Scientifique, communicante et super pédagogue, Anne Lataste nous a reçus dans le nouveau QG de l’Observatoire de l’environnement pour nous parler, justement, de l’état de l’environnement. Être responsable communication scientifique de l’OEIL Nouvelle-Calédonie, c’est avant tout avoir une passion pour les sciences du vivant. C’est aussi posséder une solide expérience de la communication, où le credo « du bon message au bon public » est comme une deuxième peau. En mixant les deux, vous obtenez une super traductrice de l’état des milieux naturels en Nouvelle-Calédonie : Anne ! Sa couleur préférée est le bleu et pour sauver les milieux marins, elle cultive son jardin… Lisez toute son interview pour découvrir ses missions, ses aspirations et… son super conseil pour protéger l’océan !
Bonjour Anne et bienvenue sur NeOcean. Alors, on a l’iris aiguisé chez l’ŒIL ?
Salut NeOcean, je vais vous répondre en bonne scientifique que je suis puisque c’est notre background à tous à l’OEIL. Le gros de notre travail se situe plutôt au niveau de la rétine. En effet, elle est le centre intégrateur de l’information visuelle. C’est elle qui va traiter l’ensemble des données pour permettre au cerveau de les interpréter. L’Observatoire de l’environnement fait cette même action avec de la donnée environnementale.
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Trêves de plaisanteries, tu travailles à l’Observatoire de l’environnement en Nouvelle-Calédonie. Peux-tu expliquer à nos lecteurs l’histoire de cette association et sa raison d’être sur le territoire ?
L’OEIL est né en 2009, nous avons un statut loi 1901 mais nous avons un fonctionnement un peu différent qu’une association « classique ». Les membres de l’OEIL sont des structures, des personnes morales. C’est une structure scientifique, neutre, non partisane. Elle est née pour répondre aux inquiétudes des habitants du Grand Sud face à l’implantation d’un complexe industriel et minier d’extraction et de transformation du nickel et du cobalt à Goro.
À la base, la création s’est faite par l’impulsion de la province Sud, qui s’est appuyée sur l’expertise de la communauté scientifique locale et des acteurs de l’environnement. La demande de la population a été prise en main par l’administration qui s’est appuyée sur tous les experts de l’écosystème environnemental pour construire les bases d’un observatoire.
Notre mission est de surveiller l’environnement et de dire dans quel état il se trouve. Pour cela, nous avons besoin de toutes les informations disponibles. L’OEIL travaille donc sur tous les milieux ! C’est difficile de mettre des frontières environnementales… Un arbre coupé en haut d’une montagne aura un impact, à un moment ou à un autre, sur le lagon.
Pour autant, nos études suivent une organisation par milieu : le milieu terrestre, des eaux douces (de surface, souterraines, dynamiques, lentiques…) et le milieu marin.
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Quels sont les projets « mer » sur lesquels travaille l’OEIL ? Sur quelles zones travaillez-vous spécifiquement et pourquoi ?
Il faut comprendre que quand on s’adresse à nous, on nous demande d’établir un état de l’environnement – dans le Grand Sud par exemple. C’est une question très large ! Pour réaliser ce diagnostic, nous avons besoin de définir et étudier les milieux naturels, d’utiliser des outils et des indicateurs environnementaux. Pourtant, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait très peu d’indicateurs adaptés aux spécificités des écosystèmes locaux. Depuis notre création, l’OEIL a pu contribuer, impulser, coordonner la création ou l’adaptation d’indicateurs spécifiques à la Calédonie, notamment dans le domaine des eaux douces. Tout ça va concourir à nous aider à répondre à la question de base.
