C’est entre deux rendez-vous que Jérémie Katidjo Monnier, membre du gouvernement en charge du Parc Naturel de Corail (PNMC), nous accueille dans son cabinet, accompagné de son nouveau conseiller, Théo Miloche. Arrivé au gouvernement il y a quelques semaines en remplacement de Joseph Manauté, Jérémie nous confie d’office qu’il n’est pas souvent dans son bureau, qu’il juge encore « un poil impersonnel ». C’est la contrepartie à payer pour faire ce qu’il aime : se déplacer sur le terrain, partir à la rencontre des autres, échanger et prendre des décisions communes pour l’avenir des Calédoniens.
En charge de la gestion du PNMC, des questions relatives à la transition écologique et au développement durable mais aussi de la transition alimentaire et de la politique de l’eau, ses journées défilent à cent à l’heure. Sensible aux arts, amoureux de la mer et de sa Calédonie natale, il nous raconte ce qui l’a poussé à s’engager en politique. De l’UNC à Paris, d’architecte à membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, cet « enfant du pays » partage ses aspirations et ses espoirs pour les Calédoniens à travers une vision inspirante et optimiste.
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Bonjour Jérémie et bienvenue sur NeOcean. Pour briser un peu la glace, pour ou contre les requins dans le lagon ?
Bonjour NeOcean et merci à vous de venir à ma rencontre ! Concernant la crise requin, la situation est complexe. L’océan fait partie intégrante de la vie des Calédoniens et des habitants de la ville de Nouméa. Cette mer est vivante ; il faut la protéger, elle et les espèces qui s’y trouvent.
Pourtant, nous sommes arrivés dans une situation abracadabrantesque où les habitants sont privés d’accès aux plages. Les commerçants, hôteliers et restaurateurs sont aussi impactés par cette mesure. Cependant, il me semble que des solutions intermédiaires existent et nous en avons quelques exemples chez nos voisins australiens. La Mairie travaille pour mettre en place des filets définitifs en fin d’année ; pourquoi ne pas envisager des filets provisoires ? D’autres solutions pourraient aussi voir le jour : des drum lines pourraient être installées pour maintenir éloignés les requins de nos baies et les maîtres-nageurs pourraient être équipés de drones pour surveiller depuis le ciel. Tous ces moyens peuvent s’organiser facilement et ils sont finalement peu coûteux face au drame humain que représente une attaque de requin.
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Tu as remplacé Joseph Manauté il y a peu de temps au gouvernement. Comment en es-tu arrivé là ?
Je suis un enfant du pays. En effet, j’ai grandi à Logicoop et je suis allé au collège de Rivière Salée. Puis j’ai suivi un cursus « classique » : lycée Lapérouse, puis licence de finance à Paris Dauphine. Au-delà de mes études, j’ai toujours voulu améliorer ma ville pour qu’elle s’intègre mieux dans son environnement social et naturel. L’architecture me paraissait une manière d’exprimer cette sensibilité tout en contribuant à construire une ville plus durable. Ainsi, j’ai décidé de bifurquer vers un cursus d’architecture à Paris après ma licence. Une fois diplômé et de retour à Nouméa, j’ai été recruté comme chef de service des monuments historiques à la Province Sud.
Mon ambition de m’engager pour une ville plus durable était toujours très présente. C’est pourquoi j’ai décidé de me présenter aux élections municipales de 2020. C’était l’occasion de croiser mes compétences d’architecte et de les mettre au service de ma ville. Quand Joseph est parti, les choses se sont accélérées : j’ai pu saisir l’opportunité d’entrer au gouvernement afin de travailler à une échelle plus large et davantage tournée vers la transition écologique et la protection de l’environnement. Ce qui est vraiment notoire en Calédonie, c’est la possibilité de s’engager jeune pour faire bouger les choses, notamment en politique. Le gouvernement est constitué de plusieurs membres de moins de quarante ans. Cela signifie bien que la place est donnée aux nouvelles générations qui ont un rôle déterminant à jouer pour l’avenir du territoire.
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Quel est le périmètre de tes fonctions aujourd’hui ? Comment te positionnes-tu par rapport à l’héritage de Joseph ?
Lors de son mandat, Joseph a détaillé toutes les facettes et dimensions des problématiques liées à la transition écologique notamment par le volet climatique et celui de la transition alimentaire. Je travaille aussi à la gestion du Parc Naturel de la Mer de Corail (PNMC), sa valorisation et sa protection. D’autres dossiers concernent l’approvisionnement en eau de la Nouvelle-Calédonie. Dans tous les cas, je me place dans la continuité de Joseph, je reprends ses dossiers au fur et à mesure et j’applique sa vision.
