Mardi 16 mai, Nouville, Université de la Nouvelle-Calédonie, amphi 400. Nous sommes retournés sur les bancs de la fac, non pour suivre un cours magistral mais pour participer à la projection exceptionnelle d’un documentaire. Nations of water – comprenez les Nations de l’eau pour les moins anglicistes – est un 52 minutes à propos des migrations climatiques dans le Pacifique. Production académique soutenue par l’Université de la Nouvelle-Calédonie, il est à destination d’un public qui dépasse – déborde ? – largement nos frontières.

Ayant pour sous-titre « Droits et migrations climatiques dans le Pacifique », les ambitions sont claires : aborder la question de l’avenir des populations du Pacifique qui font face, depuis plusieurs années déjà, aux conséquences du changement climatique. Alors que le retour d’El Niño est sur toutes les lèvres, ce documentaire aborde la problématique de la montée des eaux pour les populations insulaires du Pacifique. Retour sur un film gratuit et accessible à tous.

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Soirée-projection entre climat et droit

Les rangs de l’amphithéâtre étaient pleins. L’université organisait ce mardi 16 mai, à 18h, une projection-débat du documentaire co-réalisé par Valérie Baty et Géraldine Giraudeau. Cette projection a été présentée comme inédite par la Présidente de l’Université, Catherine Ris, puisqu’il s’agit d’une production académique déjà projetée dans plusieurs endroits du monde. Pour autant, c’est la première fois que le film sera proposé en Nouvelle-Calédonie. La raison ? La nécessité de le faire en présence de sa réalisatrice et directrice scientifique, Géraldine Giraudeau.

En effet, professeure de droit public à l’Université Paris-Saclay en métropole, c’est en 2018 – alors qu’elle enseignait à l’UNC – que l’idée du documentaire lui est venue. Sensible aux questions des migrations forcées, elle s’est intéressée à celles ayant pour cause le changement climatique. Selon la Banque Mondiale, 216 millions de personnes dans le monde seraient amenées à se déplacer d’ici 2050 pour ces raisons. L’Asie de l’Est et Pacifique représentent 49 millions de ces migrants climatiques. Forte de ce constat et accompagnée par Valérie Baty, ingénieure audiovisuelle spécialisée dans les TICE, les deux femmes se sont lancées dans la réalisation de leur sujet afin de mettre en lumière les nombreux enjeux attenants aux migrations climatiques.

Car le sujet de ce 52 minutes n’est pas équivoque. Le Pacifique est composé d’îles, d’îlots et d’atolls de toutes tailles, accueillant des populations plus ou moins nombreuses. Le réchauffement climatique n’est plus à prouver : les GES – gaz à effet de serre – accélèrent l’augmentation des températures ainsi que ses conséquences, telles que la montée des eaux, des ouragans, des pluies torrentielles… Autant de phénomènes météorologiques que tout îlien connait bien. Mais que se passe-t-il quand ces territoires disparaissent ? Où vont les populations qui y habitent ? Quel est leur avenir ?

“Pour ceux d’entre vous qui ont le pouvoir de faire changer les choses, regardez-nous avec empathie” © Nations of water

L’appartenance à la terre est centrale pour bon nombre de cultures océaniennes. Que faire face à ces problématiques sociétales et spirituelles ? Si la première partie se concentre sur l’aspect humain et l’aspect social, la deuxième moitié du documentaire aborde les questions légales qui se posent lors de ces déplacements. Droit civil ou droit coutumier pour les individus déplacés ? Quelle règle de droit doit s’appliquer ? Existe-t-il un code de loi pour répondre à ces problématiques ? À quels codes ou accords internationaux faut-il se référer ? Droit civil, droit constitutionnel, droit de l’environnement, droit de l’Homme, convention de Genève, accords de Kyoto, accords de Paris… Tant de méli-mélo entre climat et droit que les experts internationaux soulèvent au cours du documentaire.  

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Un documentaire qui ouvre le débat

Une fois la projection finie, Sylvian Raffard-Artigue, le directeur de la communication de l’UNC, s’est transformé en animateur afin de distribuer la parole au panel d’experts spécialement réuni pour l’occasion. En plus des deux réalisatrices, il se composait de Caroline Gravelat, maîtresse de conférence en droit public à l’UNC, spécialisée en géopolitique et relations internationales ; de Félicity Roxburgh, Consule générale de la Nouvelle-Zélande en Nouvelle-Calédonie et de Cameron Diver, avocat en droit de l’environnement aux barreaux de Nouvelle-Zélande et d’Australie et ancien directeur général adjoint de la CPS. Des personnalités triées sur le volet et à même de répondre aux questions de l’auditoire.

La devise de l’UNC prend encore un peu plus de sens… © NeOcean

Et elles ont été nombreuses. Entre remerciements et critiques positives, quelques voix s’élèvent pour demander des solutions concrètes. Une habitante d’Ouvéa, île prise en exemple pour l’échelle calédonienne, se souvient : « les champs de ma grand-mère ont été submergés par l’eau de mer. Mais où pouvions-nous aller ? Les conflits sont vite arrivés… Qui est compétent pour traiter de ces questions ici en Calédonie ? ». Voilà un parfait exemple des questions soulevées par le documentaire. En outre, la réponse illustre aussi la complexité d’une solution précise : toutes les institutions sont compétentes selon le code de loi utilisé. CQFD. Puis, une nouvelle voix s’est faite entendre, celle-ci plus critique…

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Un premier pas vers un législation internationale ?

« N’est-ce pas un peu hypocrite de soulever ces questions de migrations climatiques alors que la Nouvelle-Calédonie fait figure de ‘mauvais élève’ dans le Pacifique et dans le monde ? Alors qu’elle se situe dans une des régions les plus exposées aux conséquences du dérèglement climatique, elle participe à celui-ci et ne s’est engagée dans aucun accord international pour réduire ses émissions (ni les accords de Kyoto ni ceux de Paris). 16 tonnes de CO2 par an et par habitant pour un territoire comme le nôtre : c’est autant qu’un citoyen des États-Unis… »

Un citoyen concerné…
Les GES en première cause du réchauffement climatique © Banque Mondiale

Si cette remarque a laissé un petit blanc alors que les vingt heures sonnaient déjà, elle a ouvert à la réflexion sur la responsabilité des États dans ce réchauffement climatique. Pourtant, l’objectif du documentaire n’était pas de désigner des coupables. Bien au contraire, il a eu le mérite de soulever des questions qui sont déjà une réalité pour bon nombre de populations du Pacifique. Ce ne sont pas les habitants des Kiribati ou des Tuvalu qui diraient le contraire… Il n’est dès lors plus temps de rejeter la faute sur tel ou tel pays mais bien de trouver des solutions collectives. Légiférer mondialement pour mieux protéger.

Géraldine Giraudeau a terminé par rappeler que ce documentaire, diffusé dans les réseaux universitaires, était avant tout un support de prise de conscience. Ce documentaire n’est ni misérabiliste ni partisan. Il décrit une réalité qui modélise les migrations climatiques de demain, quel que soit le territoire concerné. Il est urgent de faire connaître les enjeux de ces migrations pour une meilleure adaptation du droit international.

Le mot de la fin de Michael Gerrard, professeur et directeur du Sabin Center for climate change law © Nations of Water

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