Et si on vous disait que les algues peuvent faire bien plus que garnir votre sushi ? Ou que vous pourriez en trouver dans votre crème de jour ? C’est notre découverte du jour grâce à notre rencontre avec Noémie Coulombier, ingénieure biotechnologies marines à l’ADECAL Technopole. En effet, elle se consacre à l’étude des algues de mer en se focalisant particulièrement sur les micro-algues, ces organismes invisibles à l’œil nu. 

Passionnée par le monde de l’infiniment petit, Noémie travaille depuis dix à Nouméa sur ces micro-organismes aux propriétés surprenantes. Avec une grande simplicité, elle nous a ouvert les portes de cet univers microscopique, le rendant accessible et fascinant. Au-delà de l’apprentissage enrichissant, Noémie nous a également invités à visiter son laboratoire. Mettez votre blouse blanche, et laissez-vous guider dans le monde captivant des micro-algues avec Noémie ! 

__

Bonjour Noémie et bienvenue sur NeOcean ! Avant de commencer, les algues, tu les aimes plutôt dans la mer ou en salade ? 

Ni l’un ni l’autre ! Je suis plutôt de la team de l’utilisation dans une crème du jour ! Enfin ça dépend de quelles algues on parle : des macro-algues ou des micro-algues. Je ne travaille pas du tout sur les macro-algues mais vraiment sur les algues microscopiques, qu’on ne voit pas à l’œil nu. Généralement, on les utilise plutôt pour autre chose.

__

Avant de parler de ces micro-algues, est-ce que tu veux bien te présenter à nos lecteurs ? 

Je m’appelle Noémie Coulombier, j’ai 37 ans et je suis la responsable des deux laboratoires du Centre Technologique des Micro-Algues (CTMA) pour l’ADECAL Technopole depuis 2020, année où j’ai soutenu ma thèse. Nous sommes actuellement dans le Laboratoire d’Étude des MicroAlgues (LEMA). Il faut savoir qu’il y a un deuxième Laboratoire Technologique des MicroAlgues (LTMA) localisé à Koné. Le laboratoire est mixte, c’est-à-dire qu’il y a des chercheurs de l’ADECAL mais aussi de l’IFREMER pour un total de cinq personnes.

micro-algues
Pour y voir un peu plus clair… © ADECAL Technopole

__

Tu es donc ingénieure en biotechnologie. Qu’est-ce que la biotechnologie et pourquoi t’es-tu dirigée vers cette voie ? 

Les biotechnologies sont des technologies mettant en œuvre des organismes vivants. Je suis orientée biotechnologie bleue, c’est-à-dire tout ce qui est en lien avec le marin. En d’autres termes, c’est la valorisation et l’exploitation des ressources marines pour une production donnée. Pour citer ce que je connais, c’est par exemple l’utilisation des microalgues dans des produits cosmétiques ou dans un aliment.

Les microalgues n’ont pas été une histoire d’amour dès le début ! Pendant mes études, j’ai réalisé un premier stage dans un laboratoire de recherche sur les microalgues. J’avais le nez rivé sur un microscope toute la journée et j’avoue que c’était assez fatiguant et chronophage pour une première expérience. Sur le coup, ça ne m’a pas vraiment plu, si bien que je me suis orientée vers un master en aquaculture : poissons, crevettes et gros organismes en perspective. J’ai finalement trouvé ça moins intéressant et c’est ainsi que je suis retournée vers le monde de l’infiniment petit et de la micro-algue

C’est à travers une goutte d’eau que j’ai vu tout le potentiel qu’il y avait et toutes les valorisations possibles de ces organismes vivants. Sans parler du peu de connaissances que l’Homme a dans ce domaine. Il y a beaucoup de perspectives, de choses à faire, à découvrir et c’est comme ça que j’ai vraiment décidé de me lancer dans ce domaine de recherche. J’ai fait un stage à l’IFREMER puis je l’ai intégré comme chercheuse pendant trois ans à Nantes. Je suis arrivée il y a quelques années sur le Caillou afin d’intégrer le programme pour lequel je travaille actuellement.

micro-algues
Culture de micro-algues dans un gros tube à essai… © IFREMER

__

Parle-nous de ces algues… Quel est le cœur de tes recherches ?

micro-algues
Ceci est une souchothèque ! © IFREMER

Je travaille avec mon équipe sur le programme AMICAL (Aquaculture de MIcro-algues en Nouvelle CALédonie) qui est mené en collaboration avec l’IFREMER. Il a commencé en 2013 et a pour objectif de créer une filière de production de microalgues en Nouvelle-Calédonie, à partir d’espèces locales. Une microalgue c’est un micro-organisme qui est à l’origine de 50 % de la production d’oxygène sur Terre. On parle de phytoplancton en science de l’environnement et de microalgue en biotech. 

