Alors qu’un moratoire sur les fonds marins « made in Calédo » est actuellement à l’étude au Congrès et qu’Emmanuel Macron se pose en porte-étendard de la défense de ce(s) patrimoine(s) inconnu(s), le comité France Territoires du Pacifique – aussi simplement « acronymé » FTPPEC – organisait, mardi et mercredi 13 et 14 juin, à Nouméa, un séminaire international intitulé « The deep sea : the state of play in Asia Pacific » (PECC). 

Après une première journée riche en échanges variés où scientifiques, juristes, politiciens et autres experts maritimes de la zone Asie – Pacifique se sont réunis autour d’une table pour se pencher longuement sur diverses problématiques économiques, culturelles, technologiques et même biologiques, le « Day 2 » était l’occasion de boucler la boucle avec, notamment, une dernière session intitulée « Conclusions et recommandations ». Enfilez vos scaphandriers, vous voilà plongés dans les principales leçons de deux jours de discussions. 

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Un « sixum vira » pour conclure 48h en apnée

Ils étaient cinq autour d’une table entourant le maître de cérémonie, Monsieur Pascal Lamy (FPTPEC) « himself », pour clore un événement organisé au Château Royal qui avait débuté aux aurores la veille. Ainsi, Geneviève Pons (EJD), Elodie Leguéré (Pacific IP Services), Lionel Loubersac (CMNC), Dominique Chu Van (FPTPEC-NC) ou encore Fabien Trotet (CNRT Nickel & Environnement) avaient la conséquente tâche de résumer chacune des six précédentes sessions animées par une quarantaine de speakers internationaux. Morceaux choisis… 

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Un sixum vira de modérateurs pour nous raconter l’histoire de ces deux jours de séminaire PECC © NeOcean

Après une introduction dans la langue de Shakespeare, Pascal Lamy, ex-boss de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) fit, en bon gentleman, honneur aux dames. A une dame en particulier, Geneviève Pons, qui eut le redoutable privilège d’ouvrir le bal des synthèses avec un retour sur la « session Uno » autour de la « gouvernance des grands fonds marins ». Elle rappela ainsi l’historique législatif du sujet, s’attarda sur les récents mots de Macron souhaitant interdire purement et simplement l’exploitation des fonds marins (COP27)tout en favorisant leur exploration – coucou le moratoire calédonien ! – avant de rappeler qu’une solution à l’échelle mondiale devait être trouvée discutée entre États. Tout ça, c’est bien beau me direz-vous, mais lorsqu’on sait que la Chine souhaite, au contraire, favoriser le « deep sea mining » (Dr Lily Xiangxin Xu) sans que personne ne lui dise quoi faire, ça promet quelques étincelles qui risquent de prendre feu malgré les kilomètres sous la mer. Conclusion pragmatique de Francis Vallat (CMNC FR) : il faut réunir les « pour » et les « contre » autour d’une table pour trouver une solution collégiale et un équilibre mondial. Attention néanmoins à l’accident géopolitique de décompression… 

Second modérateur à prendre la parole, Dominique Chu Van, ukulele en main, vint partager la vision des peuples insulaires du Pacifique que l’on pourrait résumer de la sorte :

« Nous sommes liés à l’océan, nous dépendons des ressources de l’océan, nous sommes les premiers confrontés aux changements climatiques, nous devons trouver, ensemble, des solutions pour lutter contre leurs effets afin de préserver l’océan pour les générations futures… »

Cook et Calédonie, main dans la main face aux enjeux climatiques

Rien de révolutionnaire mais cet aspect culturel et traditionnel – humain finalement… – est assez peu souvent invité à la table des discussions qu’il est intéressant de notifier que les organisateurs n’ont pas reproduit l’erreur. « Better understand to better protect », comme ils disent… 

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1,2,3, je n’irai pas… 4, 5, 6, creuser les abysses ! 