Par exemple, la question de la transition alimentaire est cruciale pour les Calédoniens et pour le gouvernement. C’est en accompagnant la souveraineté alimentaire que nous serons en mesure d’assurer la sécurité de la population. Les agriculteurs jouent un rôle essentiel et nous travaillons en concertation avec eux pour mettre en place cette transition alimentaire.
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Tu as un portefeuille relativement assez large ! Ton titre officiel est « Membre du gouvernement en charge du développement durable, de l’environnement et de la transition écologique, de la gestion et valorisation du PNMC, du plan d’atténuation et d’adaptation aux effets du changement climatique, de la politique de l’eau et de la transition alimentaire ». Ça en fait des responsabilités : c’est quoi une « journée type » au sein de votre cabinet ?
J’ai pris mes fonctions il y a tout juste quatre mois. Pour le moment, je ne peux pas dire qu’il y ait une journée type ! J’ai dû prendre en main la gestion du budget tout en organisant des déplacements internationaux pour la gestion du PNMC.
Ainsi, je me suis déplacé en Australie il y a quelques semaines pour présenter l’ambition du gouvernement pour le Parc. Mon premier objectif est d’aller sur le terrain pour accompagner le changement. C’est la partie que je préfère : rencontrer les gens pour élaborer des stratégies communes face aux enjeux écologiques actuels.
Je me rends aussi un peu partout sur la Grande Terre : je peux faire une journée à Pouembout pour étudier un barrage dans le Nord et le lendemain être dans la médiathèque de la Vallée du Tir pour participer à un atelier de sensibilisation des jeunes ! Aujourd’hui je réalise une interview pour NeOcean et demain j’aborderai des dossiers concernant la gestion des déchets… Mes missions sont si variées que je ne peux définitivement pas affirmer qu’il y ait une journée type ! Et cela m’enchante !
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Tu dis te « déplacer » pour le PNMC : quelles sont les actions que tu mènes le concernant ?
Le Parc ne se déplace pas donc je me déplace pour lui ! Je représente ses intérêts à l’international, d’autant plus que de grands enjeux pèsent aujourd’hui sur les aires marines protégées. À ce titre, nous avons participé au Congrès IMPAC5 à Vancouver en février dernier. C’est un congrès international à propos des Aires Marines Protégées. Il réunit environ trois mille gestionnaires, associations, populations autochtones et des personnalités politiques autour de la problématique commune de la protection des aires marines protégées. Pour la Nouvelle-Calédonie, conformément à la déclaration de politique générale, l’ambition affichée est de faire du Parc un étendard de la biodiversité. À terme, il doit devenir notre ambassadeur.
Ce type d’événements est l’occasion pour nous de nous enrichir des pratiques étrangères afin d’améliorer notre propre gestion de la région. Nous favorisons les échanges de pratiques et nous nous efforçons de les mettre en place. La quasi-totalité de notre ZEE – zone économique exclusive – est protégée ! C’est une belle reconnaissance pour nous.
Notre objectif commun, inscrit dans la COP 15, c’est le « 30/30 », c’est-à-dire de parvenir à 30 % de surface protégées partout dans le monde d’ici 2030. Nous avons d’autres objectifs tous aussi ambitieux en partenariat avec l’Office français de la biodiversité comme celui de porter l’objectif de protection forte de la réserve naturelle à 10 % de la surface du Parc naturel de la mer de Corail. Ainsi, nous passerions à un niveau de protection maximale sur 130 000 kilomètres carrés !
Grâce à notre coopération internationale, des espaces sanctuaires se créent petit à petit dans les océans. Au début, chaque pays protégeait sa zone. Maintenant, nous mutualisons nos moyens et nos techniques. Ainsi, la prochaine étape pour la Nouvelle-Calédonie serait de nous connecter au Parc australien, limitrophe du nôtre. Les congrès internationaux constituent une occasion de rencontrer les partenaires et de futurs investisseurs.
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On parle beaucoup de moratoire ici en Calédonie et un peu partout dans le monde. Quel est le regard que tu portes sur la décision qui a été prise en Nouvelle-Calédonie et quelles sont les principales conséquences pour le pays ?
Le projet de loi de pays sur le moratoire est en cours de finalisation. Elle va passer en séance de gouvernement très prochainement. Ensuite, elle passera au congrès. D’ici la fin du semestre ou au suivant, elle sera votée en assemblée avant d’être mise en place.
