Colgate, Powersmile, Sharky, voilà les noms de certaines des 768 tortues marines qui circulent autour des baies de Nouméa. Tyffen Read les connait bien : pour dire, elle fait partie des passionnés qui ont participé à mettre en place les outils pour les identifier et les suivre. Depuis toute petite, elle veut les protéger et s’applique à réaliser cette mission tous les jours.
Tyffen a traduit son engagement personnel dans sa sphère professionnelle. Au sein de la province Sud, elle participe à la conservation des tortues mais aussi de toutes les espèces présentes sur le Caillou. La protection de l’environnement est sa mission quotidienne : aussi à l’aise sur le terrain avec les Gardes Natures que derrière son bureau pour mettre en place des réglementation, Tyffen est comme une sirène dans l’eau !
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Salut Tyffen et bienvenue sur NeOcean. Comment va Colgate la tortue ?
Salut NeOcean ! Colgate va bien, merci de demander. C’est marrant puisqu’ il y a quelques jours, nous avons eu un signalement d’un usager à propos d’une tortue à Signal. Il était inquiet parce qu’il avait vu une tortue avec un trou dans la carapace. En demandant plus d’informations, nous nous sommes rendu compte qu’il s’agissait de Colgate ! Elle a, en effet, un défaut au niveau de la carapace, qui n’est pas récent ni inquiétant. Pour autant, c’était très intéressant de pouvoir dire à l’usager que nous la connaissions et que tout est ok. Colgate, tout le monde la reconnait à sa carapace maintenant.
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Tu es fan de tortue et tu travailles autour de leur protection. Peux-tu nous expliquer ton métier à la province Sud ? Qu’est-ce qui te plait particulièrement dans tes missions quotidiennes ?
Je travaille pour la Direction du développement durable des territoires de la Province Sud. Cette direction a plusieurs services, notamment celui dans lequel je travaille : le Service de Prévention de Proximité et d’Accompagnement Technique (SPPAT). Notre service gère beaucoup d’agents de terrain. Il y a une partie des agents qui font du suivi agricole qu’il soit animal ou végétal. Puis il y a les agents qui sont dédiés à la protection de l’environnement et qui sont les équipes de Gardes Nature. Je m’occupe de gérer ces équipes.
Nous nous intéressons à toutes les espèces et espaces qui sont protégés au titre du Code de l’environnement. Ce code existe depuis 2009 et le champ d’application est assez vaste, avec des compétences provinciales. Les agents sont sur le terrain pour expliquer les réglementations aux personnes et parfois pour verbaliser les personnes en infraction. Ce n’est pas le but ultime, ce n’est pas non plus leur partie préférée mais quand c’est nécessaire, nous sommes assermentés pour le faire.
Concrètement, je m’occupe de manager les équipes qui sont sur le terrain. Ensemble, nous déterminons les zones à prioriser, les actions de sensibilisation à mener et nous créons les outils pour le faire. Les Gardes Nature ont également un suivi scientifique à faire. L’objectif est de faire de l’aide à la décision. Par exemple, les mâts sur les îlots en période de reproduction des oiseaux ou de nidification : les gardes font du comptage d’oiseaux marins pour voir à quel moment ça vaut le coup de monter le mât. Le but n’est pas de pénaliser les usagers, mais de choisir le moment le plus opportun.
Nous nous occupons aussi de l’échouage, notamment des tortues. Il y en a une cinquantaine par an en province Sud… Puis, nous nous occupons aussi du suivi des pontes, de la surveillance de l’application des règles pendant la saison des baleines, des comptages de roussette, du suivi de la chasse. Il n’y a pas que les tortues qui nous occupent, mais toutes celles présentes en Nouvelle-Calédonie !
C’est super intéressant d’expliquer aux gens la réglementation et leur expliquer les choix de protection de telles ou telles espèces. De plus, je me sens utile à travers mon métier. Les règles de droit sont là pour une bonne raison, j’ai l’impression d’apporter ma pierre à l’édifice au travers de mon activité !
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Tu as un doctorat en Sciences marines. Quel a été ton parcours professionnel pour en arriver à ton poste actuel ?
