À la croisée des sentiers battus et des territoires encore à apprivoiser, l’Agence néo-Calédonienne de la Biodiversité (ANCB) trace sa route avec une boussole bien réglée : protéger, comprendre, agir. Aux manettes, Anne-Sophie Carnuccini, passionnée d’environnement et fine stratège des dynamiques de terrain.
Entre actions de conservation, gestion de projets ambitieux et partenariats engagés, elle pilote l’ANCB avec une conviction aussi solide qu’un tronc de niaouli. C’est en travaillant ensemble qu’on avance, et c’est en comprenant mieux notre environnement qu’on le préserve vraiment. Nous l’avons donc rencontré pour parler projets d’action, prise de conscience et défis environnementaux, mais aussi pour évoquer ce qui, dans ce métier de liens et de territoires, continue chaque jour à l’émerveiller.
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Bonjour Anne-Sophie et bienvenue sur NeOcean. Peux-tu nous parler un peu de ton parcours et de ce qui t’a amenée à prendre la direction de l’ANCB ?
Bonjour NeOcean ! Oui bien sûr, alors j’ai un parcours de fonctionnaire, un peu touche-à-tout en même temps. J’ai travaillé dans la fonction publique territoriale en métropole, après avoir fait des travaux doctorants, ici en Nouvelle-Calédonie, sur l’impact de l’activité minière. J’ai commencé ma carrière comme ingénieure de la fonction publique territoriale, et dès le début j’ai travaillé sur des politiques à visée écologique, mais prises à travers des focales très différentes : l’aménagement du territoire, le développement économique, l’agriculture, l’entretien des espaces publics… Je me suis donc spécialisée petit à petit sur ces questions de biodiversité, mais toujours avec cette logique de construire des politiques publiques, répondre à des demandes d’élus, et travailler au service des territoires et des usagers.
J’ai aussi travaillé au ministère des Outre-mer, où j’ai renoué avec la Nouvelle-Calédonie, que je n’avais jamais perdu de vue. L’occasion s’est présentée pour moi de revenir travailler ici, donc j’ai saisi cette chance avec grand plaisir, et je me suis retrouvée à la tête de l’ANCB.
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Quelle est la raison d’être de l’ANCB sur le territoire, et quelles sont tes principales missions ?
L’ANCB est un outil au service de ses membres. C’est un groupement d’intérêt public au service des collectivités membres (les trois provinces, le gouvernement et l’État), tous compétents en matière d’environnement et on est là pour accompagner leurs politiques publiques. Dans notre gouvernance, on retrouve aussi le Sénat coutumier, les associations de maires, l’Office français de la biodiversité, et pour une représentation plus large des citoyens, WWF et EPLP. C’est donc un outil au service des politiques des territoires. C’est ce qui m’a toujours motivée. Et ici, on est sur un hotspot de biodiversité, avec des enjeux énormes. On a de l’espace, une qualité de vie agréable, on a l’impression que tout va bien… mais ce n’est pas si évident quand on regarde l’état de la biodiversité. En Calédonie comme partout dans le monde, elle chute de manière catastrophique.
Donc c’est un défi très motivant et challengeant de pouvoir venir avec mon bagage professionnel sur des thématiques que je connais, sur un territoire que je connais dans sa complexité.
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Tu travailles avec les collectivités locales et des institutions internationales. Par quelles actions cette collaboration contribue-t-elle aux efforts de préservation de la biodiversité en Nouvelle-Calédonie ?
Il y a des actions très concrètes, comme la mise en œuvre de plans d’action animés par l’ANCB, avec un tour de table composé de tous les partenaires compétents, qui nous font confiance pour assurer cette animation. Par exemple, le plan d’action pour la protection du dugong, ou celui pour les tortues marines. Là, on est sur du très opérationnel. On a aussi des missions plus stratégiques, toujours au service des membres. C’est plus un travail de coordination, de production de documents de référence, d’expertise.
Historiquement, l’ANCB a travaillé sur les espèces exotiques envahissantes, sur la conservation des forêts sèches, qui ne représentent plus que 2% des surfaces d’origine, donc on est vraiment sur des actions extrêmes pour préserver ce qu’il reste.
Et il y a aussi tout un pôle autour des écosystèmes marins et des espèces associées. Là aussi, on travaille à une échelle stratégique, avec des acteurs nationaux et internationaux, notamment sur l’aire corallienne.
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Y a-t-il des projets en cours pour la protection des biodiversités marines, des espèces endémiques et vulnérables ?
Oui, notamment le dugong et les tortues, avec des plans d’action à l’échelle du territoire. Ce sont des espèces emblématiques, soumises à de fortes pressions. Le dugong, par exemple, si rien ne change, dans quelques années, il n’y en aura plus. On pourra juste se dire qu’on aura vu les derniers et puis c’est fini, la page se tourne, il n’y a plus de dugongs en Calédonie. Il faut prendre conscience de cela pour accepter de changer nos comportements. L’environnement, c’est aussi beaucoup travailler avec les humains, car les pressions sont essentiellement d’origine humaine. Sans culpabiliser, il faut partir du constat et se demander “Qu’est-ce qu’on fait pour changer ? Individuellement, collectivement ?”. La prise de conscience, c’est une étape, mais après il faut passer à l’action. Et pour cela, il faut aussi trouver les financements pour agir…