Nous avons des projets spécifiquement mer. Tout d’abord, nous réalisons des bilans environnementaux Grand Sud et de Thio, incluant des suivis spécifiques pour les baies Kwë et de Port Boisé et le programme de suivi participatif Acropora, qui s’inscrit dans le cadre du RORC. Par ailleurs, nous avons un projet lauréat de SOS Corail, qui s’appelle STALIS (Suivi des panaches Turbides À L’origine d’Impact sur les récifs frangeantS). Un panache turbide représente les déversements de sédiments créant des eaux troubles à la sortie d’un fleuve par exemple. Nous voudrions donc aller étudier ce phénomène à Thio, ce qui devrait plaire à Sandrine Job, qui nous le réclame depuis des années ! En effet, nous voulons mesurer les impacts de ces déversements sur les récifs coralliens. Mais nous cherchons des financements ! SOS Corail est une plateforme de financements participatifs donc n’hésitez pas à nous soutenir !
Nous avons aussi d’autres projets, notamment l’Atlas de la Biodiversité Communale (ABC) sur la Côte Oubliée, à Thio et Yaté. Nous commençons à partir de la fin de l’année et nous avons trois ans pour dresser cet inventaire de la biodiversité, sur tous les milieux. Enfin, nous avons un dernier gros projet : nous nous sommes proposés de participer au projet « récifs résilients » pour contribuer à la construction d’une stratégie de suivi de tous les écosystèmes marins à l’échelle du pays.
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Quel est ton rôle au sein de l’OEIL ? Raconte-nous ton parcours pour arriver à ce poste ?
Je suis responsable du pôle communication scientifique. J’ai une formation d’ingénieure agronome, c’est-à-dire d’ingénieure du vivant. Je me suis spécialisée en marketing, communication, commercialisation. À l’issue de ces études, j’ai passé dix ans dans la filière viticole, à promouvoir les produits de la vigne. Puis, je suis « rentrée » en Nouvelle-Calédonie, car c’est ici que j’ai grandi, principalement, et j’ai eu envie de changer de domaine.
L’OEIL m’a permis de renouer avec ma formation scientifique qui me manquait un peu dans mes précédents postes. Ma fonction actuelle est finalement une synthèse de mon côté scientifique et de mon côté communication.
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Comment faire pour « rendre accessible à tous les résultats des travaux de suivi environnemental » ?
J’endors les gens et quand ils sont le plus faibles, je leur balance les résultats ! Je rigole bien sûr ! À l’OEIL, nous produisons des gros rapports techniques, des lots de données ou des cartes de valorisation des données. En face de nous, nous avons un public très diversifié, avec des habitudes d’information très différentes. Il y a ceux qui vont lire le journal, ceux qui vont écouter la radio, s’informer via les réseaux sociaux ou le web, ceux qui vont sur des événements dédiés… Nous devons donc être partout ! Généralement ce qui intéresse le public est la méthodologie. En effet, les résultats bruts ne sont rien si derrière nous ne pouvons pas expliquer notre démarche scientifique. Aujourd’hui, nous avons donc pris l’habitude de passer par cette étape. Le gros de mon travail consiste à reprendre la méthodologie pour être capable de l’expliquer et comprendre les résultats afin d’être capable de les restituer.
Un jour, un scientifique du Caillou m’a dit : « à force de vouloir vulgariser, on en devient vulgaire ! ». Et je le remercie de m’avoir dit ça ! Sérieusement, j’ai compris ce qu’il voulait dire. Si mon rôle est de vulgariser, simplifier et rendre accessible, il faut faire attention à ne pas le faire à outrance. Sans le vouloir, c’est aussi un moyen de dire totalement autre chose que ce qui est dit initialement. C’est notre rôle aussi : on part d’une donnée complexe, on regarde où les gens prennent l’information et on adapte en fonction du support de communication.
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Vous êtes une association loi 1901. Quels sont vos partenaires privilégiés pour la conduite de ces actions ? Lesquels cherchez-vous à toucher ?
On cherche à toucher tout le monde ! Enfin… nous cherchons surtout à répondre à un besoin d’information. De ce fait, quiconque s’interroge sur l’environnement doit pouvoir trouver une réponse totale – ou partielle – auprès de l’OEIL. Depuis quatorze ans, l’Observatoire essaie de s’inscrire au sein du tissu de tous les acteurs de l’environnement. Dans cet écosystème, l’OEIL a des membres, des publics, des prestataires, des partenaires.