Après un bac scientifique au lycée Blaise Pascal, j’ai eu la chance d’avoir une bourse de la province Sud pour faire des études de biologie marine en Australie. Comme j’étais passionnée de la mer au collège et au lycée, je voulais vraiment m’orienter vers cette branche. Selon moi, cela était plus logique d’aller étudier dans le Queensland, là où les écosystèmes marins sont similaires aux nôtres, que d’aller étudier en métropole.
J’ai donc fait mes trois ans de licence à Brisbane. Puis j’ai continué sur un master recherche avec un focus sur les tortues marines. J’ai fait une étude comparative entre les tortues marines du Queensland et les sites de pontes de tortues grosse tête à Bourail. J’ai bossé sur ce projet pendant un an.
Puis, j’ai commencé une thèse sur les tortues vertes du Grand lagon Sud. Elles ne sont pas en ponte dans cette zone mais en nourrissage. Mon laboratoire d’accueil était l’Aquarium des lagons et au bout des trois ans, j’ai obtenu mon doctorat.
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Tu as participé à la conférence C’Nature du mois dernier à propos des tortues marines de Nouvelle-Calédonie et de l’outil pour les identifier. De quelle manière participes-tu à ce projet ? Quel est son but ?
Ce projet est né d’une rencontre d’une passionnée de tortues et des Fantastic Grand Mother ! Il y a quelques années, j’ai participé avec elles à des opérations menées par le Dr Claire Goiran sur les serpents marins. En parlant avec elle de photo-identification, l’idée est venue de faire ça sur d’autres espèces, notamment les tortues. C’est comme ça que tout a commencé.
Nous nous sommes rapprochés de Kélonia, un institut de soin des tortues à la Réunion. En effet, ils proposent un outil, nommée TORSOOI et dont il était question à la conférence C’Nature. Le logiciel permet de rentrer des profils de tortues pour pouvoir les reconnaitre de manière individuelle. C’est vraiment génial de disposer d’un tel outil puisqu’il nous permet de récolter des informations nouvelles.
La plupart des suivis des tortues, adultes, qui viennent pondre. Ce sont sur elles qu’il y a le plus de littérature scientifique puisqu’elles sont plus faciles à compter. Il y a un gros écart sur nos connaissances vis-à-vis des juvéniles et des mâles adultes. Avec la photo-identification sur des sites de nourrissage, nous générons donc de nouvelles données et de nouveaux savoirs sur ces individus. Enfin, c’est une méthode non invasive et qui coûte beaucoup moins cher qu’un suivi satellite. Grâce à l’engagement des grands-mères qui plongent tous les jours, nous avons une base de données extrêmement fine. À l’échelle internationale, nous sommes précurseurs sur ce projet !
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En Province des Îles, un statut juridique particulier a été créé pour les requins et les tortues. Quel est ton avis sur la question ? Et on en pense quoi à la province Sud ?
Depuis 2009, la liste des espèces protégées en province Sud a été éditée et modifiée. Ces changements évoluent en fonction des rapports de l’UICN ou des études particulières à la Calédonie mettant en évidence le fait que certaines espèces devaient être protégées. La province des Îles a fait quelque chose de très innovant en reconnaissant les tortues marines et les requins comme des sujets de droit.
Pour autant, en province Sud, il n’y a pas de discussion à propos d’un changement sur notre stratégie de protection des animaux. Nous répondons déjà de manière forte et pénale à toutes les infractions, notamment par des peines de prison. La compétence est provinciale et chaque province se donne une stratégie. Tant mieux si plusieurs sont testées, le principal est bien d’œuvrer pour la protection de ces espèces !
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Quels sont les risques encourus par une personne qui ne respecterait pas la réglementation ? Comment faire pour les identifier ? Quels sont les leviers d’action pour les responsabiliser ?
La distance qu’on se doit de respecter pour approcher des tortues marines est de dix mètres. L’amende peut aller jusqu’à 180 000 francs si la réglementation n’est pas respectée. C’est ce qu’on appelle de la perturbation intentionnelle. C’est d’ailleurs la même amende si on s’approche trop près des baleines ou si on dérange une espèce protégée.
