De passage dans les services de la province Nord, nous avons rencontré la Cheffe du service milieux et ressources aquatiques, Ambre Diazabakana. Dans le bâtiment de la Direction du Développement Économique et de l’Environnement et autour d’un bon café, Ambre nous a raconté son parcours professionnel et son engagement pour l’environnement

Attachée à la nature et à la sauvegarde des écosystèmes depuis toujours, Ambre a partagé avec conviction et simplicité sa vision de la préservation de l’environnement marin en Nouvelle-Calédonie. Des valeurs fortes qu’elle souhaite mettre en application à travers son métier et ses missions quotidiennes. Authenticité et humilité se ressentent dans cet échange débordant de positivité ! 

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Bonjour Ambre et bienvenue sur NeOcean ! On est de visite en Province Nord et on ne pouvait pas manquer de te rencontrer ! Peux-tu te présenter en quelques mots ?  

Bonjour NeOcean et bienvenue à l’hôtel de la province Nord, service DDEE. Je m’appelle Ambre Diazabakana et je suis cheffe du service des milieux et ressources aquatiques au sein de la Direction du Développement Économique et Environnement. Nous sommes basés à Koné City et je pilote toutes les actions qui portent à la fois sur la valorisation des ressources halieutiques, les milieux aquatiques terrestres et les activités qui permettent leur valorisation durable.

Je suis en poste depuis deux ans et je coordonne aujourd’hui onze agents qui sont à la fois des ingénieurs halieutiques, des spécialistes en biologie marine ou encore des techniciens qui font le lien avec les acteurs économiques que nous accompagnons sur le terrain. On cherche à accompagner le développement durable des activités économique reposant sur les ressources aquatiques.  

Maison du Lagon
© NeOcean

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Est-ce que tu peux nous conter ton parcours avant d’arriver à ce poste ? 

J’ai un diplôme d’ingénieure agronome, cursus que j’ai suivi dans l’Hexagone. Dès mon entrée dans les études supérieures, j’avais une forte appétence pour tout ce qui est gestion des milieux naturels marins et j’ai fait le choix de suivre également des modules de formation ingénieure halieutique. Ainsi, j’ai à la fois une spécialité forte en économie de l’environnement, spécialité choisie, mais également une formation complémentaire en gestion des ressources halieutiques et dynamique des populations marines

Mon diplôme d’ingénieure, basé sur ces deux grandes composantes, m’a permis de trouver en premier emploi en tant que consultante, en accompagnement des collectivités et associations, dans la création et la gestion des aires marines protégées à travers le monde. C’est un poste que j’ai occupé pendant quatre ans à Bordeaux. J’ai pu voyager un peu partout à travers le monde et notamment découvrir le Pacifique

C’est d’ailleurs à l’occasion d’une mission de consultante que j’ai pu découvrir la Nouvelle-Calédonie. C’était en 2013 et j’intervenais sur le programme RESCCUE, un projet piloté par la CPS et qui visait à accompagner les collectivités dans la prévention et l’anticipation des changements climatiques

J’intervenais en province Sud sur tout ce qui est accompagnement à la création et à la gestion des aires marines protégées et en province Nord, sur la gestion du cerf, des cochons et la mise en place de mesures de régulation de ces deux espèces envahissantes. Cela m’a permis de prendre connaissance du territoire et c’est, neuf ans plus tard, que je suis revenue, grâce à mon conjoint ! J’ai eu la chance d’être prise pour ce poste, qui me permet de découvrir le territoire sous un angle nouveau. 

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Quel est le périmètre de tes missions au sein de la Province Nord ? 

J’ai un poste qui est administratif, stratégique et relationnel. Je décline ces trois composantes via le management, la coordination des équipes ou encore le développement de projets, notamment d’un point de vue économique. 

Il y a une grande partie de développement économique de l’aquaculture et de la pêche et une grande partie gestion durable et préservation de la biodiversité marine. Nous sommes à la fois gestionnaires des aires marines protégées créées par le Code de l’Environnement et gestionnaire de la zone du patrimoine mondiale de l’UNESCO qui couvre toute la zone de Belep et de la côte Est

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Un sacré DOS qui engage tous les acteurs de la préservation du lagon calédonien ! © ANCB

Mes missions quotidiennes consistent à coordonner et à accompagner les chargés de projet dans l’identification des besoins et des problématiques rencontrés sur ces différents secteurs ainsi que l’identification des solutions à construire avec les acteurs de terrain, les mairies, les acteurs professionnels ou plus globalement l’ensemble des parties prenantes. Mon rôle est aussi de créer des partenariats qui permettrons d’apporter des réponses à la mise en place de ces solutions. 

