Il y a des parcours qui ressemblent à des marées, parfois calmes, parfois agités, mais toujours portés par une force invisible, celle de la passion. Celui de Régis Bador en est un bel exemple. De l’Ifremer à la création de son entreprise Innov’Aquaculture en Nouvelle-Calédonie, en passant par Tahiti et l’aquaculture à l’international, il a accompagné, conseillé et aidé à structurer un secteur dont il connaît les moindres recoins.

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De la Polynésie à l’Amérique latine

Tout commence à l’Ifremer dans les années 80. À cette époque, Régis participe à ce qui deviendra l’un des socles de l’aquaculture moderne en France. Il s’envole rapidement pour Tahiti où il rejoint l’équipe AQUACOP, une initiative ambitieuse de recherche sur la crevetticulture tropicale. Là-bas, il travaillera notamment à la mise en place et à l’optimisation des process d’écloseries et au développement de l’élevage de la crevette bleue. 

« C’était une période très intense. », Régis, intensément nostalgique. 

Les infrastructures sont encore rudimentaires et tout est à construire mais l’énergie du projet fédère les équipes et les pousse à innover ensemble. Avec AQUACOP, il participe notamment à la formation des premières générations d’aquaculteurs polynésiens et pose également les bases de ce qui deviendra, pour la Nouvelle-Calédonie, une filière d’exportation majeure à la reconnaissance mondiale. Neuf années qui s’écoulent ainsi à l’Ifremer au cœur des filières de développement, avec des déplacements et visites internationales, en Colombie et au Mexique parmi d’autres destinations. 

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Le passage au privé, et une rencontre inoubliable

Après sa mission au Mexique, Régis envisage un retour à Tahiti, son port d’attache professionnel et affectif. Mais l’Ifremer lui annonce que son poste a été pourvu en son absence. On lui propose un reclassement… à Brest, sur les moules.

« Les moules, c’est pas ma passion » – Régis, fidèle aux crevettes 

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Aucune infidélité à la crevette ! © Innov’Aquaculture

Il décline poliment l’offre et démissionne. Le hasard, ou peut-être le destin, s’en mêle alors. Sa femme colombienne et lui décident de passer les fêtes de fin d’année en Colombie, le temps de “réfléchir à la suite”. Et c’est à l’aéroport, en attendant leurs valises, que la suite va s’écrire plus vite que prévue. Sa femme reconnaît un visage dans la foule, celui de Don Roberto, qui n’est autre que le frère du gérant d’une ferme de crevettes dans laquelle Régis avait travaillé. Après quelques échanges sur sa situation profesionnelle, Don Roberto lui confie qu’ils cherchent justement un directeur pour reprendre les rênes du site. Le lendemain, Régis se rend sur place, rencontre l’équipe, et embrasse ce nouveau challenge. Il découvre alors le secteur privé puis prend la direction de plusieurs fermes de crevettes en Colombie, puis à Madagascar, tout en menant des missions de consultant dans divers pays d’Amérique latine. Un tournant professionnel né d’un hasard de hall d’aéroport.

Et puis juste avant la fin du siècle, un homme d’affaires calédonien intrépide, Philippe Pentecost, rachete la ferme SODACAL de Moindou, le plus grande de Nouvelle-Calédonie, alors en cessation de paiement. Il sent l’opportunité mais n’y connait pas grand-chose en crevettes bleues et décroche alors son téléphone pour contacter un ami qui se trouve être l’ancien mentor de Régis, celui-là même qui l’avait recruté à Tahiti en 1983. Vous imaginez déjà la suite… Suite à ce coup de fil, Régis embarque toute sa famille et débarque en Calédonie où il récupère les clés de la ferme et un plan de remboursement à respecter scrupuleusement. Onze ans plus tard, tous les engagements ont été tenus, toutes les dettes remboursées et Régis est tombé amoureux du Caillou…

Ensuite… “c’était devenu un peu la routine, il faut bien l’admettre”. Régis quitte alors le groupe après plus de dix ans de bons et loyaux services pour créer sa société en 2012. L’idée d’alors, c’est de chercher (et de trouver) des technologies innovantes pour mieux produire et mieux comprendre ce qui se passe dans une ferme aquacole. Régis en fait son métier à temps complet. 

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Innov’Aquaculture, le virage suivant

Après des années à faire le tour du monde de la crevette, Régis décide donc de passer à une autre échelle avec Innov’Aquaculture. Il crée sa propre structure avec une volonté d’accompagner l’innovation dans l’élevage aquacole et proposer un appui technique et stratégique aux fermes et écloseries du territoire. Et à celles du monde entier… 

Aujourd’hui, son rôle dépasse la simple expertise. Il met en réseau les acteurs et tente de remettre du dialogue dans un secteur parfois fragmenté. Car Régis est convaincu que l’aquaculture ne progressera qu’en travaillant main dans la main. Ces dernières années, il a multiplié les missions : accompagnement de jeunes entreprises, appui à la relance d’écloseries, audits techniques, formations,… Il initie aussi des voyages d’étude, comme celui qu’il prépare actuellement pour l’Équateur afin d’aller observer de près des pratiques inspirantes mises en place par des écloseries locales, dans le plus gros exportateur mondial de crevettes.

« Pendant longtemps, les structures se regardaient en chiens de faïence. Aujourd’hui, elles se parlent davantage. Il y a un espoir. » – Régis, un optimiste à tout point de vue

Il reste lucide sur les défis à relever : relancer la production, réduire l’empreinte écologique des élevages, repenser l’alimentation des crevettes en abandonnant progressivement les farines de poisson sauvage, au profit de solutions plus durables, comme les farines d’insectes. Sur ce point, il reste confiant et garde foi dans le collectif.

« On sait où on doit aller. Il faut juste que tout le monde rame dans le même sens. » – Régis, ramant avec optimisme

Innov’Aquaculture n’est pas qu’une entreprise, c’est une conviction mise en action. Et pour Régis, c’est aussi une manière de transmettre (notamment à sa fille) : transmettre un savoir, une vision, et une passion pour une aquaculture à la fois performante, responsable et durable.

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Régis trace sa route vers l’optimisme © Innov’Aquaculture

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Une passion sans fin

Aujourd’hui, Régis n’a rien perdu de sa curiosité ni de son envie de faire avancer les choses. À travers Innov’Aquaculture, il continue de sillonner les fermes, de répondre aux appels, de partager son expertise avec rigueur et générosité. Ce qui l’anime, c’est la transmission, le progrès et, peut-être, surtout, l’idée que l’aquaculture calédonienne peut (et doit) faire mieux.

Dans ce secteur mouvant, où les certitudes d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui, il incarne une mémoire vive. Celle d’un homme qui a vu naître l’aquaculture calédonienne, qui en connaît les failles mais aussi les potentiels et qui croit encore à ce pilier de l’économie calédonienne. Car pour Régis, chaque étape n’est qu’un nouveau départ. Et tant qu’il y aura des crevettes à élever et des idées à tester, il restera dans leur sillage.

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