Si vous êtes curieux de l’histoire du Caillou et passionnés d’épopées maritimes, vous connaissez sans doute le Musée maritime de Nouvelle-Calédonie. Étant donné son insularité, l’histoire de la Nouvelle-Calédonie est résolument tournée vers la mer. Depuis près de 25 ans, le musée maritime collecte des objets et les expose pour vous offrir un voyage à travers le temps.
Des premiers navigateurs à la Seconde Guerre mondiale, le musée expose les objets archéologiques provenant du fond des mers. Derrière chacun d’entre eux, se cache Valérie Vattier, la directrice du musée, qui a à cœur de les mettre en lumière afin de vous raconter leur histoire. À travers des expositions temporaires et permanentes, Valérie sublime ces objets pour vous en livrer les secrets. Passionnée de patrimoine, elle nous a parlé de son expérience au musée et de sa passion pour percer les mystères de ces fragments d’histoire…
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Bonjour Valérie et bienvenue sur NeOcean. Peux-tu te présenter à nos lecteurs en quelques dates clés ?
Bonjour NeOcean, merci de venir à ma rencontre ! Alors les dates, ça peut paraitre fou, mais je n’ai pas toujours tout en tête… La première qui me vient est le 16 décembre 2002 : elle correspond à ma prise de poste au Musée Maritime. Un peu plus de vingt ans maintenant, ça passe vite !
À la base, j’ai une formation de géographe. La géographie mène à beaucoup de choses, notamment à l’histoire. Puis, j’ai suivi une formation dans la mise en valeur de parcours touristiques et culturels sur la base du patrimoine, qu’il soit naturel ou bâti. Quand je suis arrivée en Nouvelle-Calédonie, je pensais enseigner. L’histoire a été toute autre ! J’ai commencé par travailler, au sein de la province Sud, sur un projet d’aménagement du site historique de l’île Nou. L’idée était de mettre en place un parcours touristique et culturel du patrimoine pénitentiaire de l’île, autrefois un bagne. J’ai participé à plusieurs projets avec la province Sud, j’ai travaillé pour l’Association Témoignage d’un passé, pour les Journées du Patrimoine, pour le centre culturel Tjibaou. En parallèle, je faisais pas mal de piges, je rédigeais des articles pour le CCI info, pour le Tazar etc.
De fil en aiguille, j’ai rencontré l’ancienne directrice du musée maritime qui m’a annoncé qu’elle démissionnait. Ce poste me faisait rêver : il rejoignait mon parcours de géographe et l’aspect développement culturel du patrimoine. Travailler pour un musée maritime, c’est s’ouvrir à toutes les disciplines, comme c’est le cas en géographie. Sans compter que j’aime l’aventure ! Dans ma vie personnelle, je fais de la spéléo, de l’escalade, je suis partie en expédition plusieurs fois… Ce sont des choses qui m’attirent beaucoup, donc le côté exploration, voyage et expédition d’un musée maritime collait parfaitement avec ces aspirations. Je n’ai pas trouvé de métier qui me pouvait me faire vibrer autant.
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Le Musée Maritime fait partie des institutions associatives du Caillou. Quelle est son histoire et sa raison d’être ?
L’association du Musée Maritime a été créée en 1994 par deux autres associations : Fortunes de Mer calédoniennes et Salomon. L’idée était de pouvoir conserver et mettre en valeur les objets collectés sur des épaves. L’association Salomon se concentre sur les deux épaves de l’expédition Lapérouse qui ont fait naufrage à Vanikoro aux îles Salomon et Fortunes de Mer s’est plutôt spécialisée sur les épaves autour de la Nouvelle-Calédonie. C’est un patrimoine très important : 600 épaves recensées à ce jour et nous n’en avons trouvé qu’une soixantaine. Ça ne veut pas dire que toutes les autres sont de la même importance mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a un sacré potentiel archéologique dans la région !
Ces deux associations ont donc collecté pas mal de vestiges archéologiques sous-marins dès le début des années 1980. Rapidement, ils ont eu envie de trouver un laboratoire pour les traiter. En effet, l’objet archéologique maritime a la spécificité de se dégrader plus vite au contact de l’air. Il faut donc le traiter rapidement. Ensuite, ces associations ont voulu mettre en valeur ce patrimoine et partager ses histoires avec le grand public. Le Musée est né de ces deux volontés.