L’inénarrable Lionel Loubersac, membre incontournable du CMNC, s’empara du micro en toute sobriété pour « biologiser » un peu les discussions : sachez que l’Homme partage, en grande partie, le patrimoine génétique de l’eau salée. Le scientifique, toujours passionnant dans ses logorrhées, eut la finesse de résumer la session « 20 000 lieux sous les mers… » en dix points que nous résumerons nous-mêmes en une seule phrase pour ne pas vous perdre, chers lecteurs : les fonds marins, ce n’est pas qu’une question d’exploitation, c’est également un défi scientifique pour comprendre « l’Homme », ses origines et trouver des solutions biologiques aux inévitables conséquences du sinistre changement climatique. Prends ça dans ta face le singe ! 

Enchaînement « passe du micro plat du pied » pour une splendide frappe d’Élodie Leguéré qui résuma la session « Tech », en mode « enseignements et opportunités », formidablement animée la veille par Jérôme Aucan (CPS) et sa passion brandée « CO2 », Antoine Queval (ASN) et Laurent Mingoual (OPT) et leur « SMART câble sous-marin data producer » et par Jean-Marc Sornin (Abyssa) prestidigitateur de robots sous-marins AUV. Maîtres-mots ? Connaissance, technologie, data. 4-0 pour les fonds marins avant une cinquième session matinale que Fabien Trotet eut la lourde responsabilité de résumer ; le sujet ? « Un problème sans fond : que faire des ressources minérales au fond des océans ». Âmes sensibles… 

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Ohhhh le beau câble sous-marin de l’ © OPT !

Fabien changea de méthode en résumant les prises de position de chaque intervenant ; aussi, le débat commençait à sérieusement pencher vers un sujet central : l’exploitation des fonds marins. Effectivement, et c’est bien là que le bât blesse, puisque l’économie domine d’ores et déjà terres et airs, elle souhaite forcément s’emparer des mers. Un point de vue novice pourrait se braquer sur un avis arrêté ; pourtant, lorsqu’on sait que les minéraux rares sont essentiels – encore aujourd’hui – à notre transition énergétique et que l’hydrogène pourrait bientôt devenir notre prochain « moyen » de transport ou que « l’exploitation » pourrait plus s’apparenter à un ramassage qu’à un minage en bonne et due forme, la balance s’équilibre. 

Un premier « test and learn » pourrait alors s’imposer ; on pourrait le vulgariser dans cette équation (utopiste ?) :

Exploration scientifique grâce à des technologies maîtrisées => datas et connaissances approfondies des fonds marins => création d’un modèle écolo-nomique viable => gouvernance collaborative tripartie privé, public, scientifique => meilleure définition des rôles => exploitation « SMART » => survie de l’humanité ?

Ce genre d’équation avec tellement de facteurs qu’elle en devient quasiment impossible à résoudre…

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« We need to invest » 

Ouf ! Alors que le séminaire prenait des airs de combat idéologique autour du forage, Pascal Lamy se ressaisissait du porte-voix pour sonner la fin de la récrée et distiller, en bon chef de famille, un trio de recommandations finales :

« investir dans la science, investir dans l’humain, améliorer la gouvernance ».

Pascal Lamy, investisseur de grands fonds

Rien de révolutionnaire en somme car le sujet est bien trop vaste pour être couvert en 48h à Nouméa et qu’il n’y a sans doute pas de « bonne ou mauvaise » solution. 

Reste que les fonds sous-marins représentent un patrimoine mondial encore bien trop méconnu mais qu’ils recèlent sans doute autant de réponses quant à notre « Humanité » et à notre avenir, que de trillions de dollars de minerais et autres puits de gaz. Instinctivement, on pourrait tout de même se dire que l’Homme et l’Océan ne font finalement qu’un. La recommandation finale de Pascal Lamy – « we need to invest » – semblerait donc idoine même si elle se base sur le postulat que la “connaissance” permet de prendre des “décisions éclairées” ce qui n’a pas toujours été le cas à travers les âges… Alors, finalement, qu’en penseraient nos enfants ? 

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