Il y a quelques semaines, nous nous intéressions à la guerre des étoiles – de mer – qui se passait sous la surface de l’eau entre les invertébrés acanthasters et les coraux. À cette occasion, nous avions pu échanger avec le spécialiste de la question sur le territoire : Pascal Dumas. Vous le connaissez peut-être car il a participé au TEDx Nouméa il y a quelques années. Ainsi, outre son rôle de chercheur, Pascal a bien des casquettes et des passions, dont l’une est de donner du sens à la recherche en abaissant la barrière du langage et en lui donnant toute la créativité possible ! Partez avec Pascal dans le monde magique de la recherche, où l’équilibre de la force rencontre la beauté de la nature !

__

Bonjour Pascal et bienvenue sur NeOcean ! Alors, comment se passe la guerre des étoiles sous l’eau ?

Bonjour NeOcean et bienvenue à l’IRD ! J’aime bien cette question, elle me fait rire ! En fait, ce n’est pas une guerre, c’est plutôt une guérilla. Chez nos voisins australiens, c’est une guerre puisque ça fait trente ans qu’ils ont des vagues d’acanthasters sur la Grande Barrière.

Nous, c’est plus sournois que ça, c’est sporadique. Effectivement, nous avons des attaques d’acanthasters, mais elles sont plus courtes et c’est beaucoup moins visibles. Depuis 2019-2020, il semblerait qu’on soit dans une phase plutôt tranquille mais c’est à vérifier parce qu’on manque d’informations.

acanthaster
La couronne d’épines AKA l’acanthaster ! © Pascal Dumas

__

Tu étudies les acanthasters de Nouvelle-Calédonie. As-tu toujours eu une passion pour les étoiles de mer ? Raconte-nous ton parcours professionnel…

Alors pas du tout, je n’aurais jamais pensé travailler là-dessus ! À l’origine, quand je suis venu en Calédonie, c’était pour travailler sur les ressources marines, donc ce que les gens pêchent, mangent ou vendent. L’histoire des étoiles de mer, ça a commencé au Vanuatu parce que j’étais envoyé quatre ans là-bas pour l’IRD.

Je travaillais au département des pêches. On a commencé à recevoir des sollicitations de pêcheurs, de communautés qui voyaient arriver sur leur récif, ce qu’ils nous décrivaient comme des « grosses étoiles avec des épines empoisonnées ». Et donc, fatalement, c’est devenu un vrai problème. Il y avait une communauté, près du Luganville, où les femmes n’osaient plus aller pêcher le matin parce qu’elles craignaient de marcher dessus. Nous nous sommes rendu compte que c’était un vrai problème de santé publique. De ce fait, j’ai commencé à travailler là-dessus et c’est comme ça que j’en suis venu aux acanthasters.

acanthaster
Début de carrière dans les mangroves de Guyane © Pascal Dumas

Mais sinon, mon parcours n’a rien à voir. Je me destinais à être chercheur, mais je ne savais pas trop dans quoi. Dans l’environnement, c’est ce qui m’intéressait le plus. J’ai commencé à travailler sur le milieu souterrain et j’ai fait une thèse sur les animaux cavernicoles. Ensuite, j’ai changé pour intégrer l’IRD sur des questions d’écologie des mangroves. Toujours les animaux, les invertébrés des mangroves. Le fil conducteur, ça reste les invertébrés quand même.

__

Aujourd’hui, tu te penches sur les populations de ces étoiles de mer épineuses dans notre lagon. Est-ce que leur présence est un gros problème ? 

Les acanthasters jouent un rôle écologique. Ce sont un peu les jardiniers de la mer. Cela signifie que si on n’est pas dans une phase où leur nombre est trop important pour que le récif puisse l’absorber, les acanthasters consomment les coraux qui poussent rapidement et permettent ainsi de laisser de la place pour les espèces qui ont besoin de plus de temps pour pousser.

En fait, elles dégagent des petits espaces où les coraux à croissance lente peuvent se développer. Elles entretiennent la biodiversité corallienne du récif. Ça, c’est la situation normale. Difficile d’estimer le seuil problématique. Nous n’avons pas tout à fait la même vision de la chose que nos collègues australiens. Pour la Calédonie, nous avons déterminé que si lors d’une nage de dix minutes, nous en voyons cinq ou plus, c’est une grosse infestation. Entre deux et cinq, c’est la zone d’incertitude, moins de deux, c’est que tout va bien.