Nous avons une Assemblée générale de vingt-cinq membres, qui sont des partenaires privilégiés. Mais nous avons des partenaires qui ne sont pas membres et avec qui on travaille de manière quotidienne. Nous sommes toujours dans une démarche d’échange. Il y a aussi des gens qui ne font pas partie de l’équipe salariée de l’OEIL et qui pourtant, font partie de la famille ! On est plutôt du genre loyal ici !
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Pourquoi est-ce important pour toi de protéger notre beau lagon ? Comment s’engager au quotidien ?
En s’engageant dans une association, justement ! On a tous une responsabilité, une personnalité et une façon d’envisager son engagement. Il y a des gens militants, combatifs, des gens qui ont envie d’aller au front… Et d’autres qui sont dans l’action de l’ombre, qui font leur petit colibri face à la forêt en feu…
Ici, en Calédonie, le tissu associatif est extraordinairement riche ! Il y en a forcément une à côté de chez soi, qui défend la cause qui vous tient à cœur de la manière qui vous correspond ! Voilà ce que je peux conseiller, les associations ont besoin d’énergie, d’idées, de sang neuf, de renouvellement, tout autant que de stabilité. Elles sont le socle qui fait avancer les choses. Et le théâtre de belles rencontres.
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Quel est ton lien à l’océan ? As-tu des passions et des loisirs qui tournent autour du lagon ?
Je ne suis pas née en Calédonie et l’océan de mon enfance, c’est l’océan Atlantique, sur le bassin d’Arcachon. J’y ai appris à comprendre les courants, les passes, les baïnes, les grosses vagues… On n’avait pas tellement ce degré de conscience environnementale à l’époque mais l’océan a toujours fait partie de ma vie. Je le connais, je m’y sens bien. C’est obligatoire de créer un lien avec l’océan qui te voit grandir, c’est un lien intime. Pour vous dire, j’avais des conversations avec lui, il me semblait qu’il m’écoutait et répondait à mes demandes ! J’ai eu mon permis bateau avant mon permis voiture.
Je suis arrivée à l’âge de 8 ans ici. Mon premier souvenir de lagon n’est pourtant pas celui de Calédonie mais celui de l’île Maurice, quand j’avais 6 ans… J’étais fascinée par les couleurs de l’eau notamment ce magnifique turquoise ! Mon père m’avait dit : « regarde bien ce bleu ma fille, tu n’en verras plus des comme ça avant très longtemps » ! C’était sans compter sa mutation en Nouvelle-Calédonie, un an plus tard !
D’abord il y a eu le lien avec l’élément océanique et après la fascination pour les camaïeux. Quelle que soit la nuance de bleu, j’adore ! J’ai pratiqué le PMT, la plongée, je nage beaucoup, j’aime faire des week-ends îlot seulement à la condition que tout le monde gère toute la logistique de A à Z. J’ai été très portée sur les activités maritimes mais je reste très terrestre. Petite j’ai essayé la voile, ça a été une catastrophe : je ne comprends pas le vent ! C’est comme ça que je suis devenue cavalière ! Aujourd’hui je préfère cultiver mon jardin plutôt que de partir en week-end îlot.
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Une dernière actu ou un dernier mot pour nos lecteurs ?
Rendez-vous à la restitution publique du projet POLLUX le 24 août à 14h, au CAPS. Ce n’est pas en déconnexion avec le milieu marin puisque la pollution lumineuse a un impact aussi sur les écosystèmes côtiers ! Synchronisation de la ponte des coraux, comportement des animaux marins, croissance des algues et des herbiers, état de la mangrove, etc. C’est vraiment l’occasion d’avoir une vraie explication des impacts et d’avoir des recommandations.
Pour le mot de la fin : si vous aimez la mer, plantez des arbres !
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