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On le sait, la biodiversité de la Nouvelle-Calédonie est exceptionnelle, mais elle fait face à de nombreuses menaces. Quels sont, selon toi, les défis majeurs à relever pour préserver notre belle île et son lagon ?
Le premier, c’est le changement de comportement, notamment face au feu. Ce qu’on fait sur terre a aussi un impact sur la mer, et très rapidement. Quand un écosystème brûle, c’est tout qui brûle : les espèces végétales, les animaux. On croit que ça repousse, mais c’est comme une brûlure, la peau se reconstitue mais il y a une cicatrice. Ce n’est jamais comme avant. Et à force de brûler, chaque année, on perd petit à petit toutes les espèces intéressantes. Il faut vraiment réapprendre à maîtriser le feu.


Un autre défi, ce sont les espèces exotiques envahissantes, notamment le cerf et le cochon en, qui ravagent la forêt. Si on ne fait rien à grande échelle, la forêt va disparaître. Et si elle disparaît, ce sont les écosystèmes, les animaux, les arbres, les sols qui partent avec. Les sols ne sont plus retenus, ils sont emportés par les pluies, finissent dans le lagon, et là, c’est la catastrophe.
Il faut une prise de conscience. On n’est plus dans une logique de chasse traditionnelle, il faut réguler massivement les populations, de manière très organisée. Le cerf, tant qu’il a à manger, il se reproduit. Et même avec l’activité de chasse bien présente ici, ce n’est pas suffisant. Il faut aller beaucoup plus loin.

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Tu l’as dit, l’ANCB cherche à mobiliser des financements pour ses projets. Quels sont les principaux leviers que vous utilisez pour obtenir des fonds ?
Aujourd’hui, notre modèle est en train d’évoluer. Avant, les membres de l’ANCB finançaient en grande partie notre fonctionnement. Mais les collectivités ont de plus en plus de difficultés budgétaires. Donc on cherche à diversifier nos sources de financements. Pour cela, on noue de nouveaux partenariats, on répond à plus d’appels à projets afin de se donner plus de chance de diversifier les fonds. On tente de monter des projets ambitieux pour répondre au mieux à ces appels et obtenir des financements intéressants.
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Et justement, comment évaluez-vous l’impact de vos projets sur le terrain ? Y a-t-il des indicateurs qui vous permettent de mesurer le succès de vos actions ?
Pour chaque projet, il y a toujours des indicateurs. La gestion d’un projet se fait comme ça aujourd’hui ; dès la définition du projet, de son calendrier, de son financement, des partenariats, etc., on s’interroge sur les indicateurs. Ils sont toujours spécifiques au projet et ciblés sur un écosystème ou une période donnée. Mais la question de l’indicateur est toujours délicate. C’est difficile de répondre de manière générale. Évidemment, on cherche à objectiver l’impact, mais ça peut nécessiter beaucoup de moyens.
Nous, on n’est pas non plus dans la recherche. On doit objectiver l’action avec les moyens qu’on nous donne. Donc on définit des indicateurs mesurables, qui ne soient pas des usines à gaz, qui ne mobilisent pas trop de ressources par rapport à ce qu’ils apportent réellement. Et surtout, il faut qu’ils puissent être suivis dans le temps. C’est toujours une question d’équilibre, qu’on ajuste à chaque fois selon le projet, en fonction des objectifs de la politique publique. Par exemple, si on veut réduire l’impact des cerfs sur les forêts, alors il faut se demander comment on mesure cette réduction, comment on évalue l’effort de chasse, etc. C’est un aspect indispensable de chaque projet.
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À titre personnel, qu’est-ce qui te passionne le plus dans ton rôle à la tête de l’ANCB ?
Il y a plein de choses. L’aspect humain est, je trouve, très réjouissant. C’est parfois là où il y a le plus de difficultés, mais quand ça débloque, on se dit « Génial, on a réussi à trouver un terrain d’entente, à progresser ensemble, à produire de l’intelligence collective. ». C’est toujours chouette de travailler en partenariat sur des sujets complexes. Il y a un vrai travail intellectuel pour arriver à s’entendre avec tout le monde.
Et puis, on travaille sur des sujets incroyablement beaux. Les récifs coralliens, par exemple, c’est super motivant. Je pense qu’il faut garder cet œil de curiosité, d’émerveillement. Ce qui nous entoure est d’une beauté incroyable. Il faut savoir l’observer, le préserver. Il y a donc cette double approche, humaine et environnementale, qui donne beaucoup de sens au travail. Et aujourd’hui, la question du sens est essentielle, surtout pour les jeunes qui cherchent un métier, un avenir, une formation. Même si ça ne fait pas tout, le cadre et les sujets sur lesquels on travaille, ça compte beaucoup. En tout cas, travailler sur de très beaux sujets environnementaux, c’est hyper motivant.



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Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Je dirais qu’il faut en permanence garder cette curiosité qu’on avait enfants. Moi, je reste facilement scotché à observer des choses et c’est en gardant cet œil attentif qu’on reste éveillé à ce qui se passe autour de nous, qu’on cherche à comprendre. Voilà, je leur dirais ce joli mot pour la fin.
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