Et si nous vous disions que le lagon calédonien est peuplé d’objets en tout genre, allant d’épaves de bateau à des munitions non explosées datant de la Seconde Guerre mondiale, en passant par des câbles sous-marins nous connectant aux autres continents ? Si nous sommes habitués à contempler les animaux sous-marins, les fonds lagunaires sont encore pleins de surprises !

Et ce n’est pas notre rencontre du jour qui dira le contraire. Michael Field, le fondateur de la startup Island Robotics, est spécialisé depuis plus de quinze ans dans la robotique sous-marine. De l’Australie à la Nouvelle-Calédonie, en passant par le Pôle Sud et le Pôle Nord, Michael nous explique le rôle de ses robots pour préserver et protéger le lagon. Travaux scientifiques, missions de surveillance environnementale et explorations archéologiques, les robots de Michael sont une sorte de Nautilus à la Jules Verne… Version minimoys et non-habitée !

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Bonjour Michael et bienvenue sur NeOcean ! On entend un « léger » accent australien ! Cap de faire l’interview en français ?

Bonjour NeOcean et merci de me rencontrer. Bien sûr que nous allons faire cette interview en français ! Je ne peux renier mon accent de Melbourne mais pas de problème pour parler français ! En revanche, mon prénom, lui, se prononce bien à l’anglaise ! Je trouve qu’en français, ça sonne moins bien !

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Qu’est-ce qui t’a amené à t’installer en Nouvelle-Calédonie ?

Ma femme est chercheuse paléoclimatologue marine et géochimiste à l’IRD. Dans le cadre de ses travaux, elle a fait une expatriation en Nouvelle-Calédonie. C’était vraiment une opportunité pour nous puisque nous voulions changer de climat et nous rapprocher de la famille en Australie.

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On nous dit dans l’oreillette que tu as travaillé en Antarctique et au pôle Nord avant d’arriver ici ! Tu y as croisé pingouins et Père Noël ?

J’ai eu la chance de visiter les deux pôles ! J’ai commencé à travailler pour le Gouvernement australien dans l’océan austral, c’est-à-dire dans les eaux glaciales de l’Antarctique. Là où les pingouins peuplent la banquise ! Ils sont d’ailleurs très drôles à observer. Après quelques années, j’ai eu l’opportunité de faire la même chose dans l’océan opposé, l’océan Arctique, plus connu comme le pôle Nord ! Je n’y ai pas vu le Père Noël mais j’ai croisé des ours polaires et admiré pas mal d’aurores boréales.

J’y suis allé en tant qu’ingénieur spécialisé dans le développement et l’application d’équipements autonomes. Dans chacune de nos missions, j’avais donc la charge de préparer des équipements et des instruments sous-marins pour des programmes de recherche. Pour simplifier, je m’occupais des robots qui allaient sous les mers afin de prélever des informations – des données – pour faire avancer la recherche sur ces milieux.

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En arrivant sur le Caillou, tu as créé ton entreprise : Island Robotics. Quelle est sa raison d’être ?  

Il y a deux ans et demi, quand nous nous sommes installés ici, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas vraiment d’ingénierie dans mon domaine d’expertise. Alors j’ai décidé de créer mon entreprise pour initier ce changement. Il faut comprendre que ce métier d’ingénieur est lié au fait que nous n’avons pas assez de données sur tout ce qui touche à la mer et à l’océan. Nous sommes dans une phase d’apprentissage et de compréhension de l’univers sous-marin et pourtant, nous sommes en déficit de données. Voilà la raison d’être d’Island Robotics : proposer une solution innovante d’acquisition de « data ». Plus de régularité, plus de précisions et une meilleure qualité des jeux de données.

Le Caillou a un environnement marin exceptionnel en termes de biodiversité des espèces, d’habitats ou encore de géologie. Toutes nos activités économiques s’y rapportent, que ce soient des activités minières, commerciales, militaires, géopolitiques… C’est autant de raisons pour chercher à comprendre notre impact sur le monde sous-marin.

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Est-ce que tu construis tes robots ? Concrètement, quelle est leur utilité pour le lagon ?

Aujourd’hui, je préfère plutôt assembler des briques technologiques déjà disponibles entre elles pour développer une solution plus complète. Les robots combinent plusieurs technologies et expertises venant de France métropolitaine, des États-Unis ou encore d’Australie. En revanche, je développe des nouveaux systèmes autonomes qui fonctionnent avec – ou en parallèle – de nos véhicules sous-marins afin de compléter l’acquisition des données en mer.

Ainsi, depuis sa création, Island Robotics développe des solutions complètes : nous fournissons bien entendu les robots mais aussi tous les services opérationnels qui vont minimiser l’effort et la logistique pour nos clients. En plus de ça, nous avons la capacité d’extraire les données récoltées pour formuler des rapports.

Une partie de l’équipement… © Island Robotics

Nous utilisions deux types de robots. Le premier est le robot autonome. Comme son nom l’indique, il est programmé pour réaliser une collecte de données par lui-même. En effet, il y a un gros travail de préparation en amont pour le « coder » afin qu’il puisse agir seul. Une fois dans l’eau, nous n’avons qu’à attendre qu’il revienne avec les données enregistrées.

Le deuxième type de robot est téléguidé. Il est relié à un fil et nous le manipulons grâce à une manette. C’est un drone sous l’eau ! Nous avons un retour vidéo en direct afin de pouvoir le contrôler. Ses zones d’action sont donc plus restreintes, nous utilisons ces robots pour des inspections très localisées. À contrario, le robot autonome sera déployé dans des zones plus larges dans lesquelles il fonctionnera « en liberté » grâce à une intelligence embarquée.  