Ce que j’aime le plus dans mon métier est la partie stratégique. J’aime construire un projet de A à Z, d’identifier le besoin et mettre en place tous les processus pour rendre des solutions fonctionnelles sur le terrain. Ici, il y a beaucoup de chose qui sont à défricher, beaucoup de thématiques où nous avons pu poser un socle réglementaire mais où il reste tout à inventer au niveau de la mise en œuvre et de son adaptation à la situation sociale et politique du territoire. 

Parfois, il existe des réglementations de l’Hexagone qui ne sont pas applicables « telles quelles » sur le territoire calédonien à cause d’un fort décalage. Ce que j’aime bien, c’est pouvoir avoir cet espace assez large de manœuvres pour inventer des choses, pouvoir proposer des solutions parfois innovantes et voir comment faire pour adapter ces solutions à nos réalités de terrain. J’aime beaucoup cette partie idéation et conception !

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Comment s’organise la Province Nord pour gérer un domaine aussi varié que celui de la mer ? Quels sont les grands projets portés par la province Nord dans ce domaine ? 

Le précédent chef de service, qui est aujourd’hui mon directeur, a engagé une démarche de définition de la stratégie provinciale pour la gestion des aires protégées, notamment marines, bien avant que je ne prenne mon poste. C’est un travail de longue haleine mais très stimulant pour concevoir tout le socle stratégique pour un gestion durable des espaces lagonaires

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Les différentes eaux de Nouvelle-Calédonie © GNC

Ce travail est toujours en cours et demande un benchmark détaillé sur ce qui se fait ailleurs, afin de comprendre et d’envisager tout le panel de solutions qui s’ouvrent à nous. Cela nous permet aussi de nous interroger sur la mise en adéquation entre nos capacités d’interventions, nos moyens, nos ambitions. Parfois, le contact avec les populations locales et la mise en avant de leurs initiatives peut aider à penser ces réglementations. Elles sont au plus proches des problématiques de conservations de ces espaces naturels… Cela nous permet de prendre un peu de recul sur ce qui a été fait et sur ce que nous pouvons faire pour gérer le lagon et notre biodiversité

Nous sommes actuellement en phase d’idéation qui nécessite un grand travail de consultation politique afin de trouver des réponses à la gestion de nos espaces naturels. Nous avons la chance d’avoir des écosystèmes résilients et en bonne santé et je suis heureuse de participer à la mise en avant de ces enjeux. J’espère que d’ici deux ans nous aurons une stratégie d’aires marines protégées à la hauteur de nos ambitions ! 

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Comment fait-on pour mettre en place une politique globale de gestion et de protection de la mer ? Avez-vous des projets de collaboration tripartite avec les autres Provinces ? 

Le milieu marin est un espace qui ne connait pas de frontière. Nous n’avons pas le choix que de travailler de pair avec les autres collectivités. Cela a été pendant longtemps difficile, à cause de fortes divergences d’ordre politique et de contexte socio-démographique. 

Pour autant, on constate que depuis plusieurs années, il y a une harmonisation qui s’opère progressivement. D’abord dans la réglementation mais aussi dans les pratiques, avec des partenaires qui ont participé à dépasser le cadre provincial. Je pense notamment à l’ANCB ou encore à l’ADECAL Technopole… Ces structures sont arrivées au moment où les collectivités ont eu besoin d’harmonisation et de mise en commun des moyens de développement, de recherche et de transfert vers le privé. 

C’est aussi, et avant tout, une histoire d’humain. Nous ne sommes pas très nombreux dans nos secteurs, surtout sur le milieu marin. Ça peut être très facile de créer du lien et d’essayer de coconstruire mais c’est à double tranchant parfois… Tout se passe très bien avec l’ensemble des collectivités puisque nos intérêts sont communs et nos passions aussi ! 

De ce fait, nous essayons de créer des espaces de dialogue, notamment à travers, par exemple, notre comité de suivi des réglementations des pêches. Nous y convions les acteurs privés mais aussi les collectivité pour faire émerger des idées, des évènements, des projets communs… C’est au bénéfice de tout le monde de garder cette connexion et cette proximité. L’Observatoire des Pêches Côtières a un rôle à jouer aussi pour harmoniser les connaissances et les actions entre tous les territoires calédoniens. La connaissance est un enjeu majeur pour nous car il nous reste encore des lacunes à combler dans la connaissance de nos écosystèmes, notre impact sur eux et la recherche va nous aider. 

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Quel regard portes-tu sur la protection de l’environnement en Nouvelle-Calédonie ? 

Nous avons la chance, malgré certaines grosses activités très impactantes, d’avoir des écosystèmes lagonaires en très bonne santé. Ils sont très résilients et les différents réseaux de suivi, comme le RORC, démontrent ces résultats. Attention cependant, il ne faut pas se satisfaire de cette situation actuelle locale parce que d’un point de vue mondial, le tableau n’est pas si beau. 

