100 tonnes de déchets par an… c’est ce que les membres et les bénévoles de l’association Caledoclean ramassent chaque année sur notre Caillou. A la tête de ces actions de nettoyage d’envergure, il y a Thibaut Bizien. Co-fondateur, président puis chargé de mission, le Calédonien milite pour une Nouvelle-Calédonie plus propre bien sûr mais surtout pour une population plus engagée. 

Mangroves, plages, quartiers… Caledoclean sillonne les endroits tristement pollués par la main de l’homme. Son combat depuis plus de dix ans ne cesse jamais. Thibaut est un éternel optimiste, plein d’ambitions et de valeurs positives. Nous avons rencontré Thibaut dans son écrin de verdure et on a discuté d’écologie et d’engagement, sérieusement et parfois, avec son humour décalé.
 

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Salut Thibaut ! Alors nettoyage à sec ou plutôt à froid pour Caledoclean ? 

On va faire les deux ! On fait des nettoyages pendant l’hiver et pendant la saison sèche ; entre temps, on plante. Caledoclean, on ne s’arrête jamais, c’est constamment. 

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Beaucoup te connaissent déjà, mais pour ceux qui ne savent pas qui tu es, peux-tu te présenter à nos lecteurs ? Quel est ton parcours avant d’en arriver à fonder Caledoclean ?

J’ai 34 ans, je suis roux, je suis chauve, je suis gaucher et je suis éboueur… du coup sur Tinder, ça ne marche pas beaucoup ! Plus sérieusement, j’ai un baccalauréat scientifique. Je voulais faire médecine mais à la suite d’un évènement familial, je suis resté ici, j’ai travaillé dans le commerce et j’ai passé une VAE pour faire un BTS en management des unités commerciales. J’ai aussi travaillé en tant que formateur relations clients. Depuis 2012, grâce à l’association Caledoclean, je développe des compétences et des projets associatifs. 

Je pense que c’est ma grand-mère qui m’a sensibilisé à l’environnement. Je me rappelle à Ouémo, un jour, j’ai éteint en feu qui commençait à se propager en arrière-mangrove. Ça m’est aussi arrivé de ramasser des déchets. Quand je travaillais dans le commerce à l’époque, en ville, je faisais le tour de la place des Cocotiers, qui était très salle, et chaque jour, je ramassais une petite poche de bouchons. A ce moment-là, il y avait l’opération “Les bouchons d’amour” où on récupérait des bouchons pour pouvoir financer des projets sur le handicap.  A l’époque, c’était l’association “Sauvegarde de la nature” qui s’occupait de ça et aujourd’hui c’est Caledoclean qui gère cette opération.  

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Caledoclean a été fondée en 2012. Qu’est-ce qui t’a motivé à créer cette association écocitoyenne et comment cela s’est-il passé ? 

Caledoclean
Apéro polluant © CaledoClean

C’est au moment où je passais ma VAE. A ce moment-là, avec des amis proches – qui ont été co-fondateurs de l’association- on faisait un repas et on discutait de beaucoup de choses et on s’est demandé ce que l’on pouvait faire en tant que jeunes pour participer à la construction de l’avenir calédonien, à notre modeste place. On voulait monter des projets dans lesquels on pourrait s’inscrire de manière bénévole et on s’est dit, un truc que tout le monde peut faire, c’est ramasser les déchets. Ce n’était pas innovant, car il y avait déjà d’autres actions qui étaient menées par d’autres associations mais on voulait déjà avec notre petit groupe mener les choses.

On s’est rendu compte que tous les endroits dans lesquels on allait quand on était gamins, ils étaient de plus en plus souillés, que ce soient les plages ou les mangroves où on allait pêcher et se balader. Il y avait aussi les quartiers de manière générale qui étaient de plus en plus sales.

Petit à petit, on est allés taper à la porte des autres acteurs, d’autres associations environnementales qui existent toujours à ce jour et qui sont très actives. On s’est présenté à elles en tant que jeunes motivés et volontaires pour participer à leurs actions. Ça nous permettait de nous mobiliser et de mieux comprendre l’environnement calédonien, les menaces et ce qu’on peut faire pour aider.

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On connait l’asso’ pour ses grandes actions de nettoyage sur terre comme en mer : peux-tu nous en dire plus sur ces dernières ? Comment s’organisent-elles ? 

La première chose, c’est le repérage. On va repérer des sites dans l’espace naturel ou urbain – ça peut être des plages, des mangroves, des îlots, des squats, des quartiers ou des tribus – des espaces qui peuvent être insalubres ou avec des dépôts sauvages. Il peut y avoir des déchets historiques, des déchets plus récents… Les gens peuvent aussi nous soumettre des idées d’endroits. 