__

« Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Mais des chercheurs qui trouvent, on en cherche. » : que veux-tu trouver en étudiant les acanthasters ?

Vous avez fait vos devoirs ! Là, pour une fois, ce n’est pas une question de trouver, ce serait plutôt une question de démontrer. Et ce que j’aimerais bien démontrer, ou en tout cas j’aimerais que les gens en prennent conscience, c’est qu’un problème comme les acanthasters doit être pris de manière objective.

Il y a énormément de parti pris, des passions qui ne sont pas du tout fondés sur des critères rationnels. Il y a des gens, par exemple, qui considèrent que comme l’acanthaster est un animal naturel et qui existait bien avant nous dans la région, ce qui est vrai, on ne doit absolument rien faire. À contrario, il y a des gens qui pensent que, dès lors que les acanthasters mangent les coraux, il faut les exterminer, quel que soit leur nombre.

acanthaster
On plonge, on regarde, on prend des mesures, on les analyse… © Pascal Dumas

Et il y a des gens au milieu, dont j’essaie de faire partie ! C’est surtout comme ça que j’essaie d’aborder le problème et de l’expliquer au public ou aux décisionnaires. En fait, il n’y a pas de tout blanc ou tout noir : l’acanthaster, on l’a vu, peut avoir des effets bénéfiques et elle peut avoir des effets très négatifs quand elle est en trop grande quantité. Le tout est de trouver ce seuil et de se positionner par rapport à ça.

J’aimerais donc démontrer que nous ne sommes pas dans un problème manichéiste binaire, là non plus et qu’il y a sans doute une voie de raison et basée là sur des faits.  Et la seule chose qui, à mon avis, puisse éclairer ça, c’est la science. Là, on est sur des questions de seuil, de quantité, combien elles mangent, de combien le corail pousse. Et c’est ce genre d’argument qu’il faut introduire dans le débat.

__

Comment se passe la recherche quand on touche à des phénomènes qui ne sont pas « réguliers » ? Avez-vous des aides humaines extérieures au laboratoire ? Parle-nous du programme OREANET…

La seule réponse est le long terme. Et là, clairement, les scientifiques ne sont pas assez nombreux, nous n’avons pas assez de moyens pour mettre quelqu’un derrière chaque “patate”. Dans ce cadre-là, effectivement, le système de science participative entre en jeu et se trouve être un atout de taille.

acanthaster
Pas de doute possible, acanthaster en vue ! © Pascal Dumas

En effet, la seule solution, c’est d’avoir des observateurs en permanence. OREANET a été créé dans cette optique. C’est un programme mis en place pour que nous puissions demander à tous les usagers du lagon, qu’il s’agisse de pêcheurs, de plongeurs, de plaisanciers, qui ont l’occasion de mettre la tête sous l’eau, de nous remonter l’information facilement s’ils voient des acanthasters.

Cela sert de système d’alarme pour nous. La plupart du temps, nous allons recevoir des signalements d’une ou deux acanthasters par mois. C’est d’ailleurs le cas en ce moment mais a priori, pas de grosse infestation. On garde un œil sur ces signalements mais on ne fait rien tant que le seuil n’est pas franchi. En revanche, dès qu’il est dépassé, nous allons vérifier, nous faisons des comptages et nous effectuons des analyses plus scientifiques pour positionner le problème de façon objective.

OREANET agrège les données de tous les acteurs du territoire : les données RORC mais aussi celle de nos collègues de l’UNC. Nous laçons une deuxième phase de la recherche avec OREANET II. Il faut continuer à communiquer sur ce sujet et mener des campagnes est une belle manière de sensibiliser le grand public et les gestionnaires.

__

Comment se rythment tes journées ? Pars-tu souvent sur le terrain ? Est-ce que tu plonges ?

C’est ce que j’aime dans mon métier, c’est qu’il ne se rythme pas. En effet, les missions sont très variées. En plus, le rythme est totalement aléatoire. Globalement, les financements d’un projet de recherche s’étalent sur trois à cinq ans. J’ai des projets qui m’ont fait partir sur le terrains plusieurs mois pour aller recueillir des données par exemple.

Puis il y a la phase analyse des données, publication scientifique, parce que c’est le seul produit qui est valorisé pour les chercheurs. Nous devons publier pour que notre recherche bénéficie à la communauté internationale. Ensuite, il y a toute une partie communication, ce que, traditionnellement, on sait moins bien faire. C’est pour ça qu’OREANET est en train de recruter un chargé de communication pour effectuer ce travail primordial.