Nous sommes sur un territoire magnifique, avec une biodiversité exceptionnelle et sur le plan culturel, les gens ont conscience de la place de ces écosystèmes dans leur vie. C’est un atout de taille quand on parle de préservation car ce sont les populations qui peuvent vraiment faire bouger les lignes. Cependant, du fait de la densité de population sur le territoire, je trouve que chacun peut avoir tendance de se déresponsabiliser et envoyer la faute sur l’autre… 

Pour nous, cela peut être difficile créer une réglementation qui cible les bonnes personnes : il y a le paradoxe à vouloir responsabiliser des acteurs qui font déjà beaucoup d’efforts mais sur qui reposent tout le système réglementaire alors qu’ils ne sont pas les plus responsables de ces détériorations. Pour le cas des pêcheurs professionnels, nous les connaissons directement car ils sont identifiés et il se peut que les mesures soient plus contraignantes pour eux alors que d’autres personnes, non déclarées, vont être bien plus néfastes pour l’environnement… Je pense notamment au braconnage ! 

cartographie des zones protégées © ANCB

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Nous avons vu que tu étais co-fondatrice de la Fumainerie. De quoi s’agit-il ? 

Vous avez bien fait vos recherches ! Ce nom est un néologisme, une contraction entre le mot « fumier » et le mot « humain ». C’est une association qui a pour objectif de valoriser le fumier humain. Dans le cadre de mes années à Bordeaux, nous avons développé ce concept à plusieurs. Nous sommes partis du constat qu’il existait une forte pollution des milieux aquatiques avec une forte concentration en azote due à l’accumulation d’excrétas ainsi qu’un faible traitement de nos eaux usées par les stations d’épurations. 

De là, nous avons voulu expérimenter de nouveaux modèles d’assainissement collectif en milieu urbain en déployant un réseau de toilettes sèches, géré de manière collective par l’association la Fumairenie. Nous voulions valoriser les excrétas humain et créer une vraie filière. Cette idée ne vient pas de nulle part puisque l’agriculture, jusque dans les années 1980, utilisait encore ces déchets. Avec l’industrialisation massive et le passage aux intrants chimiques, cette méthode s’est interrompue. 

L’enjeu n’était donc pas tant d’un point de vue technique que d’un point de vue sociétal. Les toilettes sèches n’ont pas forcément bonne réputation, notamment en ville ! Et je ne parle pas de la vision d’utiliser des déjections humaines pour faire pousser nos légumes ! Ça « choque » moins quand ce sont des déjections animales, ce qui est finalement un peu étrange… Notre expérimentation a duré deux ans et on a davantage travaillé sur l’acceptabilité sociale que sur les points techniques. 

Je suis très fière d’avoir pu participer à la naissance de ce projet qui suit son chemin aujourd’hui ! J’espère que d’ici quelques années il y aura des réseaux d’assainissement écologiques collectifs un peu partout en métropole, et pourquoi pas en Calédonie ! 

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En dehors de tes activités professionnelles, quel est ton rapport à l’environnement et la mer ? Quelles sont tes passions ? 

Mon projet de cœur de petite fille était de devenir vétérinaire. J’ai toujours eu un lien à la nature et aux animaux assez fort. Comme je faisais beaucoup de natation et de la plongée quand j’étais plus jeune, je voulais travailler avec les animaux marins, notamment les grands mammifères ou les squales. Ça m’a nourri tout au long de mes études. 

Pour autant, elles étaient tournées vers l’économie et l’environnement. Cela peut paraître paradoxal de mettre ces deux mots côte à côte car c’est comme donner une valeur fiduciaire à la Nature. De mon point de vue, je l’ai plutôt perçu comme le fait de mettre au même niveau ce qui semble prioritaire dans nos modes de vie actuels, le développement, la croissance, l’argent, avec ce qui l’est vraiment : l’environnement. 

C’est important pour moi de m’engager dans une voie où je trouve du sens et de la cohérence entre mes valeurs et mon métier. J’aime me dire que je donne de mon temps et de mon énergie à une cause plus grande. Je ne vois pas comment on pourrait envisager un futur sans la préservation de notre environnement ! Travailler pour cette cause, c’est travailler pour notre avenir, celui de nos enfants, de notre bonheur individuel et collectif ! 

Je suis passionnée par l’environnement dans sa globalité et j’essaie de trouver un mode de vie qui m’équilibrerais. J’essaie de trouver de la cohérence entre ce en quoi je crois et ce que j’applique au quotidien. 

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Un dernier mot ou une dernière actualité à partager avec nos lecteurs ? 

Cette année nous fêtons les seize ans de l’inscription de notre lagon au patrimoine mondial de l’UNESCO. Pour nous c’est un outil essentiel, pour créer du lien avec des communautés qui peuvent être éloignées, de prime abord, de nos préoccupations. Cela a vraiment permis de donner de l’adhésion et de la consistance à nos actions. Rendez-vous en juillet pour célébrer cet anniversaire ! 

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