Vous pensez que la mangrove est juste bonne à attirer les moustiques ? Et bien détrompez-vous ! Monik Lorfanfant, présidente de l’association SOS MANGROVES NC nous en dit plus sur cet écosystème encore trop méconnu. Cette défenseuse de l’environnement partage avec passion et vivacité les combats qu’elle mène depuis plusieurs années. 

Avec SOS MANGROVES NC, elle accompagne également des jeunes en réinsertion qui travaillent avec elle au quotidien et qu’elle surnomme affectueusement « les garçons ». Rencontre avec cette femme engagée qui n’a pas la langue dans sa poche…

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Bonjour Monik et bienvenue sur NeOcean ! Monik avec un K ce n’est pas courant ! Es-tu aussi originale que ton prénom ? 

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Ne loupez pas leurs appels rdv sur Facebook

Bonjour NeOcean, bienvenue dans la mangrove de Tina ! Il paraît que je suis une « originale » ! Mais derrière ce « K » il y a aussi une histoire. Le prénom « Monique » est assez courant finalement et lors de réunion, il y avait souvent des « Monique » par-ci, « Monique » par-là… Pour plus de clarté, j’ai changé l’orthographe ! Comme j’ai des origines allemandes, j’ai décidé d’enlever le « que » pour mettre un « k ». Je reprends mon orthographe d’origine, en fin de compte. C’est parti comme ça et depuis, c’est resté.

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Trêve de plaisanterie ! Peux-tu commencer par te présenter à nos lecteurs et nous parler de l’histoire de l’association dans laquelle tu es engagée ?  

Oui bien sûr. Je m’appelle Monique Lorfanfant, je suis la présidente et fondatrice de l’association SOS MANGROVES NC, qui aura bientôt dix ans. Nos actions s’étendent principalement dans les mangroves urbaines et périurbaines de Nouméa. En plus d’avoir un engagement écologique, l’association a aussi un engagement social, nous travaillons avec des jeunes en difficultés sociales qui nous accompagnent dans nos missions. 

Avant sa création, j’étais déjà engagée dans la protection des mangroves avec une autre association, j’ai démarré en 2007 à Rivière Salée. Au départ, nous étions plus nombreux qu’aujourd’hui. Nous avons démarré par le ramassage des déchets dans les mangroves comme le fait Caledoclean

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Zone de Tina AVANT… © SOS MANGROVES NC

Après plusieurs années, il y avait un peu de lassitude liée au fait d’être uniquement dans le ramassage des déchets. En se baladant, nous nous sommes rendu compte que la mangrove se régénérait à certains endroits, aux alentours de Ouémo. Je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire à ce niveau-là. J’ai donc fait un test en créant des pépinières et nous avons commencé avec les garçons à apprendre les différentes espèces. C’est comme ça que nous nous sommes développés et que nous avons commencé à faire également de la prévention, de la protection et de la restauration.

À la suite de désaccords avec l’ex-président, j’ai décidé de sauter du train en marche et de tenter le tout pour le tout avec la création de SOS MANGROVES NC en me disant que si ça ne fonctionnait pas, je serais la seule responsable. Finalement, cette décision a porté ses fruits et m’a ouvert beaucoup de portes. Je ne la regrette pas du tout ! 

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Comment votre association fonctionne-t-elle ? Avec qui travaillez-vous et combien de bénévoles sont engagés à vos côtés ? 

Nous sommes une association de loi 1901. Comme beaucoup d’associations, nous n’avons pas beaucoup de moyens. J’ai regroupé toute la partie administrative et matérielle à mon domicile puisque nous n’avons pas de locaux. De toutes façons, nos missions nous amènent à être essentiellement sur le terrain. Notre travail s’adapte en fonction des marées, de la météo et des fructifications des palétuviers qui arrivent deux fois par an. 

Depuis le mois de janvier, par exemple, nous travaillons avec un type d’espèce. Nous ramassons les fruits dans les palétuviers et les mangroves pour les mettre en pépinière. Cette partie est bientôt terminée et nous recommencerons en milieu d’année avec un autre type d’espèce. Entre temps, nous tournons sur nos différents sites et nous nous occupons de l’entretien.

