladies, salinité, aléas climatiques et banquiers sceptiques. Car en 1983, parler d’“écloserie” à un conseiller financier, c’est un peu comme expliquer le métavers à sa grand-mère. Pourtant, petit à petit, ça prend. Les premiers bassins sortent de terre, les premières récoltes arrivent. Et surtout, les premiers kilos de crevettes calédoniennes s’exportent. Et bingo, le Japon adore.  

crevetticulture
De la Calédonie jusqu’au Japon © SOPAC

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Déjà durable avant l’heure 

Dès ses débuts, la crevetticulture calédonienne s’inspire de modèles étrangers (Équateur, Hawaï, Thaïlande) tout en les adaptant au contexte local. On parle de “crevetticulture raisonnée” avant même que ce soit à la mode. Les contraintes du territoire imposent de faire attention ; eau douce rare, espace limité, lagon fragile. On fait donc naturellement attention. Recyclage de l’eau, peu d’intrants, suivi sanitaire strict, etc. Les pionniers mettent donc en place des pratiques qu’on qualifierait aujourd’hui de “durables”.  

C’est aussi à cette époque qu’émerge la volonté de créer une filière. Pas juste quelques fermes dispersées, mais une chaîne cohérente, avec des écloseries, des fermes, une structure d’export et, plus tard, une marque. Mais ça, c’est pour l’épisode suivant. 

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Quand les crevettes devinrent calédoniennes 

En une décennie, ce qui n’était qu’un pari un peu fou est devenu une réalité bien calédonienne. Chercheurs, entrepreneurs et rêveurs audacieux, tous ont contribué à ancrer les bases d’un modèle unique dans le Pacifique. 

Aujourd’hui encore, la filière doit beaucoup à ces débuts. À ces pionniers qui ont osé croire qu’une crevette pouvait être plus qu’un crustacé ; il y avait une aventure économique, scientifique, une histoire humaine et profondément calédonienne. 

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