L’idée du moratoire est très simple. On ne connait pas aujourd’hui l’impact réel de l’industrie minière dans les océans. Exploiter le Parc à une échelle industrielle signifie que nous prenons le risque de détruire des écosystèmes fragiles que nous n’avons pas encore découverts. C’est la raison pour laquelle il est préférable d’attendre au moins dix ans avant d’envisager toute exploitation.
En parallèle, nous voulons laisser la possibilité de poursuivre la recherche scientifique. Nos fonds marins recèlent d’une géo-diversité exceptionnelle, notamment au niveau de la faille partagée avec le Vanuatu. La Calédonie est vraiment l’un des hotspots de biodiversité et de géo-diversité et nous devons valoriser cette richesse en menant une recherche scientifique responsable.
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Pour occuper de telles responsabilités, tu dois avoir un rapport particulier à l’océan et à l’environnement ! Peux-tu nous en dire plus ?
Pour ma part, j’ai eu la chance d’habiter près de la baie des Citrons pendant un moment. Tous les matins, je partais sur ma planche de paddle de la plage de la BD à l’île aux Canards. C’est une véritable chance quand on a passé dix ans à Paris. Le contraste est saisissant et je me sens très chanceux ! Je redécouvre aussi mon pays et le lagon par la pratique du « paddle touring », c’est-à-dire le paddle de balade, en mode loisir. Prendre soin de la mer est un leitmotiv pour moi, je me suis engagé en politique pour tous ces aspects.
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Laissons le membre du gouvernement chargé du PNMC de côté : quels sont tes loisirs en dehors de tes journées bien chargées ?
En plus du paddle vous voulez dire ? C’est assez varié ! J’ai été au conservatoire de Nouvelle-Calédonie pendant presque dix ans. Je suis sensible à la musique, qu’elle soit classique ou plus urbaine. J’aime beaucoup les musiques électroniques et j’ai même fait partie de l’association Kosmopolite sur le Caillou. J’ai profité d’être à Paris pour découvrir des concerts auxquels on n’a pas toujours accès ici. Malgré tout, nous avons une programmation de qualité à l’auditorium et de plus en plus éclectique !
Je suis aussi sensible à la peinture, notamment les peintres calédoniens du milieu du XXème siècle qui ont un trait et une touche de lumière très particuliers. Ils créent des atmosphères qui sont parfois vraiment étranges, totalement idéalisées mais qui portent toujours un autre regard sur la Calédonie, différent du cliché de la carte postale et des lagons turquoise. Enfin, comme tout le monde, je profite de mon temps libre pour aller voir ma famille à Nouméa et en brousse.
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En tant que citoyen, comment préserve-t-on le lagon et ses richesses naturelles ?
C’est une vraie question ! Il y a des gestes simples que tous les Calédoniens peuvent faire facilement. Ça commence par ramener ses déchets quand on part en mer, ne pas marcher sur les coraux, ne pas ramasser des coquillages sur les plages… Ces gestes ne s’arrêtent pas seulement à nos activités en mer. Il faut prendre conscience que nos pollutions, engendrées sur terre, ont un impact immédiat sur l’océan. Par exemple, les surplus d’engrais ou de produits phytosanitaires se retrouvent dans nos cours d’eau qui se jettent dans l’océan. Les eaux douces et les eaux de mer se retrouvent contaminées par des activités terrestres… Nous pouvons tous collectivement éviter cela !
Par ailleurs, nous devons aussi éviter d’utiliser des emballages uniques. Avoir une petite gourde sur soi, c’est pratique. Finalement, ce sont ces petits gestes simples du quotidien qui peuvent tout changer. Nous possédons une diversité d’associations calédoniennes très dynamiques sur le plan environnemental. Elles tissent le lien entre les Calédoniens et les institutions. C’est notre rôle de les soutenir. Je peux en citer quelques-unes comme Sea Shepherd, WWF, EPLP. Elles utilisent des approches différentes mais défendent des causes communes. Clairement, nous pouvons tous défendre notre diversité en donnant un peu de notre temps avec les moyens à notre disposition.
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Une dernière actu ou un dernier mot à partager avec nos lecteurs ?
L’année prochaine, nous fêterons les dix ans du PNMC. Nous y travaillons pour vous proposer de belles surprises. En attendant, il y a une belle exposition à découvrir sur notre Parc en haute mer au MK2. Nos actions de sensibilisation auprès des scolaires et cette exposition sont des moyens d’intégrer le Parc au sein de la ville.
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