Ils ont eu le courage et l’énergie de trouver des moyens financiers et techniques. En 1997, le Port Autonome a mis à disposition le bâtiment du Musée, anciennement la gare maritime de Nouméa. Elle avait été désaffectée au début des années 1990 et n’était plus utilisée. Le directeur du PANC de l’époque, Philippe Lafleur, a mis à disposition ce bâtiment pour les besoins du Musée ainsi que le bâtiment dans lequel nous sommes pour y mettre un laboratoire et un espace de stockage.
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Tu es donc la Directrice du Musée. En quoi consiste ton travail ? Quelles sont tes missions quotidiennes ?
Tout d’abord, je coordonne mon équipe, aussi petite soit-elle ! Nous sommes sept : Marie qui s’occupe de la restauration mais aussi des collections. C’est elle qui gère toutes les références. Je ne parle pas d’ « objet » car en archéologie, une référence peut être un fragment. Un « objet » peut être une assiette de porcelaine de Chine, cassée en dix morceaux. Il va donc y avoir dix références différentes. Marie s’occupe donc de les traiter en laboratoire, puis de les inventorier, les étiqueter, les numéroter, les rentrer dans la base de données et de les photographier. En ce moment, elle est assistée d’une stagiaire en restauration pour trois mois qui l’aide sur toutes ces – nombreuses – tâches.
Il y a Nathalie, en charge de la communication. Elle s’occupe des réseaux sociaux, du site internet et de toute la partie suivi informatique. C’est elle qui a la charge de la partie recherches iconographiques. Il y aussi Madeleine, qui gère les aspects administratifs et financiers. Enfin, à l’accueil du Musée, il y a trois personnes : Malia – alias Koka – qui s’occupe surtout de la partie visites guidées et animations, notamment avec les scolaires ; Malia Losa sur les suivis fournisseurs et boutique et enfin Marie – alias Dada – qui s’occupe essentiellement de l’accueil.
En parallèle de cette mission, je propose un programme d’animation et d’exposition. Je le soumets au Conseil d’Administration du Musée et, s’ils valident le programme, je le mets en œuvre. Je prépare les expositions, j’écris les textes, j’effectue les recherches documentaires. Il arrive qu’on doive puiser de la documentation ailleurs qu’en Nouvelle-Calédonie. Les idées d’exposition et d’animation, c’est souvent moi qui les propose mais on me souffle aussi de bonnes idées.
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Votre activité ne s’arrête pas à des expositions. Quels sont les différents espaces du Musée ? Comment choisissez-vous les expositions temporaires. Quelle est celle du moment ?
Premièrement, il y a un espace multifonctions qui se transforme à volonté ! C’est un espace qui permet d’accueillir les scolaires ou en tout cas, les jeunes publics. Il y a des installations pour eux, un bateau-jouet, des malles ludiques pour découvrir l’histoire des premiers navigateurs. La salle accueille aussi des expositions photos, peintures, historiques… C’est un espace qui nous sert de salle de conférence ou de réception lors de cocktails. Nous pouvons la louer aux entreprises et associations. Sans oublier que c’est notre salle de réunion mensuelle avec l’équipe au complet !
Ensuite, il y a l’exposition « permanente ». Elle est construite autour de quatre thématiques correspondant à des collections archéologiques. Tout d’abord, il y a une zone de l’exposition dédiée aux voiles du commerce : nous expliquons les raisons des arrivées des bateaux en Nouvelle-Calédonie à partir des ressources présentes sur le territoire. Les biches de mer, le santal, le troca, la baleine, puis le chrome, le fer, et enfin le nickel avec le début d’une longue épopée maritime. Puis, une autre partie s’attache davantage aux liaisons maritimes à l’intérieur de la Nouvelle-Calédonie. Dans cet espace du Musée, il y a une zone spécialement dédiée à l’histoire de la Monique. Ensuite, il y a un espace consacré aux courants de migrations de la Nouvelle-Calédonie, des premiers navigateurs à l’époque américaine. Après les années 1950, l’avion prend le relais donc nous sortons un peu de l’histoire maritime. Enfin, il y a un espace voué à la collection de Lapérouse.
Cependant, nous présentons aussi des objets qui ne viennent pas forcément de la mer : l’optique du Phare Amédée par exemple. C’est une pièce absolument unique au monde, construite en 1861 et installée en 1865, dont le verre a été taillé à la main! Nous avons eu la chance d’avoir pu la récupérer et nous l’avons remonté en 2007. Autre objet remarquable : le safran du Roanoke, qui est très impressionnant par sa taille ! Cet espace d’exposition est dit « permanent » mais rien n’est figé dans le temps. À un moment donné, nous repenserons surement cet espace pour proposer quelque chose de neuf.
