A nos lecteurs amoureux de l’Océan, ne passez pas à côté de cette interview ! Rencontrer Mohsen Kayal, c’est partir à la découverte des fonds marins et de l’exceptionnelle biodiversité présente dans notre lagon. Chercheur biologiste à l’IRD, Mohsen se spécialise dans la biologie des communautés d’espèces marines afin de mieux comprendre les liens qui existent entre les écosystèmes et l’environnement dans lequel ils évoluent. Blanchissement des coraux, préservation du lagon et missions scientifiques : embarquez dans cette discussion passionnelle avec un passionné.

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Bonjour Mohsen et bienvenu sur NeOcean ! Pour débuter notre échange, peux-tu te présenter à nos lecteurs et leur résumer ton parcours ?

Bonjour NeOcean, je m’appelle Mohsen Kayal et je suis chercheur biologiste marin à l’Institut de recherche pour le développement. Mon travail au quotidien, c’est l’océan ! Ou du moins la partie qui entoure les côtes tropicales. Je travaille notamment sur les problématiques liées à la gestion des écosystèmes marins côtiers avec des approches de biologie des populations et des communautés d’espèces.

Mon parcours scolaire fût bien long et, en tant que chercheur, il ne s’arrête jamais réellement. Pour mes études et mes recherches, j’ai été amené à habiter un peu partout dans le monde : en Métropole, au Canada, à Singapour, en Polynésie française, aux Etats-Unis et bien sûr en Nouvelle-Calédonie ! En parlant de recherches, nous avons différentes études en cours sur le fonctionnement du système côtier néocalédonien, telles que celles sur la « Naissance des coraux » et la « Guerre des coraux » qui ont été publiées il y a peu. Ces travaux nous permettent d’observer et analyser comment les performances des coraux sont affectées par les changements environnementaux. Voyager autant m’a permis de voir des écosystèmes marins sous différents angles et ainsi de mieux les comprendre. D’où mon profil et mon poste actuel !

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Tu travailles donc à l’Institut de Recherche et de Développement. Quel est ton rôle au sein de l’IRD ?

En tant que chercheur à l’IRD, je me spécialise dans la biologie des communautés d’espèces marines. Mon domaine d’observation s’étend des individus – tels que les coraux ou les poissons – jusqu’aux populations entières et même aux écosystèmes dans leur ensemble. Mon travail consiste à comprendre le lien entre le fonctionnement de ces écosystèmes et l’environnement dans lequel ils évoluent. Un environnement souvent altéré par la pêche, la pollution ou le changement climatique. Au sein de l’IRD, mon travail consiste à étudier les communautés marines, à comprendre leur fonctionnement et à fournir des informations précieuses pour guider leur gestion.

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La côte de Nouméa, vous reconnaissez l’îlot au loin ? © Mohsen Kayal

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Ton rapport à l’environnement semble particulièrement fort… Quelle est ta vision de l’évolution du lagon calédonien et de la santé des coraux ?

Les récifs coralliens de la Nouvelle-Calédonie bénéficient encore d’une relative préservation par rapport à de nombreux autres endroits, ce qui est plutôt positif. Cependant, cette situation ne doit pas nous faire perdre de vue les défis qui nous attendent. C’est pourquoi, au sein de l’IRD, nous avons entrepris des projets de diagnostics à larges échelles pour évaluer l’état des écosystèmes marins du Caillou. Ces observations nous permettront de déterminer si les populations parviennent à se maintenir dans le temps ou si elles sont en déclin.

Il est important de noter que les écosystèmes sont naturellement sujets à des perturbations telles que les cyclones ou les acanthasters – étoiles de mer – qui se nourrissent des coraux, et ce depuis toujours. Ainsi, il est normal d’observer des cas de déclin. Cependant, il est essentiel d’évaluer leurs impacts, à quelle échelle ils se produisent et si les écosystèmes parviennent à se régénérer de manière autonome.