Après on va se mettre en lien avec des partenaires qui nous permettent d’avoir des bennes, comme la CSP. On travaille aussi avec Trecodec, la société Locabennes qui nous donne des gants…etc. L’idée c’est d’avoir un ensemble de partenaire qui rende ça possible. Au début, on était cinq personnes à aller ramasser avec trois-quatre poches, on avait 200 kg de déchets grand maximum alors que maintenant on fait des opérations où on a cinq-six tonnes voire plus. 

Il faut aussi étudier la quantité et la nature des déchets ; il peut y avoir des pneus, des huiles, de la ferraille, des canettes, des bouteilles en verre ou en plastique…. On va donc mettre en place la logistique nécessaire car on trie les déchets quand on les ramasse. On a une benne à ferraille, on a des bacs pour le verre et on va tout peser de manière différenciée. 

On va aussi chercher des bénévoles, avec un appel au public sur nos réseaux sociaux. On a aussi des actions qui sont privées, où on va juste travailler entre nous avec notre équipe. Il y a une action tous les week-ends depuis au moins six ans. On a aussi des actions avec des scolaires ou des entreprises. 

Caledoclean
Au bord de l’eau… on garde quand même le sourire ! © Caledoclean

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Vous avez retiré des tonnes de déchets : y a-t-il un suivi exact de ces actions ? 

Depuis qu’on fait ces opérations, on a tous les tickets de pesée de chaque type de matière depuis 2012. Ça nous permet d’avoir des données statistiques et d’intervenir auprès des collectivités, si on veut mettre en place des projets. Par exemple, aujourd’hui, on sait qu’il y a des déchets qui appartiennent à des filières réglementées qui se retrouvent encore beaucoup dans la nature, comme ce geste mécanique et quotidien où on voit quelqu’un jeter un mégot, une cannette ou un emballage, directement de la nature.

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Quel est ton constat pour les actions qui restent à mener ? As-tu vu une amélioration de la protection de l’environnement ? Les Calédoniens sont-ils plus impliqués ?

En 11 ans, on a ramassé 900 tonnes de déchets – dont environ 700 qui ont été envoyés au recyclage. Le premier constat c’est donc qu’on pollue avec non pas des déchets, mais des matières premières, des ressources

La deuxième c’est que malheureusement, au niveau des déchetteries, même si on a de plus en plus de personnes qui participent, à côté de ça, ce qu’on remarque, c’est qu’il y a toujours autant de déchets dans l’environnement. Ça veut dire qu’il y a une partie des Calédoniens et des Calédoniennes qui va s’impliquer sur une meilleure gestion des déchets mais on a toujours une partie de la population qui s’en fiche royalement et qui continue de nuire à l’ensemble de la communauté à travers le jet d’ordures dans la nature. Il y a des gisements qui sont toujours aussi importants sur des sites auprès desquels on intervient régulièrement. 

Il y a encore beaucoup d’incivilités. Le gros de notre combat c’est de dire qu’aujourd’hui au centre-ville on ne va pas mettre notre parc mètre, on va avoir 100% de chance d’avoir une amende cependant si on met nos déchets en plein milieu de la place des cocotiers, on a maximum une amende de 3000 francs. C’est problématique car il y a beaucoup de dépôts sauvages et de jets d’ordures dans la nature.

Il y a quand même beaucoup de choses qui se sont améliorées, notamment sur la gestion des déchets qui a beaucoup progressé mais sur la question de la pollution dans la nature, là, on a toujours un gros problème. On ne nie pas tout ce qui a été fait sur la problématique environnementale ces dix dernières années en Calédonie, mais on dit juste que sur les déchets dans la nature, il y a encore beaucoup de choses à mettre en œuvre. 

Il faudrait déployer des agents provinciaux, la police municipale et nationale qui peuvent verbaliser les dépôts dans la nature… et aussi remettre en place un système de consigne sur certains produits afin de pouvoir motiver les gens. 

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L’autre grande mission de l’association, c’est le reboisement. Depuis 2018, Calédoclean a planté environ 130 000 arbres. Peux-tu nous en parler un peu ? 

