Depuis plusieurs années, la question de la protection des requins, notamment des espèces tigres et bouledogues, est au cœur des débats et décisions juridiques. Alors qu’on sait que près de 100 millions de requins sont tués chaque année, le cadre juridique se durcit pour protéger ces espèces vieilles de plus de 400 millions d’années. 

Pour autant, suite à plusieurs attaques de requins à Nouméa, la province Sud avait décidé de retirer ces espèces des animaux à protéger. Une décision qui ne faisait pas l’unanimité et qui vient d’être annulée par la Cour d’appel administrative de Paris. On vous explique… 

Alors, bouledogue ou tigre ?

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Au cœur de la tempête, la controverse initiale 

La Nouvelle-Calédonie est souvent sous le feu des projecteurs pour sa biodiversité incroyable. Celle-ci inclut notamment des espèces essentielles pour la survie de nos océans et de nos écosystèmes marins. Les requins, en tant que prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire marine, jouent un rôle crucial dans cet équilibre. Reconnus par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) pour leur importance dans le maintien de la diversité biologique, les requins tigres et bouledogues ont été mis sur liste des espèces protégées

requins
La chaine aimentaire marine © Eleau.org

Pourtant, dans un contexte de craintes croissantes pour la sécurité des baigneurs suite à plusieurs attaques de requins au niveau des baies de Nouméa, la province Sud a pris la décision de les retirer de la liste des espèces protégées en 2021. Cette décision a été critiquée pour son manque de fondement sur des études scientifiques adéquates. Le combat était lancé… 

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Eaux divergentes : le va-et-vient des tribunaux

De ce fait, l’affaire judiciaire a débuté dès octobre 2021, lorsque l’association de défense de l’environnement EPLP a porté plainte contre la province Sud pour ce retrait. Outre le manque de fondement scientifique, l’association a mis en avant que les implications écologiques n’aient pas été adéquatement évaluées.

Le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a, dans un premier temps, conforté cette décision en octobre 2022. Cela signifie que, selon le tribunal, la province Sud avait agi dans le cadre de ses compétences en retirant ces espèces de la liste des espèces protégées. De plus, le TA ajoute que localement, ces espèces ne sont pas menacées et donc ne nécessitent pas de bénéficier d’un statut de protection renforcé. 

« Il ressort des pièces du dossier que les requins-tigres et requins-bouledogues, s’ils sont classés parmi les espèces vulnérables au niveau mondial, ne sont cependant pas en danger d’extinction sur le territoire calédonien. En attestent, estime le tribunal administratif, l’augmentation des fréquences des attaques sur les hommes au cours des précédentes années, de la part de ces deux espèces connues pour leur particulière dangerosité, ainsi que l’observation d’un accroissement de leur nombre dans les zones fortement peuplées et en particulier aux alentours de la commune de Nouméa, qui constituent, en l’absence de données chiffrées, autant d’indices allant dans le sens d’un renforcement local de leur population. »

Tribunal Administratif de Nouvelle-Calédonie
baignade
Interdiction de baignade © NeOcean

En 2023, l’affaire prend un nouveau tournant avec deux nouveaux accidents. Alors que le procès est en appel, la province décide de mener des campagnes d’abattages de ces deux espèces. Les plages sont fermées et des « prélèvements » se font aux abords de Nouméa. Ce sont 127 requins dont 83 tigres et 44 bouledogues qui ont été tués lors de campagnes d’abattage menées en 2023 par la commune de Nouméa.  En parallèle, la province des Îles en profite pour donner aux requins – et aux tortues – un statut juridique. Une approche plus conservatrice et protectrice envers cette espèce marine… 

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Ondes de choc en Calédonie : appel et cassation en cours  

L’affaire ne s’arrête pas là. Finalement, en décembre 2023, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a décidé d’interdire les campagnes d’abattage de requins, les jugeant cette fois « disproportionnées par rapport à l’objectif de protection de la vie humaine ». Cette décision a été prise après une analyse approfondie des mesure prises et de leur efficacité, soulignant la nécessité de considérer des alternatives moins nuisibles pour la gestion du risque requin.

La Cour administrative d’appel de Paris a, à peine trois semaines après, rendu son verdict vis-à-vis de l’appel de l’EPLP. Le 12 janvier, la Cour a décidé d’annuler la décision de retrait des requins de la liste des espèces protégées, pointant du doigt l’absence d’études scientifiques rigoureuses et les avis négatifs des comités environnementaux.

L’issue de cette affaire judiciaire reste en suspens, avec des répercussions potentielles sur la gestion des espèces marines et la législation environnementale en Nouvelle-Calédonie. La province Sud s’est pourvue en cassation cette semaine. Dans son communiqué, elle « réaffirme son souhait de conduire avec les partenaires de la convention de partenariat pour une gestion concertée de la réduction du risque requin signée avec l’État, le gouvernement, la mairie de Nouméa et le Port Autonome le 5 mai 2023 les actions engagées afin de mieux protéger les activités nautiques et balnéaires face aux attaques de requins qui ont endeuillé notre territoire. Cette démarche conjointe vise à continuer de privilégier l’homme aux requins. » 

Ce parcours juridique complexe met en lumière les défis de la gestion des espèces marines et la nécessité de concilier la protection environnementale avec la sécurité publique. Il souligne également l’importance d’une approche éclairée par la science dans la prise de décisions environnementales.

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