Les scientifiques s’accordent sur le fait que la Nouvelle-Calédonie possède dans l’ensemble un système côtier résilient avec une forte capacité de résistance et de récupération face aux perturbations. Mais tous les écosystèmes ne sont pas soumis de la même manière aux différentes pressions et nos observations montrent qu’ils ne récupèrent pas tous à la même vitesse. Dans l’ensemble des océans, il y a quand même des écosystèmes qui ont encore la capacité de se régénérer, ce qui nous offre une lueur d’espoir.

Toutefois, il est indéniable que nous sommes confrontés à l’érosion de la biodiversité à l’échelle planétaire. Les impacts globaux du réchauffement climatique s’ajoutent aux pressions locales, ce qui rend les conséquences de plus en plus visibles : les écosystèmes se dégradent et des espèces disparaissent. Dans ces conditions, une fois qu’un écosystème meurt, il ne peut pas se régénérer rapidement. Et c’est pire au niveau des espèces qui s’éteignent, compte tenu du temps nécessaire pour qu’une nouvelle espèce apparaisse, s’établisse et peuple son milieu. Il faudra probablement des millions d’années et beaucoup de chance avant d’assister à l’émergence de nouveaux milieux de vie similaires à ceux en train de disparaître.

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Récemment, à Lifou, Maré, et encore d’autres lieux, on a constaté un blanchissement des coraux. Est-ce une menace pour le reste des récifs coraliens de la Calédonie ?

Mohsen
Blanchissement, un corail pas content © Mohsen Kayal

Effectivement, des épisodes de blanchissement se produisent et se répètent de plus en plus, dans le monde et en Nouvelle-Calédonie. Des collègues climatologues travaillent sur des modèles de projection afin de prédire ces blanchissements. Le fait est que nous ne sommes pas du tout partis vers un arrêt de ces épisodes… mais plutôt l’inverse à cause de l’augmentation des températures ! Les épisodes de chaleur vont devenir de plus en plus fréquents et intenses. Nous observons déjà dans nos suivis certaines espèces de coraux – les plus fragiles – disparaître petit à petit sur certains récifs. Le fait d’avoir des températures plus élevées supprime des zones où ces espèces pourraient se développer. 

C’est un fait : certaines espèces de coraux, présentes dans des habitats peu profonds, où la température est plus élevée et les indices UV plus forts, sont mortes. Cependant, les coraux tentent tout de même de s’adapter : ils migrent ! En effet, on les retrouve aujourd’hui dans des habitats plus abrités : en profondeur ou à l’ombre d’autres colonies. À savoir tout de même que les coraux ne se déplacent pas réellement, la plupart des espèces étant des animaux fixes. 

En revanche, de nouvelles colonies peuvent s’établir ailleurs, notamment lors de la période de reproduction. De la même manière, on observe une migration des coraux vers les régions tempérées au fur et à mesure que les eaux s’y réchauffent. Il y a tout de même une limite à ces migrations car ces nouvelles zones en profondeur ou en latitude ne sont pas toujours favorables à la vie des coraux et sont souvent peuplées par d’autres organismes avec qui les coraux entrent en conflit.

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On me dit dans l’oreillette que tu reviens d’une mission scientifique du nom de TIC TAC. Ne serait-il pas « l’heure » de nous donner quelques informations ?

TIC TAC est un programme scientifique initié en collaboration entre l’IRD et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en charge de la gestion des récifs dans le parc naturel de la Mer de Corail, en réponse à l’augmentation des risques de blanchissement des coraux. À bord de l’Amborella, nous sommes allés à Entrecasteaux et prochainement à Chesterfield, ce qui nous donne des points de comparaisons par rapport à nos suivis dans le lagon sud. 