Pendant très longtemps, l’association a été bénévole. En 2017, on l’a professionnalisé pour pouvoir la mettre à temps plein et assumer différentes missions. C’est là qu’on a décidé de pouvoir diversifier notre activité et agir sur un domaine qui est tout aussi important que la dépollution, c’est la restauration des espaces naturels dégradés pour pouvoir rétablir les écosystèmes. C’est une suite logique au nettoyage. Autre chose c’est que mobiliser les gens pendant douze mois avec une action par semaine, juste sur du nettoyage, c’est très difficile.

Nos bénévoles éprouvent donc du plaisir à faire à s’impliquer dans une autre dynamique. Ça nous permet aussi de toucher plus de monde et de se dire que l’arbre planté, on peut le voir pousser alors que le site nettoyé on va le revoir possiblement souiller à nouveau donc il y a l’aspect psychologique, une progression plus positive. 

On fait du repérage et on va chercher des financements, car il y a des dépenses conséquentes qu’on ne peut pas assumer par nous-même. Ça va permettre de financer les plants, le terreau, le paillage et ensuite, on va déployer notre équipe de salarié qui va préparer le chantier. On va débroussailler si besoin, préparer les trous à la pioche et à la barre à mine. On sélectionne des espèces auprès des pépinières et on les valide avec des botanistes. La veille, on va venir placer les arbres dans les trous, donc quand le bénévole arrive le jour J, il a le paillage, un hydro rétenteur et des seaux et on fait un briefing. L’idée globale c’est de passer un bon moment au service de l’environnement.

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Tu es très actif sur les réseaux sociaux et les photos des actions de nettoyage ou de plantation sont impressionnantes. Combien de bénévoles avez-vous dans l’asso ? Tout le monde peut-il rejoindre le mouvement ? 

Tout l’intérêt d’une association militante comme la nôtre, c’est d’aller chercher des gens en dehors de notre communauté de base, pour pouvoir les sensibiliser eux aussi. Malgré tout ça, il y a certaines personnes qui sont mécontentes de voir qu’il y a une marge de progression qui est infime parce qu’il y a encore des incivilités. On ne peut pas se décourager car ça voudrait dire : ne rien faire ou arrêter de faire. On est condamnés à l’optimisme car on doit le faire. Il faut garder une position positive et constructive malgré le constat parfois amer. 

Sur l’ensemble des actions, on a environ 3000 personnes bénévoles par an. C’est facile de rejoindre ce mouvement et on invite les gens à le faire. L’engagement associatif est très important ça permet de faire des belles rencontres, de se sentir utile et appartenir à la société. Même si l’écologie c’est un sujet sensible qui peut être anxiogène, on essaye de faire en sorte que notre militantisme s’inscrive dans le bien-être.  

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Ton lien à l’environnement ne se questionne pas et d’ailleurs Caledoclean fait aussi des actions de nettoyage du littoral. Comment décrirais-tu ton lien à la mer, au lagon et plus largement à l’océan ? 

A l’époque, je passais beaucoup de temps en mer avec mon père, on allait souvent pêcher, je faisais beaucoup de PMT. On vit sur une île, et la relation qu’on la veuille ou pas, elle est là. J’ai toujours aimé l’eau. Le travail que l’on fait sur terre aujourd’hui, impacte directement la mer car à travers les plantations, on lutte contre l’érosion, qui est destructrice pour le littoral et les récifs coralliens

Quand j’ai du temps libre, je fais du paddle, c’est ce que je kiffe le plus. Ce que j’aime particulièrement : c’est prendre le paddle, me poser au récif et entendre le bruit des vagues, contempler le récif corallien… c’est le moment où j’ai la tête vide et où je me sens le plus connectée à l’environnement dans des données techniques en tête, sans des idées de projets. Je suis vraiment dans la contemplation car je me rends compte que j’ai un rapport à la nature qui est devenu un rapport de service, je n’en profite pas suffisamment. Je réapprends à en profiter plus simplement. 

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Un dernier message à faire passer à nos lecteurs ? 

Se connecter à des personnes, se sentir utile et appartenir à la société c’est très important. Ce qui a fait qu’on s’est engagés au départ, c’est qu’on voulait être présent dans notre communauté pour construire modestement la Calédonie de demain. Aujourd’hui, il y a des milliers de choses à mettre en œuvre. J’ai le sentiment que l’engagement associatif doit faire partie de l’engagement de chacun dans la mesure du temps disponible car malheureusement on vit dans une société qui ne nous laisse pas assez le temps et il y a des équilibres à trouver. Le temps associatif reste un temps qui peut être primordial pour le développement personnel, pour le développement de la communauté et pour le développement du pays. 

Caledoclean
500 kg de déchets ramassés aux Canons de Ouémo… © Caledoclean

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