Elles descendent à plusieurs mètres de profondeur, sans bouteille, sans assistance, et souvent avec plus de soixante printemps derrière elles. Sur l’île de Jeju, en Corée du Sud, les Haenyeo (traduit “femmes de la mer”) perpétuent une tradition matrilinéaire unique : la plongée en apnée pour récolter alguescrustacés et mollusques. Classé au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO depuis 2016, ce savoir-faire fascine autant qu’il inquiète, car il fait face à de nombreux défis. Alors comment cette tradition maritime millénaire peut-elle survivre à la modernité et aux bouleversements environnementaux ?

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Les sirènes de Jeju, plus badass que Disney

Haenyeo
1958, sans combinaison © Korea Government

Oubliez Ariel, les vraies sirènes vivent à Jeju, au sud de la Corée. Les Haenyeo ne sortent pas d’un conte, mais leur histoire pourrait s’y prêter. Depuis le XVIIe siècle, ces femmes se jettent à l’eau pour nourrir leurs familles et subvenir aux besoins économiques de l’île. La tradition s’est installée dans une société où les hommes partaient longtemps en mer et les femmes sont ainsi devenues les principales figures de la récolte littorale.

Leur endurance force le respect. Sans oxygène, elles descendent parfois jusqu’à vingt mètres, restent sous l’eau plus de deux minutes, et ce, durant plusieurs heures par jour, toute leur vie, même enceintes. Lorsqu’elles remontent, elles émettent un son particulier, le « sumbisori », sorte de sifflement qui permet de mieux réoxygéner les poumons et qui est devenu une marque de leur identité. Mais leur corps aussi s’est façonné par des décennies de pratique. Elles ont développé une capacité pulmonaire hors norme, une résistance au froid qui leur permettait même autrefois de plonger sans combinaison, et un réflexe physiologique proche de celui des mammifères marins. En effet, sous l’eau, leur rythme cardiaque ralentit naturellement pour économiser l’oxygène. Des chercheurs ont même comparé leurs performances à celles de véritables apnéistes professionnels

Haenyeo
Des super-héroïnes même super-enceintes ! © Reuters
Haenyeo
Chanter pour se réchauffer © Mister travel

Au-delà de la prouesse physique et technique, les Haenyeo incarnent une véritable culture maritime féminine. Elles travaillent en collectifs, transmettent leurs techniques de mère en fille, chantent pour se donner courage et pratiquent des rituels de respect envers l’océan. La mer n’est pas qu’un gagne-pain, c’est aussi une partenaire de vie.

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Plongée en eaux troubles

Héroïnes marines, oui, mais immortelles, non. Aujourd’hui, la moyenne d’âge des Haenyeo dépasse les 60 ans, certaines continuent même à plonger à plus de 80 ans. Mais un problème se pose, les jeunes générations ne suivent plus. Peu de filles veulent consacrer leur vie à ce métier physique, dangereux et mal payé.

À cela, s’ajoute le tourisme de masse, qui transforme parfois les Haenyeo en attraction, souvent au détriment du respect de leur pratique. La pêche industrielle, elle, concurrence leurs ressources marines dont elles dépendent. Cherry on the cake, le climat n’arrange rien. Le réchauffement des eaux, la violence et la fréquence accrues des typhons ou encore l’appauvrissement des fonds marins compliquent leurs plongées et réduisent leurs récoltes. La mer, qui fut leur alliée depuis des siècles, se montre de plus en plus imprévisible.

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Un nouveau souffle 

Face à ces défis, les Haenyeo s’adaptent. Leur reconnaissance par l’UNESCO a permis de renforcer leur visibilité et la volonté de préserver leur héritage. Des musées, festivals, centres culturels et programmes éducatifs sont mis en place pour que leur savoir-faire historique ne s’évapore pas dans les vagues du temps. Si elles inspirent, c’est aussi parce qu’elles incarnent des valeurs contemporaines : la pêche durable, la solidarité féminine, le rapport respectueux à l’océan. Dans un monde où nous sommes constamment à la recherche de modèles de résilience, elles ont une longueur d’avance.

Et demain, quand les dernières Haenyeo raccrocheront leur combinaison et leur panier, restera-t-il autre chose que des souvenirs ? Peut-être que leur souffle se transformera en un nouveau courant, et nourrira d’autres initiatives en lien avec l’océan et la préservation des ressources…

Haenyeo
Qui assurera la relève ? © ED JONES

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Dernier souffle ou nouveau courant ?

Chaque plongée des Haenyeo commence par une inspiration profonde et se termine par le fameux sumbisori. Leur histoire, elle aussi, arrive à ce moment de bascule, entre extinction lente et renouveau possible. Qu’importe l’issue, leur héritage nous apprend déjà à vivre autrement avec la mer ; avec patience, humilité et respect. 

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