Il était une fois, les vagues scélérates… Une muraille d’eau surgissant au milieu de l’océan, deux fois plus haute que toutes celles qui l’entourent, puis qui disparaît aussitôt. Pas de tempête, ni de tsunami ; juste un monstre marin sorti de nulle part. Longtemps reléguées au rang de légende de marins en mal d’histoires à raconter, ces vagues ont aujourd’hui leur certificat de naissance scientifique. Elles sont rares, mais bien réelles. Et surtout, elles sont brutales et imprévisibles. Bienvenue dans le monde fascinant (et un peu effrayant) de la vague scélérate, on vous déroule son histoire.
__
Un monstre sorti de nulle part
Une vague scélérate, ce n’est pas juste une grosse ondulation, elle dépasse le cadre « normal » de la mer. Les scientifiques la définissent généralement comme une vague dont la hauteur dépasse deux fois sa hauteur significative. En clair, si la houle avoisine déjà six mètres, il peut soudain se dresser un mur de douze mètres qui s’abat brutalement.
La première preuve incontestable est arrivée le 1er janvier 1995, sur la plateforme pétrolière norvégienne Draupner, en mer du Nord. Les capteurs ont enregistré ce jour-là une vague de 25,6 mètres, alors que la houle environnante plafonnait à douze mètres. Avant ça, on avait déjà des témoignages et quelques mesures (comme la vague du Gorm Field en 1984), mais Draupner est devenu un réel cas d’école, celui qu’on cite dans tous les manuels. Depuis, d’autres vagues scélérates ont été captées, dont la vague Andrea en 2007 au large de la Norvège, ou encore un mur d’eau de 21 mètres mesuré par une bouée en 2020 au large de Vancouver Island, au Canada. Les monstres n’existeraient-ils donc pas bel et bien, cachés dans la foule de la houle ?


__
L’atelier des monstres
Mais alors, d’où sort ce mur d’eau ? En fait, il n’y a pas une recette de vague scélérate, plusieurs mécanismes sont capables d’en produire. Tout d’abord « l’interférence constructive » : des trains d’ondes se croisent et, par hasard, s’additionnent pile au même endroit pour créer un sommet anormalement haut. Ensuite, « l’instabilité non linéaire » : dans certaines conditions, l’énergie d’un groupe d’ondes peut se concentrer dans une seule, qui devient alors énorme par rapport aux autres. Les physiciens parlent de « solutions de type breather », des vagues qui semblent respirer et gonfler avant d’exploser.


Enfin, « l’interaction avec les courants » : quand une houle rencontre un courant puissant et contraire, les vagues se tassent et se redressent, jusqu’à former notre fameuse muraille. C’est ce qui arrive dans des zones célèbres comme le courant des Aiguilles au large de l’Afrique du Sud, ou le Gulf Stream dans l’Atlantique nord. Une vague scélérate peut résulter de la combinaison de ces trois phénomènes. Une houle croisée, un courant fort et une instabilité locale suffisent à transformer la mer en véritable atelier à monstres.
__
Où et quand ?
En théorie, une vague scélérate peut surgir partout. Mais en pratique, certaines zones sont de véritables terrains de jeu pour ces phénomènes. Les mers étroites et fréquentées, comme la mer du Nord, où de nombreuses plateformes pétrolières ont rapporté des cas ; les grands courants océaniques, qui compriment les houles ; ou encore, les régions où plusieurs houles se croisent, créant des interférences. Bonne nouvelle du jour, si vous naviguez dans le lagon ou en Méditerranée par mer calme, vous n’avez quasiment rien à craindre. Mais pour les cargos, pétroliers ou plateformes en haute mer, le risque est assez sérieux pour être pris en compte dans la conception des structures.

La vraie question, c’est, peut-on anticiper ces monstres marins ? La réponse : pas vraiment. Les satellites et les bouées océaniques permettent « seulement » de repérer des vagues scélérates après coup, ou de détecter des conditions favorables à leur formation. Les modèles mathématiques quant à eux, progressent, et certains arrivent à recréer des événements comme Draupner. Mais la prévision reste quasi impossible. Bref, on sait dire « aujourd’hui les conditions sont propices », mais pas « à 15h27, vague scélérate en approche à 5 km ». Pour les marins, le mot d’ordre est donc la vigilance. Les constructeurs de navires et plateformes, eux, ont intégré ce risque dans les normes de sécurité. Parce qu’il ne faut jamais oublier que la mer garde toujours une (grosse) part de mystère.
__
L’histoire d’un monstre discret
Alors, faut-il craindre les vagues scélérates ? Oui et non. Oui, parce qu’elles sont réelles et peuvent causer des dégâts considérables. Non, parce qu’elles restent rares et que la science progresse pour mieux comprendre leurs caprices. Au fond, les vagues scélérates, ce sont un peu les « jump scares » de l’océan : imprévisibles, spectaculaires, mais pas omniprésentes. C’était l’histoire des vagues scélérates…
__