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Quels sont les projets sur lesquels tu travailles actuellement ?

Grâce à notre technologie, nous sommes capables de faire des études sous-marines, de la surface de l’eau à trois cents mètres de profondeur. Nous pouvons ainsi mener des études scientifiques de toute sorte mais aussi des recherches ponctuelles pour localiser des objets. Cela peut-être des épaves, des mines, des munitions non explosées voire des ancres.

Ces données sont importantes et nos clients sont très divers : nous intervenons pour des industriels, pour les scientifiques ou encore pour des institutions publiques. Nous effectuons un rapport détaillé, ce qui aide généralement les acteurs à prendre des décisions éclairées. Cela peut être des actions de dépollution des épaves ou des études environnementales pour identifier des zones sensibles et éviter tout projet de construction. Le dernier axe sur lequel nous agissons est le contrôle des infrastructures existantes : nous allons regarder si les tuyaux sont en bon état, si les câbles sous-marins sont en place, etc. Ce sont des actions de prévention.

Nous effectuons actuellement beaucoup de missions d’archéologie marine. Nous recherchons des épaves, notamment avec l’association Fortunes de Mer Calédoniennes. L’idée est de retrouver des épaves de navires ayant fait naufrage dans nos eaux. Mais cela peut aussi être des avions datant de la Seconde Guerre mondiale. Nous cherchons un peu tout en fonction des demandes que nous avons.

À la recherche des trésors engloutis de Nouvelle-Calédonie © NeOcean, Island Robotics, Fortunes de Mer

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Parmi toutes ces activités, y en a-t-il une que tu aimes plus que les autres et pourquoi ?

Je les aime toutes ! Chaque sortie en mer, chaque projet est différent. Ils sont reliés à de nouveaux challenges qui me font vibrer chaque jour dans mon métier. Cela fait plus de quinze ans que je travaille sur ces sujets et chaque fois, je me régale des défis techniques, scientifiques et météorologiques. Toutes les personnes que je rencontre sont, elles-aussi, passionnées par ce qu’elles font ! L’idée qu’il reste tant à découvrir me motive beaucoup. Nous devons mieux explorer, mieux connaître, mieux apprendre et ainsi mieux protéger.

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Quelle est la chose la plus folle que tu aies trouvée ou filmée sous l’eau ?

C’est difficile de répondre à cette question… En Antarctique, découvrir le monde sous-marin a été phénoménal. Je ne me doutais pas que sous ces épaisses couches de glace, il puisse y avoir tant de vie et tant de couleurs ! Nous avons trouvé des récifs de corail assez profonds, très bien conservés et avec une diversité de vie marin assez extraordinaire !

En Nouvelle-Calédonie, à chaque sortie, je vois quelque chose de nouveau. Je rencontre des requins, des raies, des tortues et même des grosses loches qui taquinent un peu mes robots ! Au-delà des animaux marins, je me concentre de plus en plus sur le monde de l’archéologie et je découvre des morceaux d’histoire à travers les vestiges que nous localisons. C’est très émouvant je trouve.

Cependant, il y a aussi des situations problématiques, notamment quand le robot se met en défaut ! Cela signifie qu’il ne fonctionne plus correctement, voire qu’il s’arrête totalement… Je vous laisse imaginer la galère d’aller chercher un robot coincer sous l’eau ! Comme nous ne pouvons pas plonger en bouteille à cause de la profondeur, nous utilisons un autre robot : un véhicule sous-marin téléopéré (ROV). Malgré le stress, c’est toujours un peu excitant d’utiliser toutes ces technologies.

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Finalement, tu es un peu un mélange d’un Indiana Jones et d’un Monsieur Propre du lagon. Quel est ton rapport à l’environnement marin ?

J’avoue ne jamais avoir vraiment réfléchi à cette question… En effet, j’ai grandi avec la mer, comme beaucoup d’Australiens. J’ai toujours eu un lien avec : j’ai grandi à Melbourne et j’ai passé mes vacances à faire du surf ou « chiller » sur la plage. J’ai un lien « naturel » et inné avec cet environnement. En Australie comme en Calédonie, nous sommes entourés d’eau. Pour aller ailleurs, c’est forcément « over-seas ». Nous sentons cela, pas besoin de le dire, c’est une partie de notre identité.

Je pense que j’ai toujours eu conscience que l’océan était beaucoup plus large que nous, qu’il dépassait notre vision parfois limitée. Je n’ai d’ailleurs jamais considéré l’océan comme quelque chose de fragile ; j’ai plutôt une admiration pour la force qu’il dégage. Bien sûr, je suis très attaché à tout ce qui se trouve dans ses fonds. J’ai besoin du contact avec l’eau pour me sentir épanoui.

Et toujours cette immensité du bleu de Calédonie © NeOcean

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Un dernier mot pour nos lecteurs ? 

Il y a tant à découvrir à propos de l’océan, à commencer par mieux le comprendre ! Il y a beaucoup d’acteurs qui s’engagent au quotidien et l’arrivée d’un webmédia comme NeOcean est une bonne chose pour vulgariser et centraliser les informations. C’est tellement nécessaire d’être plus conscient de ce que l’océan est et représente pour notre futur, nos espèces, notre climat, nos sociétés du Pacifique et plus largement pour l’avenir de la planète. C’est de notre devoir de créer des vocations chez les plus jeunes, il y a tant de métiers passionnants autour de l’océan. 

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