Entre passion, engagement et science, Laurence Bachet veille sur les joyaux de notre merveilleux lagon. Gestionnaire du réseau d’Aires Marines Protégées à la province Sud (et des espèces marines protégées), elle œuvre depuis près de vingt ans à la préservation de ces espaces essentiels à la biodiversité, mais aussi à la qualité de vie des Calédoniens. Avec elle, on plonge au cœur d’un métier aussi discret qu’indispensable, entre coordination, sensibilisation et amour profond de la mer et des espèces qu’elle abrite.
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Bonjour Laurence, bienvenue sur NeOcean ! Pour commencer, peux-tu nous raconter ton parcours et ce qui t’a menée à devenir gestionnaire du réseau d’Aires Marines Protégées de la Province sud ?
Passionnée de nature depuis mon enfance, j’ai fait des études de biologie à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, puis en métropole pour passer une maîtrise de Sciences de la Vie, car à l’époque le cursus s’arrêtait à la licence sur le territoire. De retour au pays, j’ai eu l’opportunité de travailler un an au Congrès sur des dossiers stratégiques environnementaux passionnants, qui m’ont motivé à me spécialiser dans la gestion. Je suis donc repartie poursuivre mes études en France, puis à Tahiti, où j’ai obtenu un Master 2 en Gestion des Anthroposystèmes Littoraux et Marins Tropicaux, avec la volonté de contribuer à la protection de notre beau lagon.
À mon retour en 2008, j’ai intégré la direction de l’Environnement de la province Sud en tant que responsable du pôle « espèces emblématiques marines » au Service de la mer. Par la suite, on m’a confié la gestion des écosystèmes marins en plus des espèces. Après sept années sur ces missions passionnantes, j’ai eu l’occasion d’évoluer vers une approche plus territoriale en devenant gestionnaire des aires protégées terrestres et marines de la côte Ouest (de Poya à Dumbéa), incluant le Parc de la Zone Côtière Ouest (ZCO) inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Depuis trois ans, je suis revenue à la gestion exclusivement marine, en charge du réseau d’Aires Marines Protégées, aux côtés de mon collègue Michel, responsable de l’aménagement du réseau d’aires protégées terrestres et marines. Ma collègue Hélène est gestionnaire des aires protégées terrestres et Thibault assure l’animation du Parc de la ZCO.
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Pour ceux qui ne connaissent pas bien, qu’est-ce qu’une Aire Marine Protégée et pourquoi c’est si important pour notre lagon ?
Une Aire Marine Protégée (AMP) est une zone marine délimitée au sein de laquelle s’applique une réglementation spécifique, visant à protéger les écosystèmes et les espèces qu’elle abrite. Ça ne veut pas forcément dire que tout y est interdit, mais plutôt qu’on y organise mieux les usages selon les enjeux et les objectifs de gestion. Le niveau de protection dépend du statut juridique de chaque AMP, généralement établi en fonction des besoins de conservation, même si certaines anciennes AMP dépendent essentiellement d’opportunités historiques ou politiques. Le statut le plus protecteur est celui de réserve intégrale, dans laquelle il est interdit de pénétrer (Yves Merlet, par exemple). Viennent ensuite les réserves naturelles, où il est interdit de prélever quoi que ce soit, d’introduire des chiens, de couper du bois, etc. (Par exemple à Signal, Larégnère, Roche Percée, Ouano,…). Les Aires de Gestion Durable des Ressources (AGDR), un statut spécifique et adaptable, favorisent les activités touristiques tout en cherchant à les concilier avec la protection des sites (Canard, Amédée, Ténia,…). Enfin, les Parcs marins permettent une gestion plus “à la carte”.


Les AMP sont importantes car elles constituent un outil essentiel de gestion durable du lagon. Elles permettent de préserver les habitats et la biodiversité, mais aussi de favoriser le renouvellement des stocks halieutiques en offrant des zones de reproduction et de croissance aux espèces pêchées. Les stocks se régénèrent et l’“effet réserve” (l’exportation de biomasse) profite directement aux pêcheurs. C’est pourquoi il est important de disposer d’un réseau d’AMP bien réparti sur l’ensemble du lagon. Beaucoup d’AMP comportent également une partie terrestre (îlot ou littoral) qu’il est crucial de préserver et gérer, notamment pour la reproduction d’espèces emblématiques comme les oiseaux ou les tortues, qui dépendent de ces milieux pour se reproduire. Nous veillons ainsi à leur quiétude pendant ces périodes particulièrement sensibles. À noter que la réglementation sur les espèces protégées s’applique aussi en dehors des aires protégées, mais le cumul des règles dans les AMP permet une meilleure protection. Les AMP permettent ainsi de garantir le maintien de nombreux « services écosystémiques » dont dépendent directement les activités humaines et la qualité de vie des Calédoniens : ressources alimentaires issues de la pêche, protection des côtes par les récifs, maintien de la biodiversité, mais aussi des valeurs culturelles, identitaires et récréatives.