L’objectif de ces missions est de combiner deux approches complémentaires : l’écologie des populations et des communautés des espèces à grande échelle – ce qui est ma spécialité – avec la physiologie à fine échelle des individus, spécialité de ma collègue Fanny Houlbreque. Cette combinaison inhabituelle de disciplines permettra d’obtenir une meilleure compréhension des facteurs qui rendent certains coraux plus sensibles aux vagues de chaleur et d’autres plus résistants. L’objectif final est d’identifier les espèces les plus vulnérables et de trouver des solutions pour renforcer leur résilience face à ces stress thermiques.

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Quels conseils pourrais-tu partager à nos lecteurs pour préserver nos fonds marins ?

Pour préserver notre environnement sous-marin, il y a plusieurs actions à mener. Il s’agit avant tout de revoir comment et vers quoi on s’oriente, à l’échelle de l’humanité mais aussi individuellement. Selon moi, il y a deux clés d’action. En combinant ces deux approches, nous pourrons progresser vers un avenir plus durable et préserver la santé de nos écosystèmes.

Ainsi, d’une part, au niveau de chaque individu, l’Humain se doit d’être plus conscient de son mode de vie et des impacts qu’il a sur les différents écosystèmes. Une prise de conscience et des actions au niveau individuel doivent se faire. Même si les habitudes sont difficiles à changer, prendre du recul permettrait de voir les conséquences de l’activité humaine. Il existe plein de solutions pour réduire son impact : réduire sa consommation de viande et de protéines animales ou être conscient du type d’achats qu’on fait, par exemple. 

D’autre part, en modifiant le choix de nos dirigeants. Les citoyens pourraient élire des personnes qui appuient sur l’importance de nos écosystèmes naturels mais aussi sociaux. En somme, une prise de conscience bilatérale « d’en bas » (au niveau individuel) et « d’en haut » (en adaptant notre mode de gouvernance) s’imposent.

Mohsen
Le métier de Mohsen ? Plonger le plus possible ! © Magali Boussion

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Tu explores souvent les fonds marins pour tes recherches scientifiques, tu as dû en voir de belles choses ! Peux-tu partager avec nous un moment hors du temps que tu as vécu ?

Il est très difficile de comparer les différentes plongées car chaque site et chaque expérience est unique en son genre ! Cependant, si je devais choisir, ce qui me fascine le plus, ce sont les interactions avec la faune. Rien ne peut égaler le moment où vous vous retrouvez face à face avec une espèce sauvage dans son habitat naturel.

Je me souviens particulièrement d’une expérience incroyable en Polynésie pendant la période de reproduction des baleines. Une baleine est venue vers moi de sa propre initiative et ce moment était tout simplement magique ! Les animaux sauvages ne sont pas si différents de nous : eux aussi sont curieux et veulent voir de plus près ces étranges créatures que nous sommes ! Les interactions avec la faune, en particulier les grandes espèces, sont toujours impressionnantes et nourrissent ma passion pour la vie sauvage.

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Sinon, quand tu ne plonges pas, quelles sont tes occupations ?

Mohsen
Pas seul sur le sable ! © Mohsen Kayal

J’aime rencontrer de nouvelles personnes, me faire de nouveaux amis. Pour moi, les interactions humaines sont indispensables à notre épanouissement. J’ai un grand groupe d’amis avec qui j’aime passer du temps. J’essaie aussi de toujours garder un pied dans la nature et/ou la tête sous l’eau ! En Nouvelle-Calédonie, on a la chance d’avoir des écosystèmes très accessibles, c’est donc facile. Ainsi, faire une randonnée ou un weekend dans la nature avec des amis, c’est l’idéal !

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Pour clore notre entretien, un dernier mot pour nos lecteurs ?

Mohsen
West Coast © Mohsen Kayal

J’encourage le plus grand nombre à s’intéresser à la nature, à voir sa beauté et sa complexité et à se rendre compte des différents impacts que les êtres humains peuvent avoir sur les écosystèmes. Parfois, une petite action peut avoir de grandes conséquences, qu’elles soient négatives mais aussi positives !

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