Est-ce que vous aussi vous êtes les yeux rivés sur votre GPS quand vous piloter votre bateau afin d’éviter les patates de corails ? Imaginez-vous être le capitaine d’un paquebot de plus de deux cents mètres de long, qui plus est, qui ne connait pas le lagon ! Pas de panique, le pilote maritime est là pour vous aider. Obligatoires dans tous les ports du monde, nous sommes partis à la rencontre de l’un de ceux qui officie en Nouvelle-Calédonie : Charlie Sarafian.
Charlie est avant tout un passionné de pilotage. Du Betico à son métier de pilote maritime, il connait le lagon comme sa poche. Lors de notre rencontre, il nous a raconté avec enthousiasme son parcours et nous a tout expliqué de ce métier assez peu connu et pourtant, ô combien essentiel. Si vous avez un peu de mal à faire votre manœuvre de bateau, voici une petite leçon de conduite avec Charlie, un des as de la barre !
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Bonjour Charlie, bienvenue sur NeOcean, alors c’est toi l’as du volant du lagon ?
Bonjour NeOcean ! Merci pour le compliment mais je serai plutôt d’avis de rester humble ! D’autant que je viens tout juste de prendre mes fonctions… Nous pilotons de gros navires de 250 mètres, voire plus ! Et le tout, sans frein. Nous devons rester prudents lors des manœuvres, il y a tant d’éléments à prendre en compte : les caractéristiques du bateau, la météo, la profondeur d’eau, les courants, la visibilité, la configuration des quais et l’équipage.
Le côté humain est aussi central pour une manœuvre réussie. De nombreux acteurs rentrent en jeu : le pilote et le capitaine en passerelle, le barreur, l’équipage sur les plages de manœuvre, mais aussi les patrons de remorqueurs, les lamaneurs, les officiers de port… Toute une équipe se met en œuvre au moment de l’accostage ou de l’appareillage. Je suis plutôt un chef d’orchestre qu’un as du volant.
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Tu as travaillé 8 ans sur le Betico. Quels ont été tes différents rôles au sein de la structure ?
Après avoir navigué en métropole et en Nouvelle-Calédonie pour différentes compagnies, j’ai été embauché au Betico comme capitaine d’armement et personne désignée ISM. Cela consiste à « armer » le navire. Il s’agit d’embaucher l’équipage, de maintenir les qualifications des marins, les formations, maintenir le navire en état de navigabilité, obtenir les différents certificats auprès du Pavillon français et du Bureau Veritas…
Puis l’entreprise Sudiles m’a donné l’opportunité de passer directeur des services supports. Je suis devenu responsable des services comptabilité, fret, commercial et marketing. J’ai eu la chance d’avoir un directeur à l’écoute, d’être entouré d’équipes compétentes et très motivées ce qui nous a permis de rajeunir l’image du Betico et de faire avancer les projets. J’ai travaillé sur la réorganisation des services, le changement de logiciel commercial, la stratégie commerciale et tarifaire… Bien loin d’un métier de pilote maritime !
Pourtant, disposant de mes brevets, j’ai tout de même effectué très régulièrement des remplacements de capitaine à bord. À chaque fois, j’avais le même enthousiasme. Il était important pour moi de maintenir mes compétences maritimes car je n’ai jamais perdu de vu mon objectif de devenir pilote en Nouvelle-Calédonie. Le Covid et la baisse de trafic importante qu’il a causée a juste retardé la date du concours. Le dernier remontait à 2016 ! J’ai obtenu des aménagements pour pouvoir le passer et j’ai été lauréat l’année dernière !
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Tu avais donc déjà des compétences maritimes alors en quoi consiste le métier de pilote maritime ? Comment se forme-t-on ?
Le métier de pilote consiste en une assistance donnée au capitaine pour la conduite de son navire ainsi que pour les manœuvres dans la zone de pilotage. En Nouvelle-Calédonie, cette zone est très grande puisqu’elle couvre tout le lagon, les îles et récifs isolés. Comme nous sommes assermentés par le Gouvernement, nous avons aussi pour mission de sauvegarder la vie humaine en mer, la sécurité de la navigation, la protection de l’environnement qui pourrait être menacé par les navires, que ce soit à cause de leur mauvais état ou de leurs marchandises ou d’une négligence de l’équipage…
La formation pour devenir pilote maritime est très longue ! Dans un premier temps, il faut disposer d’un brevet de capitaine, à savoir, officier de marine marchande. Pendant cinq ans, nous devons nous former puis effectuer des temps de navigation : d’élève officier à lieutenant, puis second capitaine et enfin capitaine.