Pour l’exposition temporaire, tout cela dépend de plusieurs facteurs. Déjà, il y a l’aspect commémoratif. Cette année, c’était les 70 ans de la disparition de La Monique et je n’imaginais pas que le Musée Maritime ne fasse rien pour cet évènement. Ainsi, l’exposition temporaire s’inscrit dans cette démarche-là. J’ai senti qu’il y avait une attente de la part des Calédoniens, qu’ils soient concernés ou non par son histoire, qu’ils soient jeunes ou moins jeunes. J’ai voulu créer une exposition autour de l’histoire du caboteur et pas seulement sur sa disparition. L’exposition est assez colorée, à la mémoire des disparus mais pas d’une façon trop sinistre !
Malgré tout, il faut faire des choix. L’année 2024 s’annonce pleine de commémorations : les 160 ans de l’arrivée de l’Iphigénie, navire qui amenait les premiers bagnards en Nouvelle-Calédonie ; les 250 ans de l’arrivée de James Cook en Nouvelle-Calédonie ; les 25 ans du Musée Maritime et des 10 ans du Parc de la Mer de Corail ! Ça va être difficile de tout faire.
Nous mettons aussi des expositions « coup de cœur » ! Par exemple, l’année dernière, nous avons créé une exposition autour de l’art japonais du gyotaku. Cet art consiste à reproduire des empreintes de poissons fraichement pêchés à l’encre de chine (ou de seiche à la base) sur une feuille de papier japonais. Cela donne des créations incroyables ! J’avais eu un vrai coup de cœur quand l’artiste (Jean-Michel Aubier) était venu me présenter son travail. Il peut aussi y avoir des expositions que j’ai envie de faire ! Je rêve de faire une exposition sur les monstres et les mythes marins. Ça me tient à cœur et je ne perds pas espoir de la réaliser un jour.
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Vous avez aussi des « collections » et un Laboratoire. À quoi cela correspond ? Comment d’objets avez-vous et où les trouvez-vous ?
Une collection est un ensemble d’objets ou de vestiges liés par une thématique commune et conservés pour leur valeur historique, culturelle, scientifique : la collection Lapérouse par exemple ou la collection de la « Seine », la Seine étant le nom du premier navire européen à avoir fait naufrage en Nouvelle-Calédonie en 1846. Les expositions temporaires permettent de dévoiler une collection complète car tout ne peut pas être présenté dans une exposition permanente.
Nous gérons environ 10 000 références, sachant que la moitié environ concerne Lapérouse. C’est une collection qui est très importante en variété, en quantité et en « exceptionnalité ». C’est une collection unique au monde et d’une très grande richesse qui date du XVIIIe. Les Anglais nous envient beaucoup puisqu’à la même époque, les navires de James Cook sont rentrés en Angleterre après la mort de leur capitaine aux îles Sandwich (Hawaï). De plus, ce qui est assez exceptionnel c’est que tous les objets retrouvés à Vanikoro (îles Salomon) sur le site du naufrage de l’expédition Lapérouse, ont été rapatriés en Nouvelle-Calédonie et ont été traités ici. C’est une chance d’avoir un laboratoire dédié pour le traitement de l’archéologie sous-marine. En France, les musées maritimes n’ont pas de laboratoire propre ; ils passent par des entreprises privées et ça coûte très cher !
Je donne souvent comme exemple un élément de lunette astronomique de la collection Lapérouse : elle est composée de bois, de verre et de métal. Ici, avec les moyens dont on dispose, on maitrise plus difficilement ce type de traitement. cela nécessite de séparer chaque partie de l’objet et les traiter différemment. Nous avons expédié cet objet en métropole, il est passé par deux laboratoires différents pour la partie métal et bois. Il y en a eu pour 400 000 francs ! Donc on se rend compte de ce que ça pourrait coûter si on devait faire ça pour le reste des objets ! Nous avons la chance d’avoir ce laboratoire et d’avoir une restauratrice qui a les compétences adéquates sur le territoire.
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As-tu un objet préféré ou une anecdote à raconter à nos lecteurs sur l’un d’entre eux ?
C’est une question qu’on me pose assez souvent mais c’est très difficile pour moi de choisir parmi les 10 000 références ! Je mentirais si je vous disais que je tombe en extase devant un clou… De plus, j’exerce le métier de conservatrice mais à titre personnel, je ne suis pas attachée aux objets qui sont chez moi. En revanche, j’aime leur histoire, j’aime la raconter en mettant en valeur l’objet ou le fragment. Ce qui me plait, c’est être face à un objet dont on ne connait rien et de chercher sa provenance, ses secrets et réussir à en percer le mystère. Cela peut mettre plusieurs semaines, plusieurs mois mais quand on découvre son histoire, il prend une autre dimension. Il devient plus qu’un objet trouvé dans une épave : il a une vie, il raconte quelque chose et surtout, il est lié à l’histoire de la personne à qui il appartenait. Je trouve cela incroyable et j’espère pouvoir le transmettre au travers des expositions.