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Zonz de Tina APRÈS : il ne faut jamais abandonner… © NeOcean

C’est du travail continu ! Le matin et/ou le soir, je m’occupe de l’administratif et de la communication depuis mon domicile, pendant environ une heure ou deux. Au total, nous sommes cinq personnes mais lorsque nous avons des gros chantiers, nous mutualisons les efforts avec Caledoclean. Sur certaines actions, certains bénévoles viennent nous aider et quand nous sommes débordés nous lançons un « SOS » via notre page Facebook pour mobiliser des ressources humaines en plus.

En ce qui concerne l’aspect financier, nous sommes aidés par la province Sud qui suit notre travail depuis longtemps sur la partie environnement. Au niveau des autres institutions, nous avons une aide de la ville du Mont-Dore, car une partie de notre travail est sur cette commune. En revanche, la ville de Nouméa ne nous donne rien du tout… 

Malheureusement, nous avons perdu beaucoup de soutien en cours de route. Auparavant, le Gouvernement finançait toute la partie sociale de nos missions, c’est-à-dire le travail des garçons, mais à ce jour ce n’est plus le cas même si nous avons eu une petite subvention en fin d’année 2023. Heureusement que nous pouvons compter sur nos sponsors, qui nous suivent depuis plusieurs années et que nous ne manquons jamais de remercier tant ils sont essentiels !

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Difficile de ne pas réaliser à quel point l’érosion côtière est forte ici ! 5 mètres de plage en moins ! © NeOcean

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Quelles sont les missions et tes engagements de cette asso ? Quelles sont les actions que vous entreprenez ? 

Nous avons une grosse mission de surveillance autour des mangroves urbaines et périurbaines. Nous nous assurons que les sites ne soient pas pollués. Parce que la triste réalité c’est que ça arrive encore… Les gens dégradent, coupent ou détruisent… Nous faisons aussi de la prévention et de la sensibilisation. 

Nos missions sont principalement à Nouméa, Rivière Salée, Ouémo, Tina, et Ducos – ou d’ailleurs, la mangrove reprend et résiste malgré les verses de scories de nickel ! On aimerait bien être plus présents dans le nord mais on manque parfois de moyens et de ressources humaines. 

Pour replanter, nous avançons principalement sur des zones tests. Actuellement, nous en avons quatre. Il y a deux gros chantiers sur le Mont-Dore, à la pointe Babin et au niveau de la gendarmerie et nous travaillons avec deux classes de BTS du lycée depuis bientôt quatre ans. Nous sommes également en lien avec la maison de quartier Magenta Soleil, sur le site de Magenta plage. Et enfin, nous en avons un à l’embouchure de La Coulée où nous avons à peu près dix mille plants à mettre en place sur cinq ans ! Nous travaillons beaucoup avec CaledoClean sur cette dernière zone.

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Le golf de Tina au fond à gauche… © NeOcean

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Le nom “SOS MANGROVES NC” ne laisse planer autant doute ! La mangrove est en danger un peu partout dans le monde. Qu’en est-il en Nouvelle-Calédonie ? 

Disons qu’il y a quand même deux facettes. En brousse, hormis les sites de mines, les mangroves sont beaucoup moins impactées qu’à Nouméa, où les trois-quarts ont été remblayés. Les institutions ne prennent pas en compte cet écosystème… Il a quand même fallu que le lagon soit placé à l’UNESCO en 2008 pour que la mangrove soit reconnue comme un patrimoine à protéger ! 

Ça a eu l’avantage de mettre un coup de projecteur sur le lagon et son écosystème. C’est à partir de ce moment-là que nous avons pu élever la voix et que nous avons pu avancer. En 2007, quand nous avions démarré, tout le monde s’en fichait, il fallait remblayer… Il y a des zones magnifiques qui ont été détruites par l’urbanisme, comme ici ! Ça crève le cœur. Aujourd’hui quand il y a des chantiers il y a quand même des enquêtes publiques. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est parfait mais il y a quand même une prise en compte qu’il n’y avait pas dans l’urbanisme des années 70-80 ! 

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Pourquoi est-ce si nécessaire de conserver et protéger cette mangrove ? Peux-tu nous expliquer son rôle dans l’écosystème maritime ET terrestre…

Piouu… Elle est si importante, surtout pour nous qui vivons sur une île ! 