Si vous vous découvrez une appétence pour les manœuvres, il y a un concours spécifique à passer : celui de pilote maritime. Il faut attendre qu’il y en ait un qui s’organise dans la station souhaitée. Car être pilote maritime à Marseille, ce n’est pas pareil qu’être pilote maritime en Nouvelle-Calédonie ! Pour des raisons évidentes d’environnement, chaque station de pilotage à des normes différentes : les espaces maritimes ne sont pas les mêmes, les chenaux, les courants, etc. Quand on est pilote maritime en Calédonie, on ne l’est pas à Dunkerque. J’ai patiemment attendu qu’un concours s’ouvre ici et quand ça a été le cas, j’ai remis le nez dans les cahiers ! Franchement, c’est long et éprouvant après quinze ans sans toucher de livres de révisions…
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Une fois que le brevet est obtenu, que se passe-t-il ? Quelles sont tes perspectives professionnelles ?
Pour ma part, j’ai eu de la chance car nous n’étions que deux candidats pour le concours. J’ai travaillé d’arrache-pied durant six mois y compris le soir et les le week-end pour l’avoir ! Une fois ledit brevet en poche, s’ouvre une période de formation qui dure de trois à six mois. Dès le lendemain, j’ai embarqué avec des pilotes « seniors », que j’ai suivi de près pour continuer à apprendre. J’avais des routes et des ports à « pratiquer » un certain nombre de fois.
Depuis le 27 février, très exactement, je pilote seul ! Pour certains types de bateaux, je vais devoir attendre d’avoir un peu plus d’expérience, notamment pour les pétroliers de 250 mètres. Je vais donc passer un test dans un simulateur au courant de cette année.
Ce brevet est déjà un Graal pour moi, dans ce domaine il n’y a pas vraiment mieux… Une longue carrière s’ouvre devant moi et je vais pouvoir continuer à piloter tout en me consacrant à ma famille. Le rêve !
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Ne ferais-tu pas de l’ombre au capitaine ? Qu’est-ce qui te différencie de lui ?
Pas du tout ! Le capitaine a une très bonne connaissance de son navire et de son équipage. En revanche, il ne peut pas connaître toutes les spécificités des zones maritimes des ports dans lesquels il se rend… Le pilote est là pour apporter l’expertise de la zone au capitaine, que ce soit au niveau des courants, des passes, des dangers qu’au niveau de l’accostage, la réglementation locale, etc. De son côté, il nous communique des informations sur son bateau dont nous avons besoin telles que la propulsion, la longueur et l’état de navigabilité…
Dès notre arrivée à bord nous prenons la conduite du navire jusqu’à l’accostage ou à la sortie des passes, mais le capitaine reste maître à son bord, il peut reprendre le contrôle à tout moment. C’est pour ça qu’il faut rapidement établir un lien de confiance, pour qu’il nous donne la conduite de son navire.
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Cela doit être stressant de manœuvrer des bateaux aussi gros. As-tu une anecdote à nous raconter ?
C’est du bon stress, celui qui maintient tous les sens en éveille ! Nous connaissons exactement les procédures à exécuter et le lagon comme notre poche. Nous sommes habitués aux gros navires et nous essayons toujours de nous en « imprégner ». Un ancien – il se reconnaitra – m’a dit un jour qu’il faisait « un » avec le navire ! D’autant qu’avant de piloter, nous avons déjà une solide expérience de navigation derrière nous en tant qu’élève, lieutenant, second et capitaine.
Étant encore un « jeune », je n’ai pas d’anecdote à raconter. Mais il est évident que je serai un jour confronté à une avarie moteur, une perte ou un blocage du gouvernail, dans un moment critique… Il faut s’y préparer et anticiper les incidents éventuels.
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Est-ce que tu navigues à titre personnel sur des bateaux à moteur ou à voile ? Quel est ton rapport à la navigation ?
J’ai un rapport très fort avec le monde maritime. Mon moment préféré est le lever du soleil, sur le lagon, lorsque l’activité commence à peine. Nous avons la chance d’avoir un grand lagon et de nombreux sites sur la côte est, sud et ouest. Je suis très heureux d’avoir quitté les bureaux pour retourner à la mer finalement !
À titre personnel, je possède un petit bateau à moteur. J’adore passer du temps sur le lagon et les îlots pour faire des coups de pêche. Mon beau-frère est lui-aussi pilote, à Sète : c’est une histoire familiale. Je ne pourrai pas me passer du contact avec la mer.
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Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Pas spécialement mais j’aimerais rappeler que 80% du commerce mondial passe par les mers. Il existe de nombreuses carrières possibles dans le monde du maritime. J’encourage tous les jeunes à s’intéresser aux métiers de la mer, à se renseigner auprès des compagnies maritimes. En Nouvelle-Calédonie il y a du travail dans ce secteur.
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