C’est la saison des amours dans le lagon Sud pour les baleines, et hier soir, la rédac’ s’est glissée dans la salle comble du Musée Maritime pour une conférence aux accents scientifiques et poétiques “Sexy Singing : plongée dans les mystères du chant des baleines à bosse”.
Pourquoi leurs chants résonnent-ils d’année en année ? Et surtout, à qui sont-ils destinés ? Au micro pour répondre à ces questions Solène Derville (IRD – UMR Entropie), Claire Garrigue (Opération Cétacés), et Ellen Garland et Franca Eichenberger (Université de St Andrews, Écosse).
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La première note
C’est en 1991 que Claire Garrigue a vu sa première baleine et que tout a commencé pour « Opération Cétacés ». À l’époque, on ne savait presque rien des baleines à bosse en Nouvelle-Calédonie, ni de leur passage saisonnier dans le lagon. Depuis ce premier contact, Claire a lancé les bases d’un programme de suivi, avec pour objectif de mieux comprendre leur présence, leur nombre, et surtout leur mode de communication. Grâce à ses efforts, plus de 1800 baleines ont été identifiées.

Les observations se sont affinées au fil des années, grâce à des identifications photos, des prélèvements de tissus, des enregistrements de chants, etc. Il a d’ailleurs été observé que ce sont en fait les mâles qui chantent, non pas les femelles. Et que ces chants, ne sont pas des cris de SOS (qui partent dans les airs), ni des signaux de chasse, mais plutôt, des parades nuptiales… Parce que oui, pour séduire il faut avoir du coffre !
Mais figurez-vous que ces géants des mers ne peuvent même pas séduire tranquillement ! La pression des bateaux qui augmente au fur et à mesure du temps, entraine un changement de comportements des baleines. Elles se déplacent de manière de plus en plus erratique, et plongent plus longtemps. Un dérangement qu’il faut limiter, d’où les règles d’approche renforcées mises en place par la province Sud.


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It’s a match !
Le projet collaboratif « Sexy Singing« ne date pas d’hier. Cela fait maintenant sept ans déjà que des chercheurs étudient en Nouvelle-Calédonie les vocalises des baleines à bosse. Chaque hiver austral, les impressionnants cétacés de quinze mètres pour quarante tonnes, rejoignent donc les eaux de Nouvelle-Calédonie pour se reproduire et mettre bas. Et pour se reproduire, il faut séduire messieurs ! Alors les mâles chantent. Mais pas n’importe comment, leur chant est long, complexe et structuré. Un vrai tube sous-marin, avec ses refrains, ses couplets et ses motifs répétitifs. Les mâles se battent pour escorter une femelle et chantonner leur plus belle mélodie. Ellen Garland, compare ces vocalises à des parades nuptiales, à l’instar de certains oiseaux.
Mais à qui s’adresse ce chant ? Aux femelles ? Aux autres mâles ? Les deux ? C’est grâce à dix-sept années d’enregistrements qu’il est possible pour les chercheurs de croiser ces données avec des analyses génétiques de paternité. Ils espèrent d’ailleurs bientôt découvrir si les chanteurs les plus « techniques » séduisent davantage. En gros, est-ce que les femelles choisissent leur partenaire en fonction de la qualité et de la complexité du chant ?

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Les irrésistibles mâles alpha
Le micro est ensuite transmis à Franca Eichenberger (qui a brillamment effectué sa présentation 100% en français, sous nos applaudissements) qui nous a expliqué que si l’accouplement des baleines à bosse n’a jamais été observé, la génétique, elle, parle. En analysant les ADN nucléaires issus d’échantillons de peau prélevés sur des mâles, des femelles et leurs baleineaux, les chercheurs ont réussi à reconstituer les lignées paternelles. Et ce sont 79 pères de baleineaux qui ont pu être identifiés !
Sans surprise, beaucoup de mâles n’ont aucun succès reproducteur. La compétition est rude et seuls quelques-uns parviennent à transmettre leurs gènes. Mais une question revient : quels sont leurs atouts ? Sont-ils plus âgés, plus expérimentés, meilleurs chanteurs ? L’analyse révèle une première piste, les mâles plus âgés semblent avoir davantage de succès, mais seulement dans un contexte de population restaurée.
Car l’histoire n’est jamais déconnectée du présent ; la population des baleines à bosse de Nouvelle-Calédonie revient de loin. Leur chasse a pris fin il y a environ cinquante ans et la population se reconstitue petit à petit. Un « baby boom » a d’ailleurs été observé en 2009 !

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Un date ?
En pleine saison d’observation, cette conférence nous a rappelé combien ces géants des mers ont encore des secrets à livrer. La recherche avance, avec passion et patience. Chaque donnée récoltée est un pas de plus vers la compréhension de l’un des rituels amoureux les plus fascinants du monde animal.
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