On a toute une partie gestion, de plus en plus administrative, qui est assez lourde. On a de l’encadrement d’étudiants. Moi, j’aime beaucoup la formation et la pédagogie. Il y a aussi un volet autour de la valorisation. L’avantage, c’est que c’est un métier à la carte et qu’il y a beaucoup de missions.

__

Chercheur, plongeur, pédagogue, conférencier TEDx, photographe : tu touches à tout ! Est-ce qu’il y a une activité que tu aimes plus que les autres ?

Je ne pense pas qu’il y ait une activité qui m’anime plus mais un dénominateur commun, qui est en plus la raison pour laquelle je suis rentrée dans la recherche… C’est aborder une thématique, une activité sous un angle un peu original, ce que les Anglais appellent « Think Out of the Box – « Pensez à l’extérieur de la boite ».

acanthaster
En 2022, Pascal était sur les planches ! © TEDx Nouméa

Aussi bien pour la recherche que pour les autres activités, c’est ce qui me plaît vraiment dedans. Typiquement dans la recherche, c’est le cas par excellence. On peut faire quelque chose de très planifié, très organisé ou on peut être ouvert à ce qui se passe et ainsi partir dans des directions qu’on n’avait pas prévues, typiquement les acanthasters pour moi.

Et dans mes autres activités, c’est pareil. En fait, ce que j’apprécie beaucoup, c’est aborder les choses de façon non conventionnelle. La pédagogie, par exemple : l’enseignement universitaire est encore très rigide en France, beaucoup moins dans d’autres pays. Aujourd’hui, on a des techniques pédagogiques beaucoup plus en phase avec les rythmes des gens et avec leurs attentes. La recherche permet cela.

__

Comment décrirais-tu ton lien au lagon calédonien ? Le vois-tu qu’au travers de tes yeux de scientifique ?

acanthaster
À travers les yeux de © Pascal Dumas

Non, justement, il y a plusieurs facettes qui m’intéressent dans mon rapport au lagon. En tant que scientifique, on voit tous un aspect bien particulier. Chaque collègue le voit à travers son prisme. Moi, je vais voir les invertébrés. Mon collègue océanographe va voir les courants, un autre la météo, etc.

Donc, déjà, rien que pour un scientifique, il y a énormément de facettes. Il y a l’aspect artistique, très clairement. Je ne suis pas un photographe sous-marin, je photographie plus à l’extérieur. Mais c’est quelque chose qui attire mon œil. Je vois l’océan à travers toutes ces facettes.

__

Une dernière chose à ajouter pour nos lecteurs ou une anecdote à partager ? 🙂

De l’extérieur, les gens se font une idée de la recherche qui ne correspond pas forcément à la réalité. Et très souvent, en particulier quand on travaille avec les communautés, les gens voient la recherche comme quelque chose de monolithique, un bloc avec des grands programmes de recherche et de grands consortiums mobilisant parfois millions de dollars.

Et c’est vrai que, de nos jours, il y a cet aspect. Moi, ce qui me plaît, c’est avant tout le côté créatif et la recherche à petite échelle. Pour l’anecdote et appuyer mon point, je me souviens, en 2013, nous étions au Vanuatu et je travaillais sur les bénitiers, des ressources que les gens mangent. Les départements de pêche élevaient des bénitiers dans des bacs pour les donner ensuite aux communautés.

On s’était rendu compte, avec un collègue, que les petits bénitiers changeaient de place pendant la nuit. Or, un bénitier est plutôt une espèce fixe, ça ne bouge pas. Ça nous a interpellé. Nous nous sommes posés la question de comment mettre ce phénomène en évidence et l’expliquer. Bien que nous n’ayons pas de financements, nous nous sommes débrouillés pour y répondre. Sans financement et avec presque rien – du matériel de récupération et beaucoup de créativité -, nous avons mis en place une étude originale qui a ensuite été publiée dans un journal scientifique reconnu.

Il y a des recherches qui nécessitent beaucoup de technicité, des grands consortiums mais il ne faut pas non plus oublier ce côté créatif. Il y a beaucoup de choses dans le domaine de l’écologie et de la biologie qu’on ne comprend pas bien. Et ça vaut le coup de se pencher dessus parce qu’avec pas grand-chose, on peut vraiment faire des découvertes passionnantes. La recherche, ça nécessite d’être très rigoureux mais ce n’est pas forcément aussi intimidant qu’on pourrait le penser !

__