Niveau anecdotes, au bout de vingt ans, j’en ai accumulé quelques-unes ! Il y a une jarre dans l’exposition Lapérouse, assez haute. Ce n’est pas un objet exceptionnel pour l’époque ou pour l’expédition dont elle faisait puisque ce type de jarre en terre permettait de transporter et conserver des produits. On y mettait de l’huile, de la graisse, de l’eau… Quand la jarre a été retrouvée sur l’épave en 2005, elle était en miettes ! L’équipe d’archéologues a pris ce tas de fragments et a ramené le tout en Nouvelle-Calédonie. Il se trouve que nous connaissions un archéologue passionné par les poteries de Lapita, Jean-Pierre SIORAT. Nous lui avons demandé s’il voulait bien nous aider à reconstituer cette jarre, ce qu’il a volontiers accepté. Tous les morceaux ont été réassemblés ! C’est un travail extraordinaire. Il ne manque qu’un très petit triangle sur la poterie, c’est tout ! Voir cet objet reprendre forme, c’était époustouflant. Je salue son travail. Il travaille toujours la terre, nous vendons d’ailleurs certaines de ces poteries au musée.
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Vous organisez souvent des événements, notamment des animations pour les plus jeunes. Pourquoi cette volonté de d’atteindre les enfants ?
J’ai deux enfants, qui étaient assez jeunes quand j’ai pris mes fonctions au Musée maritime. En tant que maman qui voyageait de temps à autre avec eux, j’ai pu visiter de nombreux musées. À chaque fois, j’étais un peu désespérée par l’accueil réservé aux enfants. Comme si, les musées étaient un monde de grands et d’interdits : il ne faut pas toucher, il ne faut pas parler, les explications sont difficiles… De ce postulat, je me suis dit qu’il fallait que le Musée maritime s’ouvre au monde des enfants ! Dans chacune des thématiques, il y a un espace enfant-famille. C’est un espace pour le jeune public mais que je souhaitais être un espace en famille, ludique et pédagogique.
Les enfants sont comme des « éponges ». Ils sont curieux, apprennent vite et ils sont tout autant capables de transmettre leurs connaissances aux adultes. Ce sont eux aussi qui poussent parfois leurs parents à venir au Musée ! Malheureusement, certains adultes peuvent aussi voir le monde des musées comme un endroit qui n’est pas pour eux, difficile d’accès, une sorte de monde à part. Avec ces espaces enfants-famille, nous offrons aussi aux parents l’opportunité de découvrir l’histoire autrement et, je l’espère, de se réconcilier avec les musées Aujourd’hui, ça me fait très plaisir d’entendre des adultes me dire qu’ils sont venus visiter le musée parce que leur enfant leur en a parlé !
Je pense que ce qui fait en grande partie notre renommée, c’est justement cet aspect-là. Nous avons été précurseurs au musée et c’est ce qui fait notre plus-value. Dès mon arrivée, je voulais que les parcours soient ludiques. En 2003, le musée avait déjà créé et mis en place les premières malles pédagogiques. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus répandu mais je reste très heureuse d’avoir impulsé ce mouvement. Il faut faire confiance aux enfants dans les musées, ils sont très respectueux et très curieux !
Prochain objectif : les adolescents ! On les approche via le lycée, particulièrement les lycées techniques, via l’Escape Game que nous proposons. C’est une façon pour eux de découvrir ce patrimoine avec des outils qui sont les leurs. On apprend tout aussi bien en jouant et en s’amusant !
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Une dernière actu ou un dernier mot pour nos lecteurs ?
Venez voir l’exposition sur la Monique ! Le 2 et 3 septembre, nous organisons des journées Portes Ouvertes pour le mois du Patrimoine. C’est l’occasion parfaite de découvrir notre nouvelle exposition, si ce n’est pas déjà fait… Nous allons mettre en place des dispositifs « jeunes publics » dans cette exposition. Et toujours dans le cadre des commémorations de la Monique, nous avons lancé un concours de bande-dessinée, via le Vive-rectorat, auprès des scolaires. Nous exposerons tout au musée d’ici la fin de l’année !
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