Discuter avec Aïlé Tikouré, c’est un peu comme discuter avec un philosophe. Le jeune homme a grandi entre Ponérihouen et l’Île des Pins. Il a été bercé par la coutume et les histoires de ses papas à la tribu, des histoires « qui l’on fait voyager.« 

Cet ancien étudiant en tourisme, aujourd’hui directeur de l’association « Kenu Waan Project« , a toujours eu un lien inconditionnel avec l’océan, immensité hautement symbolique pour les Kanak. Sa rencontre avec des piroguiers à Guam en 2016 lui donne la conviction de mener un travail sur les embarcations phares des navigateurs d’autrefois.

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Aïlé et son voyage en pays Kanak

« Quand on est adultes, on retourne sur la Terre dont on porte le nom. » Aïlé a grandi à Ponérihouen, dans la famille de sa mère. Pendant les vacances scolaires, c’est à Kunié, à la tribu de Vao, chez son père, qu’il passe la plupart de son enfance. A l’aube de ses 18 ans, il se coupe du milieu scolaire et passe une année à la tribu, où on l’assigne à des tâches coutumières. Cette année charnière, Aïlé l’a vécu comme un retour aux sources, un « voyage pour prendre du recul sur ma vie, sans partir de chez moi » explique-t-il. C’est là qu’il découvre les histoires et les légendes de ses pairs, en lien avec l’océan.

Aïlé
© Aïlé T.

L’océan joue un rôle primordial, c’est aussi une nourriture spirituelle, car c’est par là que l’on peut transporter l’information. Dans beaucoup de légendes Kanak, la vie s’est faite par la mer.

Aïlé, navigateur

Aïlé reprend ensuite le chemin de l’école, pour un BAC Pro dans le tourisme à Bourail, suivi d’une année en Nouvelle-Zélande pour apprendre l’anglais. A cette époque, il fait partie de la troupe de danse « Résurrection« , qui l’emmène jusqu’à Guam, en Micronésie, pour l’ouverture du Festival des Arts du Pacifique. « C’est là que j’ai vu l’arrivée de pirogues. Elles revenaient de trois jours de navigation en haute mer. Je me suis beaucoup interrogé sur l’aspect hauturier«  raconte-t-il. Très vite, il se met en quête du savoir-faire technique et scientifique, de la navigation des pirogues. « Cette masse de connaissance est transportée dans notre ADN ; il y a une mémoire qui se balade et qu’on va aller interroger tout au long de notre vie. »

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Du vent dans les voiles en suivant les étoiles 

De retour sur le Caillou, Aïlé est guide touristique en mer à l’Île des Pins. Avec des amis, il monte un collectif en 2017 baptisé « Kenu Waan Project«  avec Jean-Emmanuel Frantz, et Jean-Krist Ukeïwe. Premier travail : faire un état des lieux de la possibilité de réintroduire les savoir-faire ancestraux, à Ouvéa. Les habitants d’Iaaï étaient en effet dans la même démarche. Le collectif crée donc une association qui se charge de promouvoir la navigation et la construction des pirogues, au niveau pays. 


C’est alors que le destin met une pirogue sur le chemin d’Aïlé. Il aide une embarcation qui a subi une avarie au large de l’Île des Pins. Le capitaine est aussi le directeur de « Okeanos- Fondation of the Sea« , en Nouvelle-Zélande. Il forme les personnes originaires du Pacifique, à la construction et à la navigation des pirogues. « Si tu as une place pour moi, je viens » dit-il au capitaine. Un an plus tard, le vœu d’Aïlé est exaucé. 

Le directeur l’appelle et lui dit que s’il arrive dans trois jours, il peut intégrer l’école. Sans réfléchir, il plie bagage et décolle pour Aotearoa pour quelques mois de formation. Aïlé apprend auprès d’un vieux des Îles Cook qui répond au nom de Peia Pataï. Il est ce qu’on appelle un « Pow », un maître aux étoiles. « Il fait partie des douze personnes dans le Pacifique capables de naviguer sans instrument de mesures » raconte Aïlé.

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Navigation ancestrale dans le Pacifique 

En 2019, Aïlé souhaite inscrire dans l’esprit des Calédoniens, l’importance des anciennes routes. « Je voulais qu’ils voient arriver une pirogue pour leur montrer que c’est par là que l’on est supposé arriver » rigole-t-il. Le jeune homme tient aussi à prouver qu’il n’y a pas que les Polynésiens qui savent naviguer. 

On veut installer le rêve ; c’est le rêve qui va faire que les gens vont se mettre à bouger. 

Aïlé, rêveur professionnel

Alors pendant deux à trois mois, à Auckland, il construit une pirogue entourée de jeunes originaires des ’îles du Pacifique. Ils viennent d’Hawaï, de Micronésie mais aussi du Vanuatu et de Fidji. En unissant leurs forces et leur passion, ils créent une pirogue de quatorze mètres de long et huit mètres de large, en fibre et en bois de Kohu, avec des panneaux solaires. Après quoi, ils prennent le large pour le « Melanesian Vanua Tour. » Cap sur Port-Vila en neuf jours, puis Ouvéal’Île des PinsNouméaLifou et enfin, retour au Vanuatu. « J’étais content de partager ça avec les habitants de l’Île des Pins. C’est le chemin sur lequel j’ai décidé de m’engager. »

Ces dernières années, Aïlé s’est principalement lancé dans des actions de terrain, des chantiers de construction de pirogues mais aussi des actions de sensibilisation dans les écoles, pour rappeler « que nous étions des navigateurs. » La tribu de Vao est la dernière tribu où vivent des constructeurs de pirogues traditionnelles. Alors pour être sûr d’enseigner aux plus jeunes l’importance de cette navigation ancestrale, l’association « Kenu Waan Project » finalise l’élaboration d’un livre pédagogique sur les pirogues. L’ouvrage est destiné aux élèves de CM1 à la 6ème. Une base de travail pour les enseignants et l’assurance que les Calédoniens savent ce que « Bèrèwè » signifie, soit une pirogue à balancier, en nââ kwényï, la langue parlée à l’Île des Pins

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