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Au quotidien, en quoi consiste ton rôle, et quels sont les projets ou actions que la province Sud mène actuellement pour protéger ces zones et leurs espèces ?
Le métier de gestionnaire est à la fois complet et diversifié. Il consiste à coordonner la protection, la valorisation et l’utilisation durable d’un espace protégé et des espèces qui y vivent. Il n’existe pas vraiment de “journée type”. Une partie du travail concerne la planification stratégique, avec l’élaboration des plans de gestion, qui définissent les actions nécessaires pour atteindre les objectifs de protection, puis leur mise en œuvre. Concrètement, cela consiste à coordonner et encadrer les suivis scientifiques des milieux et espèces, de réguler les menaces sur la biodiversité, d’encadrer les activités commerciales et les projets, d’aménager les sites et d’en suivre la fréquentation. Nous élaborons et diffusons également des outils de sensibilisation et faisons évoluer la réglementation en continu. Nous instruisons des dérogations au Code de l’Environnement lorsque c’est nécessaire et gérons l’attribution des subventions provinciales pour nos partenaires. Évidemment, nous travaillons en étroite collaboration avec nos collègues gardes-nature, qui assurent le contrôle de la réglementation sur le terrain.

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Parmi toutes les AMPs, y en a-t-il une qui vous tient particulièrement à cœur, et pourquoi ?
C’est très difficile de choisir, chaque site a ses particularités et mérite d’être protégé. Mais surtout, c’est leur action commune qui fait leur efficacité ! Si je devais malgré tout en citer une, je dirais le Parc du Grand Lagon Sud, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce site concentre une biodiversité exceptionnelle, tant pour les ressources halieutiques que pour les espèces emblématiques. Je triche un peu, car le Parc comprend aussi d’autres AMP incroyables, comme la réserve Yves Merlet ou l’îlot Casy. J’ai également un faible pour l’îlot Némou (AGDR de Port Bouquet, à Thio), qui concentre des enjeux uniques dans un décor quasi surnaturel.
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Comment travaillez-vous avec les différents acteurs (associations, pêcheurs, habitants, scientifiques) pour préserver ces espaces ?
C’est une très bonne question, car une AMP n’est pas seulement une zone réglementée, c’est un véritable projet collectif. Selon les statuts et les problématiques de chaque site, nous collaborons avec de nombreux partenaires. Depuis l’élaboration des plans de gestion (qui se fait toujours de manière participative) jusqu’à la mise en œuvre des actions, nous travaillons en synergie avec les acteurs de la conservation : associations, ONG, organismes de recherche pour le suivi des milieux ou des espèces, ou encore opérateurs nautiques pour la sensibilisation des usagers (via le dispositif “Ambassadeurs du lagon”). Des structures comme l’Aquarium des Lagons, l’OFB ou l’ANCB sont également des partenaires clés, tout comme les autres institutions et collectivités avec qui nous partageons parfois des compétences. Ce travail collectif, c’est vraiment ce qui donne du sens à notre action.

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Si tu devais lancer une bouteille à la mer pour que chacun adopte les bons gestes et protège le lagon, lequel serait-ce ?
Les bons gestes deviennent évidents dès lors qu’on change de regard. La mer ne nous appartient pas, c’est un univers autonome qui nous tolère, nous nourrit et souvent nous émerveille. Sachons nous y comporter en invités, en prélevant avec respect, conscience et modération.
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Quels sont les prochains rendez-vous ou projets à venir dont tu aimerais parler ?
La saison estivale arrive à grands pas ! Les oiseaux marins et les tortues vont bientôt revenir sur les îlots, d’ici quelques semaines, pour se reproduire pendant tout l’été. Ces sites vont se transformer en véritables nurseries pour quelques mois. Il faudra donc être particulièrement vigilants et adopter les bons gestes : ne pas emmener son chien sur les îlots, éviter le bruit et le piétinement de la végétation pour ne pas détruire les nids au sol, etc. Depuis quelques années, durant cette période sensible, nous renforçons la protection et la sensibilisation dans les AMP autour de Nouméa, particulièrement fréquentées. Nous animons un réseau interne et avons établi des conventions avec le CIE et l’Aquarium des Lagons pour former et accompagner leurs bénévoles dans des actions de sensibilisation sur les îlots et de collecte de données de fréquentation. D’ailleurs, si certains sont intéressés pour nous aider dans cette mission, n’hésitez pas à vous rapprocher de nos partenaires pour devenir bénévoles !

Mi-novembre, nous accueillerons pendant quinze jours un chercheur du CNRS avec qui nous menons, depuis plus de trois ans, des suivis de tricots rayés sur une série d’îlots en AMP, en collaboration avec l’Aquarium des Lagons et l’UNC. Nous sommes en partenariat avec ce chercheur depuis plus de vingt ans. Il dispose de la plus grosse base de données du territoire sur une espèce, ce qui nous permettra d’obtenir des résultats solides pour analyser la situation actuelle des tricots rayés. C’est une espèce dont la situation est préoccupante, et qui constitue des indicateurs de santé du milieu marin.
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Pour finir sur une touche plus légère, quels seraient les trois mots que tu choisirais pour décrire le lagon calédonien ?
Précieux, protecteur mais fragile.
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