Cher journal, 

Je m’appelle Crevette bleue (Litopenaeus stylirostris pour les intimes) et je suis née en Nouvelle-Calédonie. Ça ne se voit peut-être pas tout de suite, mais sous ma carapace délicatement bleutée se cache une vraie histoire. On pourrait croire que ma vie se résume à barboter en bassin avant de finir en curry coco, flambée ou en sushi, mais non. Mon quotidien, c’est aussi une histoire d’élevage, de provendiers, de scientifiques et de producteurs qui se battent pour que nous, les crevettes, soyons plus qu’un produit, mais aussi une signature calédonienne.

__

De l’œuf au bassin 

Tout commence en écloserie. Imagine, des milliers de minuscules larves, collées-serrées comme les sardines de Patrick Sébastien. Là, on ne fait pas les malignes, on dépend entièrement des humains, qui surveillent la température de l’eau, nos repas et même nos gènes (merci l’Ifremer et l’IRD). Sans eux, pas de survie. Nos premiers jours sont critiques, les maladies rôdent et il suffit d’un rien pour que tout s’arrête. Alors, les écloseries mettent en place un vrai protocole : sélection des géniteurs, contrôles sanitaires, suivi des cycles, etc. Bref, on est des bébés crevettes sous haute surveillance. C’est un vrai travail de l’ombre qui garantit la qualité des juvéniles envoyés en ferme, et qui s’inscrit dans une logique de traçabilité aujourd’hui reconnue par des certifications comme l’ASC. Et puis, le grand moment arrive, direction les bassins d’élevage.

crevette
Là où tout commence © SOPAC NC

__

Le grand bain 

J’ai débarqué chez le producteur, dans un bassin immense, un vrai terrain de jeu salé. Et je ne suis pas seule. C’est plutôt une colocation géante, avec des millions de cousins et cousines qui se disputent la place et la farine qu’on nous donne. Ici, la vie est rythmée par les pompes à oxygène, les moments de repas protéinés et les humeurs du climat. Parce qu’en Calédonie, il y a une règle d’or : la saison sèche est notre alliée, la saison chaude un vrai piège à maladies. Pas d’antibiotiques pour nous, mais des probiotiques, des contrôles du phytoplancton, et beaucoup de surveillance pour garder nos carapaces belles et en bonne santé. Parfois, on grandit vite, parfois moins. Les éleveurs disent que c’est « la loi de l’écosystème bassin », on ne peut pas tout maîtriser. Mais une chose est sûre, c’est ici que je deviens vraiment bleue.

crevette
La colocation géante © SOPAC NC

__

Destination les assiettes

Un beau jour, c’est le grand voyage. Direction la SOPAC, cheffe d’orchestre de la filière. Là, on nous trie au physique, nous conditionne, et hop, destination Tokyo, Singapour, Paris ou Sydney. 80% d’entre nous partent à l’export, souvent pour finir en sushi haut de gamme. Mais certaines restent ici, à régaler les tables calédoniennes. Un curry coco, un tartare dans un restaurant branché de Nouméa, ou pour un simple barbecue du dimanche. On ne va pas se mentir, ce n’est pas la fin la plus glamour, mais c’est notre destin. Et, au fond, on est fières, chaque assiette raconte un morceau de Nouvelle-Calédonie.

__

Petite crevette deviendra grande ambassadrice 

Voilà, cher journal. Je ne suis peut-être qu’une crevette bleue parmi des tonnes d’autres, mais derrière moi il y a une filière entière. Des écloseries aux fermes, des provendiers aux restaurateurs, des exportateurs aux consommateurs.

J’aime penser que nous sommes de vraies ambassadrices du caillou. Parce qu’à travers nos carapaces bleutées et nos saveurs sucrées, c’est un bout de Calédonie qui voyage.
Bon, je te laisse, cher journal. La pompe à oxygène ronronne déjà, et demain, qui sait, je prendrai peut-être l’avion pour Tokyo !

__