Quand il y a prélèvement, braconnage ou vente, les sanctions sont plus bien drastiques ! Les amendes sont de 1 780 000 francs et d’un an de prison. Sans compter la confiscation de tout le matériel utilisé pour commettre l’infraction : le bateau, la remorque, la voiture, etc. C’est le degré de l’infraction qui va déterminer la sanction.
Les réseaux sociaux sont des plateformes qui donnent beaucoup d’informations à qui veut les avoir. Beaucoup de gens se sentent concernés par la protection des animaux et ce sont ces personnes qui nous avertissent souvent des infractions en nous demandant d’agir. En postant des photos où une infraction est commise, il faut s’attendre aux conséquences. Nous ne pouvons pas être derrière chaque personne mais les réseaux sociaux s’affichent à faire des choses qui ne sont pas réglementaires et il faut assumer les conséquences.
Une grosse partie du travail des agents consiste donc à sensibiliser les populations. Nous distribuons plus de 10 000 guides du lagon annuellement. Nous avons aussi des guides de la chasse depuis deux ans afin de mieux comprendre et connaitre la réglementation. C’est beaucoup de temps consacré à cette pédagogie auprès des populations. Le site de la province Sud est très bien fait afin de trouver les réponses à toutes ces questions.
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Qu’est-ce que tu aimes le plus dans le fait d’observer la vie marine ? D’où te vient cette passion ?
Dans les années 1990, ma maman était sirène sur le Ponton de la fausse-passe de Dumbéa. Tous les jours elle mettait sa bouteille de plongée et sa queue de sirène pour aller dans l’eau et emmener les touristes japonais découvrir la barrière. J’ai passé toute mon enfance, notamment pendant les vacances scolaires, à aller avec elle dans l’eau. Quand on me demandait à l’école ce que faisait ma mère, je répondais « sirène ». Le rêve de toutes les petites filles, et moi c’était le cas !
Un jour, nous avions fait un sauvetage de bébés tortues marines que nous avions récupérés et amenés à l’Aquarium. C’est quelque chose qui m’avait marqué et de là, j’ai décidé que j’allais sauver les tortues marines et en faire mon métier. Je n’ai pas changé d’avis ces trente dernières années et je m’évertue, encore aujourd’hui, à mener à bien ce projet !
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Quels sont tes loisirs autour du lagon ? Qu’est-ce qui t’anime le plus en Calédonie ?
En Nouvelle-Calédonie, nous avons un mode de vie qui est lié à la mer. Je pense qu’on s’est tous tenté au kitesurf, à la planche à voile, au PMT, à la plongée bouteille… Je vais régulièrement en mer comme beaucoup d’entre nous. Pour autant, je n’ai pas une activité favorite, je suis touche-à-tout. C’est vrai qu’avec mon travail j’ai la chance d’aller sur des missions et des endroits exceptionnels donc j’en profite. Mais le week-end j’aime bien aussi être tranquille sur mon canapé, avec un bon livre !
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Un dernier mot ou une dernière actu pour nos lecteurs ?
2023 marque l’année du dugong ! Malheureusement, ce n’est pas une bonne nouvelle. En effet, ils sont passés en « danger critique » depuis la fin d’année dernière. La province Sud a donc décidé de mettre le paquet pour sensibiliser au maximum les personnes pour comprendre que chaque dugong compte. Si on ne fait rien, dans dix ans, il n’y aura plus de dugong en Calédonie.
Il faut vraiment que la population se rende compte de ça, que l’on se prenne en main et qu’on comprenne la nécessité de les protéger. Seules nos actions peuvent compter. La première chose est de faire attention à la vitesse en bateau quand on est au-dessus d’un herbier ou dans une aire protégée. Si demain vous tapez un dugong, c’est un des derniers quatre-cents qui restent en Calédonie. C’est dramatique !
Enfin, en cas de découverte d’animaux marins échoués, morts ou mal en point, il faut appeler le 16. C’est une campagne menée depuis deux ans avec le COSS NC qui nous permet de réagir rapidement et de pouvoir sauver ces animaux.
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