La première phase du programme AMICAL a été de prospecter tout autour de la Nouvelle-Calédonie pour isoler des micro-algues locales. Cela nous a permis de constituer une « souchothèque » – bibliothèque de souches -, qui se trouve au laboratoire de Nouméa et qui est dupliquée à Koné. À partir de cette souchothèque, composée d’une cinquantaine d’espèces, nous tentons de trouver des voies de valorisation pour ces micro-algues.

Nous avons plusieurs collaborations, dans des secteurs d’activité très différents. Pour commencer, il y a le domaine cosmétique, dans lequel nous cherchons des propriétés anti-UV aux algues dans le but de fabriquer des crèmes solaires. Dans le domaine de l’alimentation humaine, nous avons actuellement une collaboration avec une entreprise qui veut utiliser les micro-algues comme ingrédients alternatifs aux produits d’origine animale. Enfin, dans le secteur de la santé, les micro-algues peuvent être utilisées pour de la prévention de maladies ou en tout cas, comme un accompagnement de certaines, comme le diabète. Avec l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie, nous travaillons actuellement sur des alternatives aux antibiotiques pour les bactéries antibiorésistantes. 

__

À quoi ressemble tes journées ? Travailles-tu uniquement en laboratoire ? 

Avant, je travaillais beaucoup en laboratoire. Aujourd’hui je cherche surtout des financements ! Au début du projet, nous avons également fait beaucoup de terrain pour réaliser des prélèvements marins tout autour de la Grande Terre. Nous prélevions surtout sur les côtes, là où les conditions environnementales et climatiques varient le plus afin d’avoir des micro-algues capables de résister à ces variations. 

Cette étape-là étant finie, nous nous concentrons sur les cultures de micro-algues dans des enceintes pour tester différents paramètres. À Koné, le travail se fait davantage sur des bassins extérieurs. Cela nous permet de répliquer des conditions particulières où elles vont produire telle ou telle molécule pour s’adapter. C’est là qu’est le cœur de notre travail : tester différentes situations pour comprendre leurs réactions. 

micro-algues
Du gros bassin et des couleurs très différentes pour ces micro-algues ! Des conclusions ? © IFREMER

__

Comment expliquer ton engouement pour ces alternatives naturelles ? Quel est ton point de vue sur la protection de l’environnement, notamment marin ? 

Le fait de trouver des alternatives naturelles me tient beaucoup à cœur. J’aime comprendre ce que le vivant a à nous offrir pour pouvoir se passer des produits non naturels. Ça reste de la chimie, de la chimie naturelle. Notre objectif est de monter une filière durable. L’idée est de pouvoir créer de la valeur ajoutée à partir de la Nature tout en trouvant des pistes pour la valoriser et mieux la comprendre.

Dans le cadre de nos recherches, nous travaillons aussi sur l’utilisation du CO2 pour augmenter la productivité de nos cultures de micro-algues puisqu’elles l’utilisent pour se développer. Finalement, c’est utiliser du négatif pour trouver un débouché positif. 

Dans tous les cas, il y a un potentiel insoupçonné dans l’océan et plus généralement dans le monde de l’infiniment petit. Il reste tant de choses à découvrir ! Tous les végétaux terrestres descendent des micro-algues. Il y a tant de branches encore inconnues. En ce moment, tout le monde parle de l’économie bleue. Je pense sincèrement que la Nouvelle-Calédonie a beaucoup à offrir à ce niveau et que les micro-algues sont une filière d’avenir !  

__

Quel est ton lien à l’océan ? D’où te vient-il ?  

J’ai grandi en Normandie, au contact de la mer. Je crois que j’ai toujours eu besoin d’avoir ce contact avec elle. J’ai passé trois ans à Nantes et je me sentais déjà bien trop loin de l’océan ! C’est pour dire son importance dans mon quotidien. Je n’ai pas particulièrement de hobbies sur le lagon mais je pars régulièrement en mer, à la pêche… Toujours à portée de vue ! 

J’ai un attachement fort à « ma » mer, la Manche. Chaque région à ses avantages, sa beauté, ses paysages, ses couleurs… Mais quand je retourne en Normandie, je trouve que la mer est magnifique, j’adore voir les grandes marées ! Et surtout, il y a cette odeur si particulière que je ne retrouve pas ici : les bonnes odeurs d’iode et d’eau salée ! Ça sent la mer et… les algues ! 

__

Un message à faire passer à nos lecteurs ? 

C’est une filière peu connue et pourtant si importante. Elle subit, comme d’autres filières de recherche, des problèmes de financement… En ce moment nous avons beaucoup d’études qui sont en train d’aboutir, les résultats commencent à arriver. Au niveau scientifique c’est très stimulant, on sent que ça avance. La grande question c’est de savoir si nous sommes prêts pour l’étape d’après et c’est le financier qui bloque ! On se bat depuis dix ans et le travail continue. 

__