« Quand tu es Européen et que tu arrives de métropole, tu te dis « la mangrove ? C’est quoi ce machin-là ? Il y a des moustiques, ça pue ». Ce sont souvent les réflexions que l’on me fait mais qui sont révélatrices de la méconnaissance et l’importance de cet écosystème. » 

Bon, il y a de la vase oui, c’est vrai, mais une mangrove en bonne santé ne sent pas et il n’y a pas de moustiques puisque l’eau est propre. Pour nous, la mangrove joue un rôle essentiel, c’est une vraie nurserie. Il y a plus de quatre cents espèces de poissons du lagon qui se reproduisent dedans, c’est énorme ! Certaines femelles requins se reproduisent dedans, on retrouve aussi des bébés murènes, de loches… C’est aussi une incroyable réserve pour toutes les espèces que l’on a ici, notamment pour les oiseaux ! 

On a également découvert que c’est un puit de carbone excessivement important. Donc plus on replante, plus on est gagnant. D’ailleurs, il faut savoir que quand une mangrove est arrachée, elle relâche le double de carbone par rapport à ce qu’il a capté. Il faut le savoir !

Enfin, et ce n’est pas une mince affaire, la mangrove est notre gardienne contre l’érosion des côtes. Ça se voit un peu partout : ici à Tina-Golf c’est un exemple type où nous avons replanté plus de 3000 jeunes palétuvierson a une plage qui a été grignoté par l’érosion et la montée des eaux. Sans la mangrove, ce processus s’accélère et il est difficilement contrôlable.

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On entend souvent des plaintes vis-à-vis des déchets dans la mangrove… Comment contrer cette tendance ? Que pourrais-tu dire à une personne qui prend la mangrove pour une poubelle ?

Déjà, si je vois quelqu’un qui prend la mangrove pour une poubelle, je le prends en photographie ! Bien sûr, j’essaie de discuter avec lui pour lui expliquer que ce qu’il fait n’est pas bien mais si ça ne fonctionne pas, j’appelle les gardes nature ! En tant qu’association, nous ne sommes pas assermentés pour faire la police donc j’essaie d’y aller en douceur. Mais si la personne le prend mal, elle se débrouillera avec les institutions. Nous optons toujours pour le dialogue dans un premier temps ; quand les gens sont obtus, je n’y vais pas par quatre chemins. 

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Une jolie pépinière ! © NeOcean

Ces dernières années, les gens sont quand même plus attentifs, mais quand on a démarré, c’était normal de polluer les sites de mangroves. Aujourd’hui il y a eu un travail de la part des institutions et nous faisons beaucoup de sensibilisation auprès des scolaires et du tout public.

Le point le plus important, c’est la communication. Nous communiquons énormément via notre page Facebook. Maintenant, nous avons aussi des gens qui nous préviennent lorsqu’ils tombent sur des spots pollués. On voit que les gens commencent à réagir et à tilter.

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D’où te vient cette passion pour l’environnement et ton engagement pour le protéger ? 

J’ai toujours été proche de l’environnement. À l’époque, j’étais en activité professionnelle donc j’avais moins de temps pour m’investir mais j’ai toujours été proche de la nature. Avec les années, ça s’est accentué. Avant SOS MANGROVES NC, dans les années 70, j’étais investie dans l’association de la SCO. J’ai participé à la mise en place des cagous au parc forestier et à la Rivière Bleue. Je me suis investie dans cette association pendant une dizaine d’années et ensuite j’étais dans l’association avec laquelle on a démarré le travail autour des mangroves. Avec le recul, on voit que le travail abattu est énorme, comme à Rivière Salée.

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On nous a dit un jour « si vous voulez protéger le lagon, plantez un arbre ». Un dernier mot pour terminer notre échange ? 

Eh bien, pour sauver notre lagon et notre environnement, plantez des palétuviers ! À notre échelle, c’est tout ce que l’on peut faire, mais on met le paquet. Nous en avons déjà pas mal replanté à Nouméa et dans les alentours, mais il faut continuer. C’est le seul geste que l’on peut faire, mais ça aide ! 

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