« Dans les clapotements furieux des marées, Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants, Je courus ! Et les Péninsules démarrées n’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants ». Du bateau ivre à l’Antea, des marées furieuses au calme du lagon, d’Arthur Rimbaud à Benoît Soulard, il n’existe qu’un lien : deux hommes ivres de mer. Le premier sème des vers-mer engagés lorsque le second s’est engagé à comprendre le fonctionnement de nos lagons. Portrait d’un homme qui, de la fenêtre d’un Gers viticole, s’est un jour écrié : « mais elle est où, la mer ? ».  

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Du Gers à l’Ifremer

L’huître, le turbo et la truite ont un point commun : leur culture ou leur élevage ont tous été observés par le jeune Benoît, stagiaire éphémère de Noirmoutier au Québec, en passant par les Pays de la Loire. Alors que le service militaire existe toujours et que l’année 2000 pointe son étrave, le néo-ingénieur en agriculture flaire le bon plan d’un VAT – Volontariat Civile à l’aide Technique – dans les Outre-mer. Las, les places sont chères et Benoît essuie quelques refus avant, un jour, d’oublier son portefeuille sur sa table de chevet. Grand bien lui en a fait puisque le miracle arrive ; retour à la maison, téléphone qui sonne et, au bout du fil, on lui propose de découvrir le Caillou avec l’objectif de venir développer un logiciel de gestion des fermes aquacoles. Le jour de ses vingt-cinq printemps, la crevetticulture l’appelle à l’aventure… 

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Benoît, micro en main pour restituer ses devoirs © B.Soulard

S’ensuit quelques années de découvertes, personnelles et professionnelles, au contact de cet enivrant environnement qui ceinture notre langue de terre sauvage. Collecter, traiter et analyser des données pour faire chuter le taux de mortalité de notre chère crevette bleue, voilà la mission offerte à Benoît au cours de ses premières missions à l’Ifremer. Et puis, un jour… « Le Président Chirac m’a envoyé un petit courrier pour m’informer que j’étais dégagé de mes obligations militaires et que je pouvais rentrer chez moi… mais comme j’étais bien en Calédonie, je suis resté ici ». La décision est prise et Benoît signe alors son premier contrat local à l’Ifremer en 2006. Il déménage alors à Koné pour développer la filière crevette, surveiller la santé de ces jeunes danseuses à moustaches et intervenir dans les fermes pour échanger et aider les aquaculteurs

Alors que l’exploration complète l’exploitation des bassins de crevettes, c’est un ingénieur expérimenté qui redescend à Nouméa, en 2010, lorsque l’ADECAL Technopole crée un centre technique aquacole. Son rôle sera désormais d’assurer la gestion des données environnementales et d’implanter localement des bases de données nationales. QUADRIGE. BD RÉCIF. La science aime les acronymes et l’Ifremer met soudain un « pied dans les lagons » pour étudier les environnements lagonaires. Benoît s’éclate en mission sur l’eau et, des années plus tard, il se confie sur ses souvenirs : « Je regrette l’époque où je sortais en mer pour le boulot : quand tu te lèves le matin avec les dauphins et les manta, tu te dis que le « bureau », il est quand même pas trop mal… ». 

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L’Antea comme bureau © B.Soulard

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Donner pour expliquer. Données pour protéger

Le jeune ingénieur passionné est devenu un expert data reconnu et, en 2017, il prend l’intérim du délégué régional de l’Ifremer en Nouvelle-Calédonie pour un an. Trois ans plus tard, la promo tombe : il devient officiellement le nouveau délégué local. Entre temps, les technologies émergent et le rôle de la donnée scientifique devient prépondérant : données de surveillance, SIG, données cartographiques, données spatiales, télédétection… sont un océan d’outils dans lequel Benoît pique une tête. Un tel poste rime toutefois avec de nouvelles responsabilités : « aujourd’hui, mon rôle est de mettre les moyens financiers et techniques à disposition des chercheurs ; je suis plutôt gestionnaire et donc beaucoup moins sur le terrain », avoue-t-il avec une touche de nostalgie. 

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Un pour tous, tous pour INDESO © H.Lemonnier

Voilà donc vingt-cinq ans que le bonhomme se sent bien en Nouvelle-Calédonie ; pendant ce laps de temps, il a contribué à des projets marquants. DESANSDEDUCTIONPRESENCEELADE. Autant d’acronymes improbables pour une aquaculture mondiale optimisable. Au départ, la crevette est partout mais lorsque l’Ifremer ouvre ses champs d’études aux lagons, de nouvelles lettres apparaissent. INDESO. Benoît, en collaboration avec CLS (Collecte Localisation Satellite), suit la construction d’une antenne satellite à Bali pour surveiller l’environnement. AMICAL avec l’ADECAL, voici une filière innovante de production de microalgues calédoniennes issues de milieux « extrêmes » et ayant potentiellement développé des mécanismes d’adaptation et/ou de protection et molécules d’intérêt. La passion de l’analyse, la recherche de la connaissance, l’accompagnement aux politiques publiques : trois entêtements quotidiens qui pourraient aujourd’hui définir le métier de Benoît… 

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Mi-Caillou, mi-crevettes 

En vingt-cinq ans, il nous faudrait quelques jours pour écouter la voix posée de M. Soulard nous partager retours d’expériences, anecdotes calédoniennes et expérimentations scientifiques. Nous n’avons malheureusement qu’une grosse heure devant nous et quelques questions tapotées sur le clavier. On essaie d’en savoir plus sur son attachement au territoire, sur ses passions « extra-scolaires » mais sa réalité est bien simple : « je vais bientôt avoir passé autant de temps en Nouvelle-Calédonie qu’en métropole, c’est dire mon attachement à ce territoire… ». 

Attaché à mieux comprendre pour mieux protéger. À mieux traiter les données pour mieux analyser l’environnement. Avant de le quitter et de retourner voguer auprès de ceux qui observent nos lagons, il nous livre une gourmande conclusion : « j’adore manger nos crevettes bleues : ce sont les meilleures crevettes au monde ! ». Ivre de mer mais humble de caractère. 

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