Dans un monde où la préservation de la biodiversité marine devient chaque jour un enjeu plus pressant, une question se pose : comment protéger ce que nous ne pouvons pas voir ? Et si la réponse pouvait résider dans l’infiniment petit, dans ces fragments d’ADN disséminés dans nos océans et qui racontent l’histoire de la vie sous-marine ? Et si en prélevant une simple goutte d’eau, nous pouvions brosser le portrait d’une biodiversité cachée des profondeurs marines ? Loin d’un scénario de science-fiction, cette réalité scientifique émerge, notamment grâce à l’ADN environnemental (ADNe).

L’ADNe, c’est un peu comme un réseau social pour les espèces marines, où chaque organisme laisse des traces de son ADN comme autant de messages dans une bouteille, révélant leur présence et leurs interactions. Une fenêtre sur les mystères des océans qui permettrait d’envisager des solutions innovantes pour la conservation marine. Quelques spécialistes travaillent sur cette technique, bien plus compliquée que ce qu’il n’y parait… Embarquez dans « Le Bus Magique » pour le monde du microscopique

__ 

L’ADN environnemental ou le code-barres génétique des espèces

Chaque être vivant est composé de cellules : cheveux, cils, peau… Tous les jours, nous « semons » un peu de notre ADN dans les endroits où nous allons. Sous la surface de l’eau, cela fonctionne de la même manière. Les organismes laissent des traces d’eux-mêmes dans leur environnement : mucus, écailles, déjections… De l’empreinte génétique quasi invisible et surtout très mouvant. 

Autant chercher une aiguille dans une forêt de kelp ! Alors, comment accéder à ce concentré d’informations quand il est dilué aux quatre coins des océans ? La collecte de l’ADNe implique la filtration de l’eau de mer pour en extraire ce graal génétique, suivi d’un processus de séquençage. Grâce à la technologie, ce processus se fait de plus en plus aisément, offrant ainsi un aperçu sur les espèces présentes sur le site étudié

De plus, comparé aux méthodes traditionnelles de surveillance des espèces marines, l’ADNe est moins intrusif, plus rapide et souvent plus économique. Il permet une surveillance en temps réel de la biodiversité et peut identifier des espèces rares ou en voie d’extinction qui pourraient autrement passer inaperçues.

« L’ADN environnemental nous permet en revanche d’accéder à l’ensemble des espèces, y compris celles qui sont rares, cryptiques – celles invisibles cachée dans les coraux – ou envahissantes. De plus, cette technologie nous permet de mesurer un grand nombre de facteurs et d’espèces : planctons, poissons, algues, coraux, bactéries etc… Le non-spécialiste en génétique que je suis suppute que d’ici 10 à 20 ans, on pourra identifier toutes les espèces dont l’ADN est présent dans un échantillon d’eau filtrée. »

Laurent Vigliola, écologie de renom à l’IRD
Pompe péristatique ADN environemental © IRD / Laurent Vigliola

__

Surveillance et conservation

Vous l’aurez compris, l’ADNe permet de garder un oeil sur la biodiversité marine. En effet, elle permet de témoigner à un moment « T » de l’état de santé d’un site en vue de le comparer à un moment « T+1 ». Cela permet, concrètement et rapidement, de détecter les changements dans des écosystèmes marins et d’essayer d’en trouver les causes. En Nouvelle-Calédoniedes études utilisent l’ADNe pour surveiller la santé des récifs coralliens, en identifiant les espèces qui y prospèrent ou celles qui sont menacées.

Mais ces échantillonnages génétiques sont également utilisés dans la gestion durable des pêcheries, qu’elles soient côtières ou au large. Si les missions scientifiques se multiplient, c’est notamment pour réaliser ces prélèvements et comprendre comment les écosystèmes se régulent face aux menacent qui pèse sur eux. Et mieux comprendre, c’est aussi mieux agir pour les gestionnaires. Avoir accès à ces bases de données permettra de prendre des décisions éclairées de conservation

À quand la prochaine conférence sur le sujet ?? © CRESICA

__

Des difficultés qui persistent…

ADN environnemental

Néanmoins, bien que des protocoles standardisés et reproductibles soient en place pour utiliser cette technologie, de nombreuses limites et difficultés s’imposent. Un des principaux défis est la standardisation des méthodes de collecte, de traitement et d’analyse de l’ADN environnemental. Différentes approches peuvent mener à des résultats variés, ce qui rend difficile la comparaison des études. 

Un autre défi concerne le type de données étudié : l’ADN ne différencie pas les stades de vie, les individus vivants ou morts, ni les hybrides. Sans compter sur le fait que la détection d’ADN à un moment et lieu donnés ne garantit pas la présence actuelle de l’individu, surtout en milieu marin où l’ADN peut être transporté par les courants… 

__

Un océan de technologies

De ce fait, les bases de références sont aussi un vrai défi pour utiliser davantage l’ADN environnemental. Ainsi, un grand travail de collecte de données est mené afin de créer des répertoires génétiques de références. Aujourd’hui, les scientifiques tentent donc de créer des « banque d’ADN » tout en y mêlant des technologies venues du big data ou encore de l’IA. De quoi continuer à penser que les nouvelles technologies sont un allié de taille pour la protection de nos océans. 

Ainsi, l’ADN environnemental, loin d’être une simple curiosité scientifique, s’affirme comme un pilier de la conservation marine. En dévoilant les secrets des profondeurs marines, il nous invite à une meilleure compréhension et, surtout, à une plus grande responsabilité envers ce monde caché mais essentiel à notre propre survie. Dans chaque goutte d’eau, se trouve une histoire, un indice, une clé pour préserver notre planète bleue.

ADN environnemental
Le Monde de Nemo est toujours aussi beau…

__